En silence - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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En silence

Traduit par Isabelle

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« Marthe, Marthe, tu t’agites et tu t’inquiètes pour bien des choses. »
Ces paroles sont soulignées par le cardinal Sarah dans son récent livre « Le pouvoir du silence », dont une synthèse en anglais m’est récemment tombée entre les mains. Le passage sur Marthe et Marie dans l’Evangile de Luc (X ; 41) est souvent cité de nos jours comme une manière d’excuse.

« Je suis plus comme Marthe », ai-je entendu bien des fois – souvent de la part d’une femme affairée à juste titre à la cuisine, ou maîtresse de maison «multitâches » parente, épouse, et chargée d’une série de devoirs professionnels. Elle est débordée, d’une façon particulièrement moderne, par la prolifération de systèmes destinés à économiser la main d’œuvre, qui a tellement accru nos charges matérielles, et par la nécessité d’aller vite. Les petites alertes sonores fonctionnent continuellement, et nous sommes réduits en esclavage par tout ce qui existe, depuis nos bouilloires jusqu’à nos téléphones portables.

Parfois, je pense que la définition d’une « maman foot Ball » est : une femme qu’on fait rouler et qu’on bourre de coups de pieds comme un ballon de foot. C’est vrai qu’elle est essentielle pour le jeu, et qu’on la remet régulièrement au centre de la partie, mais il est rare qu’on l’apprécie à sa juste valeur. Ce sont d’autres qui recueillent la gloire.

Même parmi les femmes, la gloire est pour les autres, et le premier résultat du féminisme (me semble-t-il) a été d’amener les femmes à inférioriser les hommes, en les jugeant d’après des standards incontestablement masculins, puis en y ajoutant des fonctions incontestablement féminines (comme d’avoir des bébés) pour compléter le tout.

La femme moderne s’identifie instinctivement à Marthe, et c’est ce qui lui a été enseigné pour beaucoup de raisons pratiques, non seulement par ce qui reste de la « société », mais aussi par l’Eglise contemporaine qui s’efforce d’être « dans le coup ».Parfois, elle a tendance à gémir, et quand elle tombe sur ce passage d’Evangile, elle se sent tout à fait Marthe.

« Je suis plutôt comme Marthe » – l’expression peut paraître curieuse. On peut y découvrir une pointe d’autocritique, peut-être parce qu’elle est en recul dans sa vie spirituelle ; et qu’elle n’a pas encore fait les biscuits qu’elle a promis pour la vente de pâtisseries de l’église.( « Jésus veille .»)
La Marie, dans cette histoire, est franchement irritante, du point de vue de Marthe – La vie de prière semble une vie facile – et quand Notre Seigneur prend le parti de Marie, il nous faut l’accepter, quoiqu’avec une lueur de ressentiment. Comme me l’a dit une de ces Marthe, « On voit bien qu’Il est un homme. »

On est censé sourire d’un air entendu. Pourtant le simple fait qu’on puisse faire une telle plaisanterie prouve que la critique est valide. Car Son Royaume n’est pas de ce monde, et ici, nous inversons le postulat de départ, remplaçant ce qui est le plus « important » par ce qui paraît le plus urgent et qui de ce fait doit être « prioritaire. »

Il est typique de la part du Cardinal Sarah de comprendre la remarque du Christ. Dans ses priorités, l’être précède l’avoir, et quand le Christ dit « Marie a choisi la meilleure part », Il ne fait pas une comparaison de personnes. Il ne nie pas que tenir la maison exige du travail, et ne le déprécie pas. Il dit (le Christ, les Pères de l’Eglise et tous les prêtres consacrés, et cet évêque, conjugués in Persona Christi) que nous devons être Marie avant de jouer le rôle de Marthe.

Ce n’est pas une parole dure, mais elle est difficile à comprendre pour un esprit moderne qui a finalement beaucoup de distractions, et ne s’arrête pas pour réfléchir dans le silence, condition de toute contemplation. Nous pensons, bien sûr, mais seulement quand nous sommes sur nos pieds, alors que la meilleure part est de commencer par penser à genoux. C’est ce qui fait que la vie domestique moderne ressemble tellement à une situation de comédie.

En réalité, Jésus semble dessiner les contours d’une pédagogie spirituelle : Nous devrions toujours veiller à être une Marie avant de devenir une Marthe. Autrement, nous courons le risque de nous enliser littéralement dans l’activisme et l’agitation, et les conséquences désagréables apparaissent dans le récit évangélique : panique, peur de travailler sans être aidé, attitude intérieure dissipée, rancune comme celle de Marthe envers sa sœur, sentiment que Dieu nous laisse seul sans intervenir efficacement.

En tant que vieil éditeur, j’ai été distrait par mon désir de faire une coupe dans les clichés de la traduction dans les deux phrases que je viens de citer, et de supprimer les mots inutiles, en commençant par « littéralement ». Mon commentaire serait qu’elles ajoutent un bruit inutile. Mais le besoin de perfection qui me tiraille doit faire retraite devant la vraie substance.
Car ici, comme dans des centaines d’endroits dans le livre du révérend Père – produit avec l’aide d’un journaliste, mais le bruit de ses questions est presque entièrement supprimé – une vraie critique s’élève contre « Marthe » au sens large.

Le Cardinal Sarah continue la mission de Saint Jean Paul II et de Benoit XVI, de restaurer la possibilité du Silence, devant le mystère, face à ce qui était en train de devenir, (bien avant le Pape François) l’Eglise de Marthe.
Nous ne devons pas abandonner un certain nombre d’activités terrestres – impossible de cesser de faire les repas – mais nos tâches, finalement, ne sont pas terrestres. Nous devons nourrir les pauvres, soigner les malades, visiter les prisonniers, nettoyer l’environnement, mais ces activités sont extrinsèques à notre cœur sacramentel. Nous devons d’abord être de vrais chrétiens, en conversation avec le Seigneur ; et Dieu nous parle dans le Silence.

Plus loin, dans certains des plus poignants passages du livre, le cardinal se confronte directement avec la question qui agace le plus l’esprit moderne : Pourquoi Dieu garde-t-il le silence devant la misère et le mal ? Pourquoi permet-il les horreurs et le mal qui tombent également sur les justes et les injustes ? S’Il existe, pourquoi ne fait-Il rien ?

Voilà, à mon avis la question essentielle concernant Marthe, élargie pour « inclure » toute la condition humaine.

Pour exprimer la question avec plus d’exactitude, pourquoi devons-nous avoir part la souffrance de Dieu fait homme pour pouvoir avoir part à Son Amour ? Posée ainsi, la question commence à trouver toute seule sa réponse.
Dans le silence, à genoux devant le crucifix, le mystère de l’amour de Dieu s’articule, à travers son Eglise, comme le mystère de l’amour d’une mère pour son enfant malade. Bien qu’elle ait l’air de ne rien faire, dans notre agonie, elle est là.

7 Juillet 2017

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/07/07/silent/

Tableau : Jésus dans la maison de Marthe et Marie, par Jan Vermeer, 1654 [National Gallery of Scotland, Edinburgh]