Des âmes souffrantes - France Catholique
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Van Eyck, l'art de la dévotion. Renouveau de la foi au XVe siècle
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Des âmes souffrantes

Traduit par Bernadette Cosyn

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Il y a beaucoup d’arguments solides, pour ou contre l’existence de Dieu. Mais l’un des défis les plus percutants à l’idée d’un Dieu bon et aimant, sur le modèle biblique (les dieux païens assoiffés de sang et capricieux sont un autre sujet) est la souffrance des innocents. Un athée britannique contemporain a fait cette réflexion que si on lui demandait pourquoi Dieu n’existe pas, il répondrait simplement : « cancer des os chez un enfant ».

Austin Ruse, l’un des fondateurs de The Catholic Thing et précédemment contributeur régulier relève ce défi dans son nouveau livre, concis mais fondamental « The Littlest Suffering Souls : Children Whose Short Lives Point Us to Christ » [Les plus petites âmes souffrantes : des enfants dont la courte vie nous montre le Christ]. Le christianisme, affirme-t-il, est seul parmi les religions et philosophies à trouver du sens à la souffrance en tant que telle. Le stoïcisme et la plupart des autres croyances se contentent de prendre la souffrance comme un fait naturel et d’offrir des techniques pour la supporter.

Mais ce livre n’est pas un argument abstrait. Ruse traite en détail plusieurs cas concrets : Margaret Leo et Brendan Kelly (tous deux de Washington D.C.) et Audrey (le nom de famille est gardé secret à la requête des parents), une fillette qui a vécu et est morte aux environs de Paris.

Austin est un ami et collaborateur de longue date (ces histoires ont commencé dans les colonnes de The Catholic Thing et ont suscité des centaines de réactions venues du monde entier). Mais je peux dire, objectivement, que le résultat est quasi miraculeux. Qui savait que de saints enfants souffrants pourraient être, pour ceux les connaissant ou en ayant juste entendu parler, une preuve vivante de l’existence d’un Dieu aimant ?

Il est presque impossible d’écrire convenablement à propos de la dimension spirituelle des enfants subissant les tortures médicales. Ce qui se fait généralement est pieux, dans le mauvais sens du terme, et donc d’un sentimentalisme de mauvais aloi. Flannery O’Connor, toute grande et imperturbable qu’elle fut, a tremblé, pour cette raison, quand les Dominicains de Hawthorne lui ont demandé une introduction à « A Memoir of Mary Ann » [Mémoires de Mary Ann], le récit d’une autre jeune souffrante dans les années 60.

Le cardinal Burke a écrit un avant-propos pour cet ouvrage et en fait l’éloge. Citant Jean-Paul II, il rappelle qu’il n’y a que dans le christianisme que nos souffrances – même celles des plus petites âmes – participent à la souffrance rédemptrice de Jésus.

Austin Ruse saisit cela dans le récit de ces histoires mieux que tout autre écrivain que je connaisse : préservant les sentiments adéquats (et non la sentimentalité) mais communiquant également l’humour occasionnel et les ultimes inspirations de ces jeunes vies sans le moindre mot mal fondé. (Et tant que j’y pense, merci aussi à la société TAN Books pour avoir produit un livre tout simplement beau.)

La vérité est que même les parents et la famille peuvent en venir à haïr Dieu dans de telles épreuves – et que leurs enfants souffrants les ont souvent aidés.

Deux des enfants présentés avaient un père important. Leonardo Leo est vice-président exécutif de la Federalist Society, un groupe d’avocats qui a conseillé le Président Trump pour la récente nomination à la Cour Suprême. Frank Kelly préside les affaires gouvernementales mondiales pour la Deutsche Bank. Tous deux étaient au Centre d’Information Catholique du District cette semaine quand le livre a été présenté, des hommes très talentueux mais – vous pouviez le voir – quasiment muets quand interrogés sur leurs enfants. D’où l’intérêt accru de ce livre.

Brendan Kelly était atteint de trisomie 21 et à l’âge de deux ans, on lui diagnostiqua une leucémie. Il est mort à seulement 16 ans après une série de drames médicaux, ponctués de beaucoup d’amour et d’événements inexplicables et miraculeux qui ont touchés des gens en nombre incroyable – y compris un long épisode avec le pape Jean-Paul II à Castel Gandolfo qui vous fera hurler de rire. Deux mille personnes sont venues à ses funérailles.

Margaret Leo avait une forme de spida bifida si sévère qu’elle est généralement fatale en dépit des progrès médicaux. Quand l’amniocentèse la révèle, la plupart des enfant sont avortés de nos jours : leur qualité de vie sera si médiocre. Margaret a passé sa vie entière dans un fauteuil roulant en raison des déformations de sa colonne vertébrale : quand on a voulu insérer des barres de titane pour tenir son dos droit, elles se sont tordues. Pourtant cette minuscule fillette ne s’est jamais plainte ni n’a semblé ressentir de la peur, elle avait une foi toute simple, et un don formidable pour l’amitié, en dépit du fait que beaucoup de gens éprouvent une répulsion vis à vis des personnes handicapées en chaise roulante. Elle est morte, assez soudainement, mais des événements miraculeux ont suivi sa mort.

Audrey est morte à 7 ans après des années de lutte contre la leucémie. Sa famille française était catholique de nom et ne l’avait pas instruite dans la foi, mais à l’âge de trois ans, c’est elle qui les instruisait. Repérant un crucifix dans un confessionnal, elle dit : « rien qu’à Le regarder, on L’aime ». Elle se soumit d’instinct à des mortifications, distribuant ses friandises ; faisant des actes de pénitence sans que personne ne lui ait dit ce que cela signifiait ; elle insistait pour qu’on dise le bénédicité avant les repas (ce n’était pas une pratique familiale) ; elle semblait connaître des passages des Evangiles sans qu’on les lui ait enseignés ; elle vivait perpétuellement, beaucoup le sentaient, en présence de Dieu.

Ce ne sont que les grandes lignes des histoires de trois saints enfants qui ont beaucoup à nous apprendre qui se poursuivent selon les lignes attendues. Mais le fait qu’ils soient originaires de familles connues a également une signification, explique Austin Ruse. Comme il mentionne leurs différentes relations, il dit : « je suis conscient de faire ce qu’on appelle habituellement faire étalage de gens célèbres ; cela est délibéré, mais devrait avec un peu de chance être excusé, car fait pour mettre l’accent sur un aspect particulier de ces « petites âmes souffrantes »… [ils] n’étaient pas des enfants paysans gardant leurs troupeaux. Ils étaient nés dans des familles influentes, des familles habitant un milieu particulier, le centre du pouvoir, Washington. Pour faire court, ils étaient également nés dans une sorte de désert spirituel, un environnement au sein duquel les choses terrestres prennent si facilement la priorité sur les choses de Dieu, et ils ont eu – ils ont toujours – des leçons à enseigner aux habitants de ce désert particulier. »

Dans notre Eglise troublé, dans notre état troublé, nous avons récemment débattu de l’option bénédictine, de l’option dominicaine et de tant d’autres « options ». Il y a quelque chose à dire au bénéfice de chacune d’elle, bien sûr. Mais selon moi, et pas seulement à Washington, l’option des âmes souffrantes les bat toutes.

Robert Royal est rédacteur en chef de The Catholic Thing et président de l’institut Foi & Raison de Washington.

Illustration : la couverture du livre d’Austin Ruse

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/04/27/suffering-souls/