Deux niveaux de morale - France Catholique
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Deux niveaux de morale

Deux niveaux de morale

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Saint Paul prêchant à Athènes,Raphaël, V. 1515-1516. Musée du Vatican *

Saint Paul prêchant à Athènes,Raphaël, V. 1515-1516. Musée du Vatican *

Je ne connais pas d’enquête appuyant mon opinion mais je crois, et ce depuis plusieurs décennies, que beaucoup de catholiques américains, peut-être même la plupart, assimilent la morale chrétienne et celle de la loi naturelle. Ils croient que ce que la loi chrétienne proscrit ou prescrit, c’est ce que la loi naturelle prescrit ou proscrit.

Mais cette équation me semble hautement improbable. Car cela signifierait que la règle morale que Jésus-Christ nous a annoncé était la même que celle que nous avions toujours connue. Il ne nous disait rien de nouveau. Il ne faisait que répéter ce que les humains avaient toujours su. Il ne nous donnait pas une révélation morale ; il ne faisait que nous donner un rappel.

De plus, Thomas d’Aquin souligne dans le « Traité sur la loi », dans la « Somme théologique » (Ia-IIae, 90-208) que nous humains avons deux finalités : une finalité naturelle qui peut être remplie durant notre vie temporelle et une finalité surnaturelle qui ne peut être accomplie que dans le monde à venir. Mais si nous avons deux finalités, cela ne fait-il pas sens qu’il y ait deux lois morales, une inférieure pour notre vie naturelle, une supérieure pour notre vie surnaturelle ?

Je suis réticent à utiliser ici le vocable « loi naturelle » puisque cette expression a, et depuis de nombreux siècles, une variété de définitions selon ses utilisateurs. Au résultat, mon usage de cette expression est plus susceptible d’embrouiller le lecteur que de l’éclairer.

Mais ce que j’ai à l’esprit en parlant d’une morale temporelle inférieure, c’est une morale qui contraint tous les êtres humains, peu importe le siècle ou le lieu où ils vivent ; plus profondément, c’est une morale qui est connue, aux moins dans ses principes de base, de tous les êtres humains. C’est une morale sur laquelle nous sommes tous d’accord.

La meilleure brève description que je connaisse de cette morale commune a été donnée par Cicéron, qui, bien que non Stoïcien lui-même, empruntait les idées des Stoïciens. Cela apparaît dans son ouvrage partiellement conservé « La République », où il dit que c’est la loi de Dieu ou la loi de la nature ou la loi de la raison ; qu’elle est connue de la même manière à Rome, Athènes et partout ailleurs, et qu’elle ne nécessite pas de professeur de droit pour l’énoncer. C’est un passage merveilleux, Cicéron au meilleur de sa rhétorique, mais, même dans sa brièveté, trop long pour que je le cite entièrement ici.

Bien que souhaitant distinguer entre cette morale commune « inférieure », saisie par la raison, et la morale chrétienne « supérieure », reçue par la révélation, je reconnais qu’il y a un grand recoupement entre les deux. C’est-à-dire que toutes les bonnes choses recommandées par la morale commune et toutes les mauvaises choses bannies par elle sont semblablement recommandées et bannies par la morale chrétienne. Toutes deux interdisent, par exemple, le meurtre, le viol et le vol. A cause de cela, Jésus, outre nous donner de nouveaux commandements, nous a également rappelé les commandements que nous sommes capables de connaître sans Lui.

Vous pourriez demander des exemples de la morale « supérieure ». Le plus important est, je pense, la loi chrétienne de la charité : la loi qui nous dit que nous devons aimer notre prochain comme nous-mêmes, ce prochain étant défini dans la parabole du Bon Samaritain, à savoir tout membre de la race humaine.

Dans le monde gréco-romain pré-chrétien, l’importance de l’amour sacrificiel était reconnue et admirée. On devait aimer sa famille, ses amis et son pays ; et montrer cet amour par un empressement allant jusqu’à mourir pour eux. Dulce et decorum est pro patria mori, écrivait le poète romain Horace. Mais vivre, travailler et mourir pour des inconnus ? Pour des étrangers ? Pour des habitants de pays lointains ? Et même pour des ennemis ? Jamais entendu parler. C’était un idéal moral – ou plutôt un commandement moral – que le christianisme a introduit dans le monde.

Et il y en a eu d’autres. Prenez la vertu d’humilité. Les anciens reconnaissaient une telle vertu – chez les esclaves et autres personnes de basse extraction. Ces gens devaient naturellement avoir un esprit d’humilité. Le christianisme a transformé cette vertu servile en l’étendant à tous les humains. Pas seulement les esclaves, mais les nobles et les riches, les rois et même César lui-même devaient être humble devant la face de Dieu.

Et la chasteté. Les anciens soutenaient que les femmes devaient être chastes. Le christianisme enseignait que tous les humains, les hommes aussi bien que les femmes, ont à être chastes. Le christianisme est même allé plus loin, enseignant que l’hyper chasteté d’un moine ou d’une moniale (à l’imitation de l’hyper-chasteté de Jésus Lui-même) était même supérieure que la chasteté ordinaire.

Et le courage. Les anciens avaient une immense admiration pour le courage, le courage guerrier des héros d’Homère ou d’Alexandre le Grand. Mais le christianisme  enseignait une nouvelle forme de courage, non le courage actif du guerrier, mais le courage passif de la personne qui souffre dans le service de Dieu : le courage de Jésus sur la Croix et des martyrs voulant souffrir et mourir pour la foi.

Le christianisme (au moins dans sa forme catholique) enseigne que le mariage est indissoluble. En opposition, la morale commune ou loi naturelle enseigne que, bien que l’idéal soit le mariage stable, le divorce et le remariage sont permis dans certaines circonstances malheureuses. […]

Si j’ai raison dans ce qui précède, certaines actions qui sont péchés d’un point de vue chrétien ou catholique sont des actions moralement permises du point de vue morale commune (ou loi naturelle). E d’autres mots, et c’est un paradoxe, en l’absence de Jésus, vous pouvez être à la fois un pécheur et « une personne recommandable ».

— 

* C’est une des douze tapisseries réalisées selon des cartons peints par Raphaël et tissées dans l’atelier bruxellois de Pieter van Aelst. Toutes les tapisseries ont été restaurées et brièvement exposées dans la chapelle Sixtine, leur lieu d’origine, avant d’être transférées sous verre pour une conservation sûre dans un autre endroit des Musées du Vatican.