Être « réconcilié » par le Fils à son Père - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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Être « réconcilié » par le Fils à son Père

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La semaine qui s’annonce est placée sous le signe du pardon : et donc sous celui également du sacrement autrefois nommé « confession » et aujourd’hui « de réconciliation »… Tout abandon, fut-il d’un seul mot, est autant une ouverture conceptuelle qu’une perte de sens.

Le mot confession, dans les derniers temps de son usage, semblait seulement signifier l’aveu des péchés, toutes ces minimes ou insolentes ordures dont l’âme était comme aveuglée, l’esprit empoisonné : la réconciliation était plus ou moins présentée comme celle d’un pécheur fâchée avec Dieu et qui trouvait en son amour, sa miséricorde, le moyen que la fâcherie soit pardonnée, oubliée… C’est à peu près l’essentiel de ce que j’ai retenu des explications reçues dans les années soixante-dix, époque où se fit le glissement du premier mot vers le second…

Mais « confession » ne signifiait pas seulement aveu de ses fautes, de ses péchés, ce n’était pas seulement traîner jusqu’au confessionnal sa charge de ténèbres comme on s’en va jeter un sac poubelle à la déchetterie, car « se confesser » s’est d’abord affirmer clairement la « foi » qui nous fait reconnaître Celui qui nous en a fait le don… et cela ne s’est pas éteint du fait d’une simple aventure sémantique : on ne peut pas avouer ses péchés sans d’abord témoigner de sa foi. Pas plus on ne peut se présenter devant le Juge suprême sans préciser que l’on sait « Qui » Il est, sans proclamer sa confiance en Lui, sans avouer que l’on vient comme un naufragé vers le Dieu vivant dont on ne doute en aucun moment de sa miséricorde, de son amour infini… Un autre mouvement de l’âme et de l’esprit doit inciter également à d’abord remercier toute la Sainte Trinité, lui dire sa joie d’être de la Famille, ensuite de se savoir compris et aimé, d’avoir pu vivre, depuis les derniers « aveux », des bonheurs assurément fruit des grâces reçues… ce que l’on oublie le plus souvent. Après, ne pas oublier de dire ce qui a été le peu glorieux résultat de nos faiblesses et de nos fragilités…

Je n’oublie jamais, depuis le temps lointain où j’ai lu dans les textes écrits par Sœur Sainte Faustine une phrase qui lui fut dictée par Jésus : « Dis aux prêtres que, lorsqu’ils confessent, je me tiens debout derrière eux ». Cela semble évident : pourtant jamais je n’y avais pensé. Depuis cette « révélation », je regarde souvent au-dessus de la tête du prêtre, et je remercie pour cette présence, invisible mais certaine : si aimante, si bienheureuse. J’en discutais il y a peu avec le franciscain mon confesseur, aussi et plus ou moins mon directeur de conscience et il me disait que cette présence ne pouvait être que naturelle, allant en quelque sorte de soi, quoiqu’en en effet on n’y pensait jamais (ou presque)… Alors, les paroles que prononce le prêtre prennent un sens très fort, des plus éblouissant.

Ce matin, à la messe, j’ai été surpris que l’assemblée ait été privée du « Confiteor », de ce « Je confesse à Dieu… » si difficile parfois à faire sortir de nos gosiers… C’était pourtant le dimanche ou jamais… Toute l’Église, aussi bien la militante et souffrante que la glorieuse et triomphante, est par chacun sollicitée pour porter chaque pécheur jusqu’au prie-Dieu afin que sa détermination soit sans faille : jusqu’à la demande humble et intéressée que je suis appelé à lancer à l’assemblée tout entière de se mette à « prier pour moi ». Et depuis longtemps j’ajoute juste cette incise : « … je prie donc pour chacun de ceux qui sont ici ». Aussi bien ceux que je connais et ceux que je ne connais pas…

Deux années au moins notre arrivée à Troyes, qui fut à la fin de novembre 1974, j’ai écrit cet ensemble de textes tournant autour de la confession : retrouvant en esprit la froide et humide atmosphère de l’église Saint-Nicolas, sans doute au cours de l’hiver 76, je me souviens, toujours effaré, du vieux prêtre qui passait des heures et des heures dans la « boîte tombeau » qu’était le confessionnal alors que déjà la nuit tombait et que seul les vitraux du choeur maintenaient un fragile lien avec le monde des vivants. J’étais à la fois triste de cette misère portée avec un courage certain et admiratif de cette sainteté qui confiait nos personnes à leur Sauveur, une fois guéris de leurs ordures intérieures.

Bien des années plus tard, un espace nommé « piscine », fermé par des murs de verre, avec chauffage et lumière, transformat en petit bureau confortable, doté d’une installation de chauffage et de lumière, ce qui autrefois pouvait être considéré comme une sorte de lieu de supplice…

Attendre parfois plus d’une heure transperçait les meilleurs manteaux, glaçait les pieds et les mains : au moins le pénitent se trouvait doté d’un « bouquet » à offrir à la Mère du Christ, non pour croire pouvoir « se tirer par lui-même » de son triste état, mais seulement pour, comme un enfant, apporter à cette Mère secourable quelques pauvres fleurs cueillies sur le bord d’u chemin…

I

L’esprit si prompt

tout à coup soumis,

comme atteint de sommeil !

Le corps triomphe

qui se prend pour moi !

Lutte inégale où le temps

s’affirme seul,

plus dérisoire d’être déjà passé.

L’Éternité disparaît,

oppressante nuit,

toutes convictions effacées,

moment aveuglé

dont la honte vient,

submerge,

étouffe.

Ce que je veux,

brisé !

Me voici perdu

rejeté

refoulé ;

ce que je hais

déteste

reste

unique.

Je n’accorde rien pourtant

mais je n’existe plus.

De tout ce qui m’arrive

rien ne vient de moi.

Et rien ne peut être accepté

qui s’impose malgré moi.

Moment bref,

certes,

mais suffisant pour le malheur

ou le bénéfice

d’une connaissance plus sûre.

Ma faiblesse,

en vérité

ma faiblesse est ma seule offrande.

II

Intense rupture.

Le regard perd ses repères.

La parole dite projette

hors du temps.

Métamorphose du moment

en instant éternel.

Les mots — toujours cet écho

de la Parole unique

qui fait être —

ces mots prononcés

font entrer au Cénacle

l’immense foule

à travers les siècles des siècles

effacée.

Visage du prêtre

tout autre.

Voix unique qui est écho,

lui-même transfiguré.

Cénacle et Golgotha,

lieux confondus.

Croix et tombeau,

Cénacle et limbes,

Croix et parole,

Croix et pain.

Je retourne,

sachant que l’apparence

n’est pas la plus sûre.

J’avance alors, comme poussé,

toujours là-bas,

déjà ici

et plus loin

en désir.

III

L’église est obscure.

Mars ploie sous les nuées.

Heure entre jour et nuit,

urgence d’un aveu.

Me mettre ici à nu !

Dépouiller tous les avantages,

renoncer aux fugaces merveilles de l’époque,

rejeter les airs du temps, les modes

ces éphémères,

avec l’orgueil en prime,

vêture d’or et de fumier.

Ouvrir le cœur,

délivrer l’esprit de sa gangue

de peau et de terre,

l’âme exilée en sa poussière…

Laisser à l’Inconnu la chair ouverte

et qu’il passe outre jusqu’aux tréfonds.

L’amour envahira si l’oubli de soi

– enfin –

vient à s’accomplir.

Mots difficiles,

trop de hontes charriées

dans mes pensées.

L’énergie au plus bas !

Je me traîne vers l’antre habité,

la cage de bois qu’occupe un prisonnier.

Image de grotte,

tombe verticale

où je m’écroule

trop lourd de tout mon poids.

Trop encombré de moi.

Trop diffus.

Trop épars.

Trop dispersé.

Trop perdu.

Trop noyé,

immergé dans mes réseaux,

lacets, ténèbres, ruisseaux.

Capable seulement

de ce rampement d’aveugle.

Liberté en éclats.

L’être en miettes.

Poussière d’atomes.

Conscience de n’être

que cette poussière !

Mots tissés de nuit,

tirés de la nuit.

Aveu sans gloire.

Lucidité à éclipses.

Je clignote d’ombres diverses,

sachant pourtant vouloir,

en désespéré,

revenir

et

redire

un consentement.

Qui se reforme

plus sûr,

plus net.

Un souffle me parcourt :

ce que j’entends

me soulève.

Une joie

si soudaine,

hors d’attente

quoique cherchée cependant,

si fortement désirée.

— Un souvenir éperdu, je le sais,

m’a traîné jusqu’en ce froid nocturne.

La Parole m’ouvre de son doigt

sans réplique.

Mes yeux retrouvent l’espace.

Ma bouche ose enfin se taire.

Elle parle assez d’un sourire !

Cette victoire

accordée

me met en marche.