Des éléphants dans le salon - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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Des éléphants dans le salon

Traduit par Bernadette Cosyn

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La religion chrétienne est-elle en quelque manière en rapport avec le monde moderne ?

Ayant beaucoup lu à propos « d’éléphants dans le salon » ces derniers temps, je propose cette question éléphantesque. Comme la plupart des autres grandes questions, elle a été sur le tapis depuis pas mal de temps (il semble que nous ayons tout un zoo) sans avoir été convenablement reconnue. A l’occasion on décrit une trompe, une oreille, un ventre, un genou ou une queue, mais rarement en référence avec le reste de l’animal.

C’est compréhensible. Les éléphants sont grands, nous sommes petits ; les pièces d’une maison sont intellectuellement circonscrites. Après un certain laps de temps, l’habitude de travailler autour de grandes choses, comme des éléphants, devient enracinée. C’est tenu pour acquis, normalisé. Nous ne remarquons les éléphants que lorsqu’ils bougent, et alors nous voyons cela comme un problème local.

Bien sûr, quand il est question d’éléphants, toute une pièce peut être remplie de problèmes locaux.

Pourtant, aucun ne peut être isolé en ce qui concerne les causes.

Questions en rapport : comment l’éléphant est-il rentré dans le salon ? Et, étant donnée la petite taille de nos portes, comment le remettre dehors ?

Mes honorables lecteurs auront deviné que mon éléphant – NOTRE éléphant selon moi – n’est pas un animal physique mais une comparaison. C’est quelque chose de si énorme que tout le monde est affecté par ses soubresauts et ses grognements. Cela aurait un nom que nous pourrions en convenir.

Car tous les noms proposés semblent inadéquats à son envergure. J’utiliserai le mot « Technologie », auquel, pour l’objectif présent, j’ai alloué une majuscule.

Partout dans le monde, jusque très récemment dans l’histoire, la famille était l’unité économique de base. Il n’y avait pas de chômage. Tous les membres de la famille travaillaient, indépendamment de leur âge, de leur race de leur ethnie ou de leur « genre », à l’exception des physiquement inaptes. Ceux-là étaient pris en charge par leurs familles.

C’est vrai, il y avait des entreprises de plus grande envergure, voire même internationales, mais même elles pouvaient être analysées comme des chaînes d’entreprises familiales. La presque totalité de la population était agricole. On faisait pousser la nourriture, on filait et tissait les vêtements dans des maisonnettes construites par les familles et ce qu’elles ne faisaient pas pour elles-mêmes était échangé principalement par troc.

Et c’était vrai même en Amérique durant plusieurs décennies après la Guerre d’Indépendance ou la rédaction de la Constitution des Etats-Unis. Cela a continué à être vrai dans les régions rurales au siècle dernier et durant ma propre jeunesse, j’ai voyagé dans des régions de l’Inde où c’était toujours essentiellement vrai. Un paradis écologique pour certains : avant l’électrification, avant la puissance dans tout sauf le biologique, avant les bouteilles de shampooing et les autres problèmes de pollution.

Ce n’était pas simplement « un mode de vie », c’était le seul mode de vie possible avant que la Technologie rende possible de grandes unités de production.

Il peut y avoir des controverses mineures pour tenter de distinguer des vagues au sein du tsunami général. Dans l’espace de cet article, je ne vais pas m’y hasarder, mon opinion étant que ce qui est appelé l’ère « post-industrielle » – dans laquelle les services prennent le pas sur la production dans notre économie et où les algorithmes informatiques remplacent les chefs – n’est qu’une extension de la même vieille révolution industrielle.

Comme Aaron M. Renn en a débattu dans son essai sur la masculinité, les conséquences sur le « patriarcat » , c’est-à-dire la vie de famille traditionnelle, sont universelles.

Autrefois, les hommes dirigeaient la maisonnée – les familles, incluant les familles étendues – qui étaient des unités économiques complètes ou quasi complètes, chaque membre effectuant les tâches pour lesquelles il semblait le plus doué par nature.. Le travail était de ce fait réparti par habitude entre les hommes, les femmes et les enfants ; la transmission était assurée, de même que la survie.

Le divorce, la désobéissance, la délinquance étaient impensables. Ils auraient immédiatement conduit à la famine. Pour la vision des choses moderne et féministe, cela signifie que les femmes et les enfants étaient asservis.

Mais les hommes l’étaient également, par ce que les libéraux des Lumières ont appelé le lien « contractuel » (mais qui était en vérité pré-contractuel). Des habitudes d’assiduité, de responsabilité, d’honnêteté, de décence leur étaient inculquées par les conditions de vie mêmes. Car leurs « sujets » les regardaient droit dans les yeux et devenaient intimement au courant de tous leurs vices et vertus. Un homme ne pouvait rien cacher, ne pouvait pas se comporter de façon fautive sans voir son propre reflet sur le visage de chacune de ses personnes chères.

Ainsi va le monde, et il y a toujours eu des ratés.

Le point crucial est que cette antique unité familiale a commencé à se fissurer avec les fabriques de la Révolution Industrielle. Les individus appartenant à la famille sont devenus, en sus, membres d’une force de travail, organisée extérieurement à elle. L’efficacité a été redéfinie.

Même si les femmes restaient à la maison, toujours cuisinant, filant et agissant comme premiers éducateurs, les hommes étaient maintenant hors de la maison. Ils travaillaient pour de l’argent, à des tâches qui n’avaient pas existé pour leurs pères et grand-pères.

Petit à petit, et jusqu’à ce jour, les femmes ont trouvé des métiers aussi, d’abord du travail aux pièces à domicile puis dans des usines. Le foyer est alors devenu une sorte d’hôtel jusqu’à ce que, avec de nouveaux progrès de la Technologie, la famille a même cessé d’être le refuge du repas du soir.

A l’heure actuelle, nous sommes tous « trans ». Hommes et femmes sont traités comme s’ils étaient interchangeables, et depuis le développement de l’instruction publique, toutes les fonctions traditionnelles de la famille ont été sous-traitées. De nos jours, la famille n’existe plus que comme unité de consommation, et encore, vu la restauration rapide et le tout rapide.

La religions chrétienne (comme toute religion) est basée sur les arrangements sociaux fondamentaux et universels d’avant la modernité. Ceux-ci n’existent plus, à moins d’être volontairement adoptés. Mais ils ne peuvent être adoptés sans ingérence totale par les vastes agences gouvernementales et industrielles qui a cette heure-ci assurent toutes les anciennes fonctions patriarcales. On pourrait dire, comme le font certaines féministes, que cela rend les hommes inutiles. Cela rend également inutiles les femmes et les enfants, exceptés comme force de travail, laquelle devient également inutile en raison des avancées techniques en production. Les avortoirs ont alors tout leur sens : d’abord pour libérer les femmes de toute entrave à leur employabilité et ensuite pour supprimer progressivement les hommes et les femmes.

Selon moi, c’est cela l’éléphant dans notre salon. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour l’héberger. Peut-être que nous devrions œuvrer plutôt à ré-héberger le christianisme.

Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/10/13/meanwhile-some-other-catholic-things/

Illustration : « Hannibal traversant les Alpes » par Nicolas Poussin, vers 1625 (collection particulière).

David Warren est ancien rédacteur du magazine Idler et chroniqueur de journaux canadiens. Il a une profonde expérience du Proche-Orient et de l’Extrême-Orient.