Du vent… et de la mort - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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Du vent… et de la mort

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12 mars – Je ne sais plus qui m’avait cité une phrase fort courte de Gustave Thibon : la citation était d’une pertinence qui m’avait frappé. Je l’avais donc notée sur un de ces papiers volant au vent… et c’est bien de « vent » qu’il était question. Ce papier était caché parmi les innombrables feuilles qui encombrent mon bureau : je l’ai retrouvé ce matin. Pour ne pas le reperdre, je l’inscris sans tarder : « Être dans le vent, une ambition de feuille morte », réflexion qui me fait souvenir d’une phrase d’Antonin Artaud lue il y a au moins trente ans… et que je cite pour son sens mais pas mot à mot « Nager en se confiant au courant, être tel un cadavre »…

Je constate que bien des projets comme nombre des réformes voulus par nos gouvernants font partie de ces ambitions de feuilles mortes et parfois de la nature des cadavres. Comme nos ministres sont quasiment incapables d’agir en ces domaines où les Français les attendent avec impatience, ne leur donnant alors que des broutilles peu coûteuses, ils détournent notre attention vers des sujets qui ne concernent pas leurs pouvoirs et qui sont jetés aux vents qui passent, aux modes dont l’avenir le plus certain est de finir dans les poubelles de l’histoire. Par exemple, la réforme de Madame le Ministre de l’Education nationale cumule des brindilles avec juste une réformette intelligente mais dont les moyens manqueront, l’avancement à la 5e de l’apprentissage d’une troisième langue, l’inévitable anglais, le français parce que l’on ne peut pas faire autrement plus l’espagnol ou l’italien ou l’allemand. Les collèges sont plus nombreux que les professeurs à recruter et l’argent manque…

Autre exemple : je ne nie pas que les discussions sur « la fin de vie » ne soient pas importantes, mais elles ne me semblent pas relever d’une décision de l’État en tant que tel, en tout cas en ce qui me concerne. Mon entrée dans la mort sera un événement ne regardant que moi et mes proches dont certes j’aurais besoin, mais sans qu’ils puissent, pour l’essentiel, modifier en quoi que ce soit ce moment très personnel de vie intérieure : seulement intérieure vers les derniers instants.

J’ai toujours aimé la réflexion de Georges Bernanos, disant qu’il voulait « affronter la mort » de face, regard contre regard, et debout en esprit, debout même si dans l’impossibilité de sortir de son lit de malade.
Les moments les plus précieux de l’agonie – ils le sont tous, bien entendu, mais les plus précieux parce que les plus décisifs vu l’urgence – se vivent alors que le mourant a déjà quitté ce versant du temps où il était encore capable de parler avec ses proches les plus proches, de les regarder, de leurs faire des signes… Il est seul, et seul face à Dieu, quoiqu »il demeure capable de percevoir les prières qui peut-être se disent auprès de lui.

Qu’est-ce donc que j’essaye de percevoir ? Un quelque chose qui n’a plus rien à voir avec l’un de ces « vents » dont la seule mission semble être de disperser aux quatre coins de l’espace ces « feuilles mortes » que charrient les modes avec leurs pelles dévoratrices et les prodigieuses médiocrités dont notre époque raffole.

L’événement ne concerne que chacun et Dieu : moi et Lui, ce qui est une formule orgueilleuse et donc lui préférer « Mon Seigneur, et moi, pauvre pécheur »… Car l’instant où le cœur s’apprête à donner le dernier coup de clochette ou de gong est celui où l’avenir d’outre tombe se précise ou se décide. Tout ce qui reste de lucidité intérieure, de conscience à la fois de celui que l’on est et de Qui vient à notre rencontre, doit être mobilisé : viser ce dialogue ineffable, cette rencontre d’amour à quoi l’on ne pense pas souvent, être à l’affut du moindre signe afin que la réponse attendue puisse jaillir de notre âme, de notre esprit, de notre cœur.

Peut être qu’alors ce plus de conscience et de lucidité se révèle davantage qu’aux meilleurs moments de toute notre vie passée… Je n’en sais rien, bien entendu, mais cela me paraît nécessaire.

Et l’on voudrait, à je ne sais quel moment où les douleurs seraient considérées comme insoutenables, insupportables, excessives, me faire le cadeau de ce qui est nommé « sédation profonde »… laquelle me permettrait de ne plus éprouver la moindre douleur, la moindre angoisse ? Quelle belle expression ! qui remplace « sommeil profond », c’est-à-dire inconscience, obscurité de l’esprit, aveuglement de l’âme… incapacité à entendre ou percevoir ce qui me sera demandé, tendrement demandé, lumineusement demandé.

Je le dis dès maintenant : je ne veux pas que l’on me jette dans un tel sommeil : il me conduirait directement au dernier battement de cœur alors que je devrais à la fois solliciter le plus nécessaire, le plus vital des pardons en même temps qu’exprimer jusqu’à mon Seigneur cette espérance fondatrice qui vient de la conscience d’un Salut éternel à jamais conquis et assuré. Je ne dis rien du pauvre amour dont chacun pourra, devra faire don et qui sera le seul « paiement » exigé, si tant est que l’on puisse aini nommer l’amour qui tendra notre être tout entier vers Celui dont on aura compris qu’Il ne désire que notre joie, ne veut que notre bonheur, Lui qui nous a créé pour cette joie, pour ce bonheur dont la réalité ne tient qu’à sa rencontre et que par la découverte qu’Il est en Lui-même la seule joie possible, le seul bonheur possible : en Lui et non ailleurs.