François et Cyrille devant l'Histoire - France Catholique
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Van Eyck, l'art de la dévotion. Renouveau de la foi au XVe siècle
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François et Cyrille devant l’Histoire

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Il ne faudrait évidemment pas abuser trop de certaines formules comme celle-là. Mais si l’on est tout de même tenté de l’employer à propos de la rencontre du Pape de Rome et du Patriarche de Moscou, c’est d’abord en raison de sa signification historique. Comment comprendre, en effet, le caractère tout à fait singulier de l’événement, sans se référer à la profondeur du passé ? Les différences et les oppositions, qui demeurent encore aujourd’hui, ne sont si fortes que par leur enracinement dans un passé qui ne passe pas. Non en raison de rivalités sans cesse avivées et donc contingentes, mais de différences essentielles, celles qui marquent la frontière entre les civilisations. Le scandale, en l’espèce, est que cette frontière traverse ici l’espace de la chrétienté et qu’elle opère une blessure vive dans la chair de l’Église indivise. Une telle blessure ne saurait être guérie par les seules ressources de la diplomatie, même la diplomatie ecclésiastique, si précieuse qu’elle soit dans la conjoncture actuelle. Elle a été bien nécessaire pour préparer la rencontre de La Havane, et on aura sûrement recours à elle pour en ménager les suites attendues. Mais pour percevoir l’enjeu d’un face-à-face du catholicisme romain et de l’orthodoxie russe et envisager un avenir commun différent, c’est à une exploration profonde de ce que Vladimir Soloviev appelait « la grande controverse » qu’il s’agira de procéder.

Ce nom de Soloviev n’émerge pas au hasard dans une telle conjoncture. Ce grand philosophe, autant historien sagace que sûr théologien, était comme hanté par la division des Églises chrétiennes, et il n’avait de cesse d’imaginer comment la cause de l’unité pourrait resurgir des tourments infinis du passé et du présent. À dire vrai, l’affaire était si difficile, si délicate et en même temps explosive, qu’il ne pouvait s’empêcher de la projeter dans une vision apocalyptique de fin des temps. Celle qui s’exprime de la façon la plus géniale dans son Court récit sur l’antéchrist, dont la force d’évocation dépasse la parabole du grand inquisiteur de Dostoïevski. Préalablement à cette vision, il y avait l’exploration des abysses de la division, qu’il faut ici rappeler en quelques phrases.

« Il y eut une époque glorieuse, où les deux Romes, l’occidentale et l’orientale s’unissaient, sous la bannière de l’Église universelle, en une seule tâche commune : l’affirmation de la vérité chrétienne (…), cette union n’était pas stable, n’étant pas passée par l’épreuve de la connaissance de soi-même ; elle s’écroula. La grande controverse de l’Orient et de l’Occident que l’idée chrétienne avait supprimée, se renouvela avec une force accrue dans les limites du christianisme historique. Mais si la division des Églises était historiquement nécessaire, il est d’autant plus nécessaire moralement pour le christianisme d’y mettre fin  » (Vladimir Soloviev, La grande controverse). François et Cyrille, avec le décalage géographique des Caraïbes, ne pourront échapper au sentiment plénier d’une Église indivise, blessée par les cataclysmes du temps. L’un et l’autre ont mission de puiser dans la miséricorde divine les secours nécessaires, ne serait-ce que pour rendre à la charité sa primauté absolue, dans le but de recoudre l’unique tunique.