Etre une personne - France Catholique
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Van Eyck, l'art de la dévotion. Renouveau de la foi au XVe siècle
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Etre une personne

Traduit par Bernadette Cosyn

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Le mot « personne » ne doit pas être confondu avec ce que nous appelons « personnalité ». Chaque être humain est une personne. Peu de personnes sont des personnalités. Et toutes les « personnalités » ne sont pas admirables. Nous pouvons de même espérer que le mot « personne » soit exempt de l’ambiguïté attachés aux mots « valeurs », « dignité » et « droits », mots qui peuvent, si on n’y prend garde, finir par dire à peu près n’importe quoi.

A première vue, il n’est pas si facile de faire dire son contraire au mot « personne ». Jacques Maritain était célèbre pour distinguer entre l’individu et la personne. Comme individus, nous sommes reliés comme parties d’un tout. Mais en tant que personne, chacun d’entre nous est un tout. A ce titre, nous transcendons toute communauté à laquelle nous nous trouvons appartenir et dont nous ne sommes qu’un élément. Chaque personne a un destin transcendant qui est à la fois personnel et ouvert aux autres.

Je me souviens être resté perplexe, il y a des années, devant l’avertissement que le grand philosophe canadien Charles De Koninck exprimait à propos du mot personne. En particulier, alors que la pensée catholique tendait de plus en plus à se focaliser sur le mot personne, voilà qu’un homme d’une perspicacité profonde pensait qu’il y avait quelque chose de dangereux dans la notion de personne. Comment cela ?

La fameuse définition de Boetius, selon laquelle « une personne est une substance individuelle de nature rationnelle » n’était pas mauvaise. Le mot personne provient du théâtre grec. Un acteur portait un masque qui l’identifiait sur scène. Il endossait la persona de son rôle dans la pièce. Par conséquent, la personne de l’acteur pendant qu’il jouait n’était pas sa personne dans la vie réelle. La scène, contrairement à un livre, permettait à l’acteur de « devenir » la « personne » qu’il dépeignait.

La théologie trinitaire a été basée sur la notion de personne. Au sein de la divinité, il y avait trois « personnes ». Un Dieu sans conteste unique, incluant trois « personnes » divines. Comment cette impossibilité apparente devait-elle être comprise ? Saint Augustin a fait remarquer que nous sommes, chacun d’entre nous, un être unique, mais que nous avons une intelligence et une volonté qui nous permettent d’incorporer ce qui n’est pas nous-mêmes sans devenir pour autant davantage qu’un unique être.

Chaque personne divine était parente avec les autres personnes. Le Père n’était pas le Fils, l’Esprit n’était ni le Père ni le Fils. Pourtant, chaque personne était totalement ouverte et reliée aux autres personnes. La Divinité chrétienne n’était pas solitaire, mais relationnelle. Par conséquent, une personne n’est pas un être isolé, mais un être ouvert aux autres. Pour en revenir à une question d’Aristote, Dieu n’a pas créé parce qu’il était solitaire.

Les personnes humaines ne sont pas divines. Chacun d’entre nous est un être important, mais notre être véritable est ouvert aux autres et non absorbé par eux. Chaque être humain a été conçu et est né comme personne. Chacun est invité à vivre au sein de la vie trinitaire de Dieu. Cette participation est le but de l’existence de chaque personne. Cette invitation peut être refusée. Vous ne cessez pas d’être une personne si vous rejetez l’invitation divine. En effet, vous choisissez votre ego plutôt que de joindre votre personne aux autres personnes, humaines, angéliques et divines, comme vous y êtes invités et appelés.

En lisant le dernier livre de Peter Augustine Lawler (« Hérésies américaines et enseignement supérieur »), je suis tombé sur sa discussion pertinente sur le transhumanisme. En la lisant, le nom de De Koninck ne cessait de me revenir à l’esprit. A l’heure actuelle, nous sommes habitués à « l’indépendance » de la personne. Mais cette moderne indépendance ne signifie pas ce que « personne en relation avec les autres » veut dire. Cela indique plutôt que la définition de la personne ne dépend en définitive que de la personne elle-même.

D’habitude, même en idéologie totalitaire, on trouvait la notion de se sacrifier pour une cause ou pour le bien à venir. Mais nous pouvons imaginer comment le mot personne pourrait ne pas chercher plus loin que lui-même. Ainsi, ce qui nous concerne est notre propre petite personne. Nous voyons qu’elle va mourir. Nous voulons une technique qui permette, non de sauver les gens à travers les âges, de sauver les autres, mais de nous sauver nous. Nous ne sommes plus tournés vers autre chose que notre petite personne. Il est vain de s’inquiéter de l’avenir ou des autres. Le seul sens de la vie est notre propre personne. Comment surmonter sa fragilité ?

Si l’on examine attentivement cette façon de penser, cela semble une parodie de la doctrine chrétienne de la résurrection des corps. Cependant, la doctrine actuelle ne nie pas la mort. La mort devient maintenant le mal que la science cherche à éradiquer – non pour la race mais pour la personne prise individuellement.

Ce résultat, et cela me frappe, est justement ce pour quoi De Koninck était préoccupé par la notion de « personne », pourquoi il mettait tant l’accent sur le bien commun. Il avait vu comment, tout comme « devoirs », « droits » et « valeurs », « personne » pouvait devenir une dangereuse menace pour les véritables être humains dans leur essence même. Voici un bon rappel de ce que le manque d’une pensée claire sur la vérité des choses nous conduit à renier ce que nous sommes vraiment, des personnes destinées à la vie éternelle.

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James V. Schall, S.J., qui a été professeur durant 35 ans à l’université de Georgetown, est l’un des auteurs catholiques les plus féconds en Amérique.

Illustration : la Sainte Trinité, fresque de Luca Rossetti, en 1739 [église Saint Gaudens d’Ivrea, en Italie]

Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/12/20/on-being-a-person/