Comment y arriver en partant de là - France Catholique
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Saint Benoît, un patron pour l'Europe
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Comment y arriver en partant de là

Traduit par Isabelle

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Mon fils de neuf ans, Mark, m’a demandé : « Papa, peux-tu remettre les Interludes maritimes à partir du début. »

Je me suis émerveillé, et je me demandais : Combien d’autres enfants de 9 ans dans le pays savent seulement ce que sont les Quatre interludes maritimes, encore moins ont envie de les entendre jouer depuis le début ?

Mon ordinateur était ouvert sur mon bureau, et j’étais allé sur You Tube et avais commencé à passer les Interludes maritimes. Je me suis levé pour chercher du café quand Mark est descendu au rez de chaussée, a remarqué le morceau qui était déjà commencé, et s’est mis à me demander de le repasser depuis le début.

Ok Mark est un garçon très spécial, mais surtout en ce qui concerne les sports. Ce n’est pas seulement son père qui le dit, mais aussi ses professeurs. Mais il n’est pas un prodige en musique. On le remarque surtout pour son entrain et pour le fait qu’il ajoute le son « aie » après chaque voyelle. (Quand nous l’avions perdu lors d’une fête aéronautique, la police a failli refuser de nous le rendre : « Vous avez dit qu’il s’appelait Mark, mais lui dit qu’il s’appelle Mike. »)

Eh bien, comment un garçon ordinaire acquiert-il une passion pour les Interludes maritimes? Par une forme mystérieuse d’osmose que les bons parents connaissent. Son père les aime et les écoute – et il en parle aussi librement et naturellement, pose à ses enfants des questions sur ce morceau. (« Laquelle des quatre préfères-tu ? Ma favorite est ‘Clair de Lune’. C’est un morceau si triste et pensif.)

En fait, pour tout dire : son père a décidé qu’il emmènerait ses six enfants assez mûrs pour assister au concert symphonique National. Parce que c’est cela que font les adultes : ils vont au concert. Il faut que les enfants entendent un concert en direct. Il faut qu’ils voient de leurs yeux ce que cela veut dire pour une centaine d’artistes très compétents de coopérer ensemble pour réaliser un seul effet. Il faut qu’ils s’habillent et sortent et fassent quelque chose de poli en public. Il faut qu’ils soient participants, pas seulement observateurs, de la culture d’une grande ville.

Quelqu’un pourrait me dire que 7 billets au deuxième balcon pour un total de 200 dollars, c’ est une extravagance (et c’est ce qu’a dit ma femme). Mais c’est sûrement une somme modeste, par rapport à ce que cela apporte, et c’est un montant immatériel par rapport à ce que l’on dépense en tout, et avec raison, pour l’éducation des enfants.

Au programme, il y avait la 5° symphonie de Chostakovitch, le premier concerto pour piano de Prokofiev, et – les quatre Interludes maritimes de Peter Grimes, de Benjamin Britten. Des semaines à l’avance, prudemment, le père de Mark a commencé à passer ces disques à la maison, en toute occasion – en voiture, après dîner sur une chaine stéréo, le matin au petit déjeuner sur l’ordinateur. Pas assez souvent pour que cela devienne ennuyeux, ou que la combine devienne évidente. Mais juste assez pour que ces morceaux deviennent familiers. Parce que nous aimons ce qui nous est familier.

C’est William F. Buckley Jr qui m’a appris, il y a des années, que la familiarité est la clé qui permet de transmettre l’amour de la musique classique. Il a écrit quelque part que quand il était enfant, ses frères et sœurs et lui avaient passé un mois chez un parent qui insistait pour que chaque jour après dîner, la famille se retrouve ensemble dans le salon et s’asseye calmement pour écouter de la musique classique pendant environ une demie heure. Buckley disait qu’après ces quatre semaines il était accro. Il s’était mis à aimer la musique classique.

L’amour de la musique classique doit se préparer sur une longue période. Mark n’a pas commencé à en écouter quand il avait 9 ans, ou 8 ans. Toute sa vie il en a écouté et fait l’expérience de l’amour de son père pour elle.
Tout cela est très intéressant, et peut-être digne d’être imité d’une manière ou d’une autre, mais sans aucun doute, vous vous attendez à ce qu’une leçon en soit tirée, et je ne vais pas vous décevoir.

L’exemple de Mark m’a fait réfléchir : Supposons qu’un père de famille qui n’aime pas la musique classique veuille arriver au même résultat. Supposons par exemple un homme d’affaires avec une mauvaise oreille, ou un juriste n’ayant pas de patience pour ce genre de choses. Est-ce qu’une telle personne pourrait élever un enfant de 9 ans normal de telle manière qu’il réclame qu’on repasse depuis le début les Interludes maritimes ? Je suppose qu’il lui faudrait louer les services de quelqu’un pour le faire. Mais est-ce que cela pourrait être transmis par une personne payée pour cela ? Comment est-ce que cela pourrait marcher ?

Non, je pense qu’il ne pourrait pas y arriver en partant de là. Ce qui serait nécessaire, c’est ce qu’Aristote a dit sur la manière d’être d’un roi idéal : Il aurait à peine besoin de faire passer une loi, puisque ses loyaux sujets, par une sorte d’inclination naturelle, voudraient le suivre. Ils aimeraient ce qu’il aimerait.

Et voilà ma leçon : C’est une leçon à propos des universités, de toutes les universités, quoique plus particulièrement catholiques – peut-être parce que je suis professeur d’université, et que mon esprit va dans ce sens.

La leçon que je voudrais en tirer est que les universités qui ont comme directeurs des hommes d’affaires, ou plus généralement des personnes qui ne sont pas des universitaires, sont grandement gênées pour faire passer aux étudiants un vrai goût d’apprendre. De même, si les professeurs ne sont pas titularisés, mais ne sont considérés que comme de simples employés, ils ne sont finalement que des « mercenaires » qui seront gênés dans cette tâche.

En tous cas, on peut dire cela en faveur du système tant dénigré des titularisations : cela crée un corps enseignant de l’université, et ce corps enseignant peut au moins être comme une « famille » stable, qui a sa propre vie, et dans laquelle les étudiants peuvent pénétrer et participer. Certains soutiennent que la titularisation est incompatible avec « l’étudiant consommateur ». Exactement.

Oui, il peut exister des îlots d’amour de l’étude, et des mentors savants, et des directeurs de thèse, en de tels endroits. Mais les dispositions institutionnelles permettant de trouver un chemin vers « l’osmose mystérieuse » que j’ai mentionnée n’existeront pas, tout simplement.

L’amour est mystérieux et étrange. Cela au moins est vrai : l’amour n’est attisé que par l’amour. C’est ainsi que se transmet la foi, et la culture, et la connaissance aussi, dans la foi.

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/04/08/how-to-get-there-from-here/

Gravure : New York, Premiere de Britten’s Peter Grimes [The Met, 12 février 1948]