Donner aux autres une raison d’être chrétiens - France Catholique

Donner aux autres une raison d’être chrétiens

Donner aux autres une raison d’être chrétiens

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Christ and the Samaritan Woman by Vincenzo Catena, c. 1520-30

Christ and the Samaritan Woman by Vincenzo Catena, c. 1520-30

[Columbia Museum of Art, Columbia, SC]

Nous pouvons spéculer sur la question de savoir si Dieu se serait incarné si l’homme n’était pas tombé. Mais la seule raison que suggère l’Écriture est qu’il le fit pour nous sauver de nos péchés. C’est ce que dit saint Thomas d’Aquin, faisant écho aux Pères. C’est ce que dit aussi le Credo : « Pour nous les hommes et pour notre salut. »

C’est un salut qui sauve du péché que le Christ a obtenu, après tout, et non un autre salut, dans cette vie ; « Il a sauvé les autres ; il ne peut pas se sauver lui-même » raillaient les Scribes et les Anciens (Mt 27 : 42), ne comprenant, faussement, sous le mot « salut » que ses miracles – ses guérisons et ses exorcismes. Une raillerie étrange que celle-ci qui conduit les railleurs à faire cause commune avec la maladie et le démon.

Mais nous les rejoignons si nous regardons le christianisme uniquement pour ses profits terrestres ou, pis, comme une utopie.

Ces « saluts » ou guérisons miraculeux étaient simplement des signes, même la résurrection de Lazare qui est mort plus tard. Les railleurs n’ont pas vu que celui qui était appelé Jésus depuis sa conception, précisément parce qu’il allait sauver son peuple de ses péchés (Mt 1:21), ce Jésus n’aurait pas obtenu la sorte de salut que Dieu voulait pour nous si à leur demande, il était descendu de la croix.

C’était une coupe précieuse, « versée pour vous et pour beaucoup, pour le pardon des péchés » comme le canon de la messe nous le rappelle chaque jour, et comme le Triduum pascal revivifie chaque année.

J’ai été obligé de mettre l’accent sur cette essence de notre foi quand, récemment, des étudiants de l’Université de West Virginia m’ont demandé de parler sur le sujet : « Pourquoi devrions-nous être ou nous considérer comme chrétiens ? » J’ai pu le faire grâce à l’admirable initiative des dominicains, appelée L’Institut thomiste, destiné à « promouvoir la vérité catholique dans notre mode contemporain », particulièrement sur les campus universitaires.

Que signifie cette question ? Le christianisme est quelque chose d’énorme après deux millénaires ; il n’y a plus rien de « simple » à son sujet. Le grain de moutarde à grandi et est devenu un très grand arbre. Il a toujours été une foi qui veut engager chaque aspect de notre être : « cœur, âme, force, et esprit. » (Mt 22 : 37)

Et aujourd’hui il est devenu dans le monde « a Catholic Thing » une « Chose Catholique », qui contient à la fois : un système doctrinal de profondes vérités ; un système sacramentel qui fournit une mystérieuse nourriture spirituelle ; un système d’enseignement éthique fiable et sage ; et aussi un système (oui, appelons-le comme cela) de prière, d’ascétisme et une vocation à devenir co-rédempteur de Notre Seigneur par la souffrance.

Cette « Chose catholique » nous fait don, hic et nunc, d’une vie pleine de vérité, de beauté et de bien ; nous pouvons sentir le but de cette catholicité, cette totalité, comme réfracté par tant de saints, de lumières et d’œuvres.

Il n’est pas possible de décider pour ou contre le christianisme sans décider pour ou contre Newman, Péguy, Dante, Copernic, Boèce, Noël, les anniversaires de naissance, la cathédrale de Milan, sainte Thérèse, Chesterton, Mendel, Léonard, le Dream d’Elgar, la Somme théologique, Pied Beauty1, Flannery O’Connor, Georg Cantor, le Miserere d’Allegri, Silent Night, saint François, la Chapelle Sixtine, la Pietà, la belle église au bas de la rue (si vous avez cette chance), Thomas a Kempis – pour ne pas parler de l’abolition de l’esclavage, du concept de droits naturels, des universités et des hôpitaux, de la courtoisie, de l’amour chaste, du respect des mères au foyer, du respect des enfants, et d’une société libre en principe – pour donner une liste bizarre et « de ma paroisse ». Mais vous comprenez.

Il est tout à fait logique alors de dire à une jeune personne : « Vous avez été créé pour embrasser le tout de la vérité, de la beauté et du bien, et pourriez-vous trouver un autre moyen de commencer à le faire avec enthousiasme, avec tout votre être ? » Tout collège catholique devrait présenter cet argument à ses étudiants.

Mais ne manquons pas de dire et redire que cette Chose catholique n’existerait pas si Jésus n’était pas venu nous sauver de nos péchés. La civilisation chrétienne superpose trois dimensions : l’homme créé, l’homme tombé, l’homme racheté (toute grande chose comprend les trois). Sa plénitude présuppose et ne cache pas le péché.

Même alors, je le soupçonne, le pouvoir de l’argument dépendra du sentiment personnel du péché que ressent l‘auditeur. Ce n’est pas simplement un sens esthétique.

Nous ne pouvons pas vraiment avoir le sentiment du péché sans réflexion et introspection. Et le péché est senti ici souvent, je pense, à travers un sentiment de la jeunesse perdue. Qu’est-ce que la jeunesse, après tout, sinon le sentiment que la vie est un don magnifique ? Pensez au Journal d’Anne Frank – et l’appel spécifique de la personnalité de l’auteur, une jeune fille. Une telle jeunesse a aussi le sentiment qu’il ne devrait pas y avoir de mort.

Nous savons intellectuellement que tout le monde meurt, mais très peu d’entre nous conservent au-delà de la jeunesse, dans leur cœur, le sentiment que nous ne sommes pas faits pour mourir.

Ce que je maintiens, c’est que choisir le plein accomplissement de la vie ne consiste pas seulement à embrasser le bien, mais doit aussi être un appel à sauver du mal : c’est l’expression de l’appel, que fait quelqu’un qui entre peut-être dans l’âge adulte et qui sent en lui-même que, par ambition médiocre, mauvais choix, mauvais amis, et mauvaises habitudes, il n’est plus la personne qu’il était enfant. Il a perdu sa vie. Cette vie a besoin d’être sauvée. Pour devenir un chrétien, pour lui, il n’y a qu’une chance de recouvrer la vie telle qu’il l’a connue autrefois, un don, avec la promesse de l’immortalité.

C’est sûr, certains d’entre nous, des clercs surtout, ceux qui sont « signes de contradiction », peuvent avoir la vocation de semer l’ennui, s’il le faut, en proclamant publiquement la nécessité pour d’autres de se repentir de leurs péchés. Il y en a trop peu, ce qui est aujourd’hui choquant, simplement pour s’abstenir de bénir le péché.

Mais si mon argument est correct, dans la mesure où il l’est, alors la voie royale pour un clerc de témoigner du péché le serait par une vie droite, marquée par l’optimisme et la jeunesse – comme quelqu’un qui traversé la Nuit qui « restaure l’innocence et donne aux affligés la joie ».

  1. Poésie de Gerard Manley Hopkins