Deux sortes de communautés - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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Deux sortes de communautés

Traduit par Bernadette Cosyn

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Le mot « communauté », comme à peu près tous les mots, revêt plusieurs sens. Je veux traiter ici de deux d’entre eux.

Parfois, quand nous parlons d’une communauté, nous avons en tête ce qui pourrait être appelé une communauté morale. Par exemple, une famille, ou un petit groupe d’amis très proches. Mais une telle sorte de communauté n’a pas besoin d’être petite. Elle peut être vaste, et même immense. Des exemples d’une vaste communauté morale seraient une tribu antique, une nation (la France, l’Allemagne, la Chine, les USA), une religion (l’Eglise Catholique, la communauté musulmane mondiale) ou un mouvement politique (par exemple le nazisme ou le communisme).

Une communauté morale possède au moins quatre marqueurs : (1) un profond sentiment d’appartenance, le sentiment qu’il y a une « connexion » très spéciale entre les différents membres du groupe ; (2) un consensus sur de nombreuses croyances et valeurs importantes (importantes aux yeux des membres de la communauté) ; (3) des sentiments d’amour et de dévotion indéfectibles à l’égard de la communauté morale et (4) le sentiment que la communauté est plus importante que l’individu et que par conséquent le membre devrait désirer se sacrifier pour le bien de la communauté – et que, en cas de nécessité, il désire risquer sa vie pour le bien de la communauté.

L’appartenance à une communauté morale procure le sentiment que sa propre vie a du sens. Je peux être sans importance en tant qu’individu mais ma communauté morale est assurément très importante et en y adhérant, j’acquiers une importance d’emprunt. La communauté morale m’offre également un gouvernement moral, elle me dit ce qui est bien ou mal, quelle sorte de vie je dois mener.

Une sorte de communauté fort différente pourrait être appelée « communauté utilitaire ». Par exemple l’ensemble des passagers d’un train ou d’un avion, les collègues au sein d’une même entreprise, l’ensemble des clients d’un supermarché, les camarades de classe dans une grande université.

Une association utilitaire est marquée par quatre caractéristiques carrément à l’opposé de celles d’une communauté morale : (1) bien que sachant avoir une certaine relation avec les autres membres de la communauté utilitaire, ce n’est pas une connexion « spéciale », il n’y a pas ou peu de familiarité ; (2) nous ne partageons pas de croyances et valeurs importantes, excepté par accident (par exemple je suis musulman dans un avion ne transportant que des musulmans) ; (3) bien que pouvant avoir des sentiments de loyauté à l’égard de la communauté utilitaire, nous ne ressentons pas d’amour ou de dévotion à son égard ; (4) nous ne considérons pas que l’association utilitaire est plus importante que nous comme individus ou que nous devrions être prêts à faire d’exceptionnels sacrifices pour le bien de l’association utilitaire et nous ne croyons certainement pas que nous devrions être prêts à mourir pour elle.

La communauté morale fait appel au côté altruiste de notre nature. La communauté utilitaire au côté égoïste.

Naturellement, une communauté particulière peut être des deux sortes simultanément. Prenez les Etats-Unis, par exemple. D’un côté ils sont, et ont toujours été, une communauté morale pour laquelle les patriotes sont prêts à mourir – et sont effectivement morts par centaines de milliers depuis leur création. Dans le même temps, c’est une association utilitaire, une grande zone de libre-échange qui procure aux gens d’immenses opportunités de vendre et d’acheter et de gagner beaucoup d’argent.

Maintenant, j’ai l’impression – mais c’est seulement une impression et je n’ai aucun moyen de le prouver – qu’au cours du dernier demi-siècle les Etats-Unis sont devenus davantage une association utilitaire et beaucoup moins une association morale. En d’autres mots, les Américains pensent leur pays plus comme une communauté qui satisfait, ou du moins devrait satisfaire leurs besoins et désirs égoïstes qu’une communauté requérant leur amour et leur dévouement.

S’il en est ainsi, cela aide à comprendre le grand déclin de l’Eglise Catholique aux USA grosso modo au cours du dernier demi-siècle. Nous, catholiques américains, appartenons aux deux communautés, l’Eglise et les USA. Si comme membres de cette dernière nous sommes encouragés à devenir de plus en plus égoïstes, il en résulte que nous serons de moins en moins attachés à l’Eglise. Le catholicisme n’est pas compatibles avec des habitudes d’égoïsme. Si je désire être un bon catholique, ou même seulement à moitié bon, je dois ressentir que l’Eglise est plus grande et plus importante que moi. Mais si, comme tout bon Américain actuel, j’ai appris à penser que mes rêves et mon développement personnel sont les choses les plus importantes du monde, le Catholicisme n’aura guère d’attraits pour moi. Il offre trop peu d’encouragements à mon individualisme égoïste.

Il y eut un temps où il était relativement facile pour un catholique américain de combiner religion et amour de la patrie. Car tous deux classait le développement personnel égoïste plus bas que le dévouement à une communauté morale. De nos jours, votre américanisme vous dit qu’il est du dernier bien de vous concentrer sur votre développement égoïste, alors que votre catholicisme vous dit que vous devriez vous focaliser sur le dévouement à l’Eglise.

Alors, que sont supposés faire les catholiques américains ? Deux choses, il me semble. D’abord reconnaître qu’il y a un profond désaccord entre le dévouement à l’Eglise, qui est essentiel dans le catholicisme, et le dévouement à soi-même qui prédomine dans la culture américaine actuelle. Deuxièmement, travailler à restaurer le patriotisme américain au sein duquel l’amour de la patrie prend le pas sur l’amour de soi.

Laissez-moi ajouter que je pense que ceux qui sont dévoués à Donald Trump, cette parfaite incarnation – jusqu’à la caricature – de l’égoïsme américain, entreprennent de restaurer le patriotisme américain par leur dévouement paradoxal à Trump.(« Rendons sa grandeur à l’Amérique ! ») En fait, je pense que ces partisans de Trump, font, paradoxalement, plus dans la bataille pour préserver l’esprit de la communauté morale que nos évêques qui, tragiquement, n’offrent pour la plupart qu’une résistance « molle » à l’esprit d’égoïsme individuel toujours grandissant.


David Carlin est professeur de sociologie et de philosophie au Community College de Rhode Island.

Illustration : « Make America great again ! » dit la casquette (« Rendons sa grandeur à l’Amérique ! »)

Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/03/09/two-kinds-of-community/