En finir avec la tolérance ? Différences religieuses et rêve andalou - France Catholique
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En finir avec la tolérance ? Différences religieuses et rêve andalou

Un livre du père Adrien Candiard, PUF, 108 pages, 12 euros.

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Ce court traité enlevé et stimulant aurait pu aussi bien s’intituler « Prolégomènes au dialogue » ou « Fondements à l’art de vivre ensemble ». La question est centrale : comment rester tolérant face à l’apparition de nouveaux modes de croire et de se comporter socialement ? Bref comment accepter la place grandissante de l’islam et des musulmans dans notre civilisation post-chrétienne ?

Quand on réfléchit à ces défis, on se rappelle un prétendu « âge d’or ». Celui-ci décrit un monde où juifs, chrétiens et musulmans vécurent en concorde, où le savoir se partageait, où la recherche de la vérité était menée conjointement. C’était l’Andalousie du XIIe siècle. à y regarder de plus près, on découvre que cette lune de miel interreligieuse, si elle a existé, fut relativement circonscrite et brève. Le symbole de cette tolérance, le philosophe Averroès — « le Commentateur » (d’Aristote) selon les chrétiens — mériterait d’être lu. Son œuvre, loin de vanter le pluralisme religieux, renferme la dose de sectarisme qui convenait à un penseur de son époque.

Même si ses livres ont pu être brûlés par des autorités islamiques de son époque, plus rigoristes que lui, il semble difficile de rallier Averroès a posteriori pour l’invention d’un islam relativiste, voire d’un pré-laïcisme. C’est même un contresens concernant la « doctrine de la double vérité » (vérité de foi-vérité de raison) qui a encouragé des penseurs modernes à le peindre en « précurseur de la philosophie des Lumières, grand-père exotique de la modernité occidentale ».
Rémi Brague, s’appuyant notamment sur l’arabisant espagnol Serafín Fanjul, a affirmé, avec son humour si particulier, que cette période pourrait tout aussi bien être caractérisée comme un monde préfigurant l’apartheid  sud-africain !
Le mythe andalou s’effondre-t-il pour autant ? Le frère Adrien Candiard, normalien et islamologue propose de le reconstruire à l’usage du temps qui vient. Oui, il est possible d’inventer un dialogue fécond avec l’islam. Oui le mythe d’une Andalousie heureuse peut nous apprendre à inventer un art de la tolérance. Mais à condition de repousser trois tentations du confort intellectuel et de mettre la raison au cœur du débat.

L’intellectuel occidental est confronté à une religion identitaire qui n’entre pas dans le schéma d’un effacement du religieux et qui n’est pas réductible à la sphère privée. S’il est de bonne volonté, il doit admettre que la relégation de la pensée religieuse dans le domaine du subjectif, de la raison pratique de Kant ou du relativisme de Locke ne convient plus. La séparation du croire et du comprendre n’apporte pas la tolérance. Au contraire. C’est parce que les religions ne sont plus tenues à rendre compte de leur doctrine que l’intolérance et le sectarisme s’installent.

En outre, « renoncer à considérer les options religieuses comme des opinions discutables pour les cantonner à une simple affaire d’identité », c’est encourager le communautarisme. C’est aussi rendre indiscutables les doctrines : « On peut débattre sur ce que je pense, mais puis-je accepter qu’on débatte sur ce que je suis ? » Des « identités » chrétiennes, des « identités » musulmanes et des « identités » non-croyantes segmentent la population. Comment introduire le débat, le dialogue entre elles, comment instaurer un climat de tolérance si on transforme la foi en identités, par définition indiscutables ? La croyance n’est pas une identité. Elle doit pouvoir être partagée, confrontée, discutée…

Le rejet de la foi dans le domaine subjectif fait courir un troisième danger à la tolérance. Celui de l’indifférence. Ne pas considérer le dogme religieux comme un savoir, qu’il est possible d’analyser et de partager, revient à cantonner le croyant dans un autre monde, où la raison n’a pas sa place. Dès lors, on s’épargne la peine d’essayer de le connaître, de le comprendre, de le critiquer. On hausse les épaules et on « tolère » le croyant dans sa logique qui paraît absurde. « Je préfère qu’on me dise que la Trinité est un dogme absurde et impensable plutôt qu’on me passe sans rien dire cette opinion étrange, comme on passe un caprice de gosse. Dans le premier cas, au moins, on me laisse une chance de justifier, d’expliquer mon point de vue, peut-être même de faire changer d’avis mon interlocuteur. On me reconnaît comme un être raisonnable. »

Le père Candiard note avec humour que le discours tolérant des intellectuels occidentaux vis-à-vis de l’islam cache souvent un réflexe « colonialiste ». Certes, il faut aider l’islam à entrer dans la modernité, à entrer en dialogue. Mais « c’est grâce aux Lumières que les intellectuels musulmans peuvent poursuivre le travail de réforme de l’islam », écrit Jean Daniel. Il n’y aurait pas d’autre issue pour les penseurs musulmans que de penser avec mes références occidentales !

Notre jeune dominicain veut sauver le rêve andalou. Oui, on peut établir un rapport de tolérance avec l’islam, à condition de fonder cette relation sur la raison. Puisque Averroès ne fait pas véritablement l’affaire, suivons peut-être d’autres modèles andalous. Le musulman Ibn Hazm par exemple, allergique au relativisme mais soucieux de débattre avec les juifs à la fin du Xe siècle. Et du côté chrétien, l’exubérant Raymond Lulle. Il apprit l’arabe, lut attentivement le Coran, consacra sa vie à discuter avec les musulmans. La polémique et la réfutation peuvent être vives. Mais au moins le musulman et le chrétien ont-ils pris la peine de connaître la pensée de l’autre. Ils ont préféré le débat, même houleux, à l’indifférence dédaigneuse.

« La dispute et la confrontation ne sont pas nécessairement incompatibles avec le respect et la tolérance. On veut réfuter les arguments des autres, mais on accepte de penser avec eux, de construire sa pensée contre la leur. Le respect passe donc d’abord par le travail et la connaissance. Il passe aussi par l’usage de la raison. »

Le père Candiard suggère donc qu’on n’en reste pas à un enseignement du « fait » religieux, comme le préconise Régis Debray. Il réclame qu’on étudie sérieusement la « pensée » religieuse. Celle de l’islam mais aussi celle du christianisme. « Le malaise éprouvé devant la présence visible de l’islam en Europe est à comprendre comme un symptôme : le symptôme d’un manque, d’un regret devant cette partie du réel que nous avons renoncé à explorer avec notre intelligence. On peut s’acharner sur le symptôme et multiplier les lois sur le voile à l’école, le niqab, le voile à l’université, le voile à La Poste, le voile à la plage, le voile à la ferme. Mais il ne serait pas plus bête de commencer à soigner le mal plutôt que le symptôme, et à réinvestir, par l’intelligence et la raison, l’ensemble de notre monde. Il n’y a pas de remède miracle. Les débats à venir ne seront pas moins âpres. Mais ils témoigneront du moins que n’avons pas renoncé à construire une humanité respectueuse des différences religieuses, mais qui ne se résout pas à voir coexister des humanités incapables de communiquer sur l’essentiel. » Il est donc urgent d’approfondir notre foi chrétienne, de la passer au feu de la critique de l’intelligence. Il est urgent d’oser confronter notre foi aux penseurs musulmans les plus exigeants. Alors la tolérance pourra s’épanouir dans une confrontation pugnace mais respectueuse.

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