Intériorité et extériorité - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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Intériorité et extériorité

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Vanité, Jan Sanders van Hemessen, v. 1535-40

Vanité, Jan Sanders van Hemessen, v. 1535-40

Une ironie amère du Péché Originel est qu’il nous rend simultanément plus égocentriques et moins conscients de nous-mêmes. Malgré notre pensée centrée sur nous-mêmes, nous avons peu de connaissance de soi.

L’homme déchu est, selon les mots du psalmiste, incurvatus nimis – excessivement courbé, tourné vers l’intérieur de lui-même. Nos pensées sont autoréférentielles. Le moi devient le centre de gravité de nos pensées, de nos paroles et de nos actions. C’est l’orgueil pur et simple. De lui provient toute vantardise et dédain comme toute peur et insécurité. Quelle que soit la façon dont se manifeste notre orgueil, il en résulte toujours un manque de souci des autres. Ou plus probablement un souci pour l’autre non comme autre mais, ramenant tout à soi, comme quelqu’un qui m’affecte moi.

En dépit de cet extraordinaire centrage sur soi, nous souffrons toujours d’une compréhension extraordinairement superficielle de nous-mêmes. Notre pensée autoréférentielle ne concerne que notre moi superficiel. Nous restons à la surface des choses et échouons à fouiller sous la surface jusqu’à nos authentiques aspirations et désirs. L’impact sur les autres est évident : celui qui a un égoïsme excessif et peu de connaissance de soi ne peut montrer que peu de charité envers les autres.

Notre Seigneur touche à cette réalité tragique dans l’évangile de ce jour. L’hypocrite est celui qui manque de conscience – ou peut-être de la volonté d’être conscient – de la poutre dans son œil, même s’il remarque la paille dans l’œil de son frère. Il ne peut pas aider son frère en raison de son manque de connaissance de soi. Par conséquent, Jésus nous dirige vers la vie intérieure jusqu’à « la plénitude du cœur » qui produit du fruit soit bon soit mauvais. Tant que nous ne prenons pas au sérieux la connaissance de soi, nous ne pouvons pas porter du fruit en bonnes œuvres pour notre prochain.

Donc la vie chrétienne, dans sa lutte constante contre notre nature humaine blessée, devrait être une progression intérieure et extérieure constante. D’abord intérieure, pour nous connaître tels que nous sommes réellement et non tels que superficiellement nous pensons être. Ensuite extérieure, pour regarder et aimer authentiquement les autres comme autres et non comme une extension de notre propre amour de soi. C’est le paradoxe de la vie chrétienne : plus nous allons profond en nous dans la connaissance de soi, plus nous devenons capables d’aller à l’extérieur dans l’amour du prochain.

Avec le Mercredi des Cendres qui s’annonce, nous pouvons approcher les disciplines du Carême avec cette progression intérieure/extérieure à l’esprit. Nous pouvons entreprendre nos prières, jeûne et aumônes de Carême dans une optique de diminuer le centrage sur soi et de grandir dans la connaissance de soi qui rend possible le don de soi.

Prier davantage les psaumes serait peut-être de mise. Saint Josémaria observe : « il y a peu de choses plus en contradiction avec le christianisme que la superficialité ». Une telle superficialité nous empêche de connaître nos véritables aspirations et désirs. Nous les limitons à l’ici et maintenant, à ce qui est terrestre et même charnel. Le psalmiste nous montre le vrai chemin : ô Dieu, Tu es mon Dieu, je Te cherche, mon âme a soif de Toi ; ma chair languit après Toi, comme dans une terre sèche et aride, sans eau (psaume 63:1). Quand nous permettons à ces mots de façonner nos esprits (comme le conseille saint Benoît), alors nous pénétrons à travers la surface dans une conscience plus profonde de nos véritables attentes que nous anesthésions habituellement. Alors, aussi légitimes que puissent être nos besoins temporels, nous prenons conscience du besoin plus profond qui nous habite.

Le sujet privilégié de la prière du Carême est la Passion et la Mort de notre Seigneur. L’extrême de Ses souffrances démontre la profondeur de l’amour divin pour nous les pécheurs. Cela devrait également nous scandaliser et nous détourner d’un traitement superficiel de notre péché et de notre rébellion. Mais cela demande que nous priions et ne nous contentions pas de réciter des prières. Les paroles de saint Alphonse de Liguori dans ses Stations de la Croix peuvent nous sembler étrangères mais elles transmettent la réalité et nous devrions les faire nôtres (comme les psaumes) :

« Je T’aime, Jésus, mon Amour, par-dessus toute chose. Je me repens de T’avoir offensé. Ne permets jamais que je T’offense à nouveau. Accorde-moi de T’aimer toujours et fais ensuite de moi selon Ta volonté. »

Le jeûne est une guerre de surface. Il vise ces désirs charnels qui se trouvent à la surface de nos âmes, non pour que nous devenions sans désir mais afin que nous puissions aller plus profond et connaître nos vrais désirs. Comme un paroissien me le disait il y a des années à propos du jeûne eucharistique : « Père, comment voulez-vous avoir faim du Verbe de Dieu avec un estomac plein ? » Cette vérité à propos du jeûne eucharistique s’applique à tout jeûne. Si nous passons notre temps à chercher à satisfaire notre faim et notre soif pour la nourriture et la boisson – ou pour d’autres choses – alors nous n’expérimenterons pas notre faim et soif plus profondes pour Dieu.

Enfin, l’aumône a un effet double. D’abord elle nous prive de possessions ou d’argent qui nous font nous sentir autosuffisants. C’est seulement en agissant ainsi que nous en venons à reconnaître Dieu comme notre vraie richesse et notre possession éternelle. Enfin, elle met nos « besoins » dans une juste perspective. Ce dont nous pensons avoir besoin est clarifié quand nous prenons au sérieux le dénuement et la souffrance des autres.

Intériorité et extériorité. C’est le modèle des saints. C’est l’apôtre Paul disparaissant pendant des années dans la prière et passant ensuite sa vie comme missionnaire. C’est sainte Catherine de Sienne faisant retraite dans sa « cellule de la connaissance de soi » et qui en surgit ensuite dans l’action apostolique. C’est Mère Térésa adorant d’abord le Christ dans l’Eucharistie pour ensuite Le servir dans les plus pauvres parmi les pauvres. Que cela soit votre modèle à vous aussi.