Comme une eau limpide - « SOIF DE PAIX. Religions et Cultures en dialogue » Assise, 18-20 septembre 2016 - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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Comme une eau limpide – « SOIF DE PAIX. Religions et Cultures en dialogue » Assise, 18-20 septembre 2016

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Ce sixième rassemblement à Assise démontre combien l’initiative de 1986 a été prophétique. Andrea Riccardi n’a pas eu le triomphe modeste, mais il a raison. « Extravagance », « événement isolé », « folie d’un jour », l’idée a été souvent brocardée. Les paroles de saint Jean-Paul II ce 27 octobre 1986 constituent plus que jamais la référence indépassable. Le pape François n’a d’ailleurs pu que les répéter : « Peut-être que jamais comme maintenant dans l’histoire de l’humanité, le lien intrinsèque qui unit une attitude religieuse authentique et le grand bien de la paix est devenu évident pour tous. »

L’esprit d’Assise, comme l’a nommé Benoît XVI lors du 20e anniversaire, c’est d’abord le dialogue des religions et des cultures, le fait de faire cohabiter quelque cinq cents représentants religieux et civils, asseoir autour de la même table ronde un cardinal italien, un pasteur évangélique canadien, un évêque orthodoxe serbe, un dignitaire bouddhiste japonais, un rabbin allemand, un imam irakien, les réunir dans une même célébration « sans syncrétisme et sans relativisme », leur faire signer une déclaration commune. Ce n’est certes pas une fin en soi. Mais on oublie combien ceci était loin d’être acquis dans les années 1980. La chute du mur de Berlin, puis la balkanisation de la Yougoslavie, enfin le terrorisme islamiste ont remis la religion en soi de façon indifférenciée au cœur de l’histoire et de ses violences. Cette situation a poussé les responsables des divers cultes à serrer les coudes pour se défendre ensemble de l’accusation commune, laver les croyants du péché de pousse-au-crime.

Il ne suffisait pas de plaider non coupable. Il fallait apporter les preuves. En bref démontrer la capacité des religieux et des hommes de bonne volonté à œuvrer ensemble pour construire la paix. On sait que la communauté Sant’Egidio a joué un rôle précurseur dans cette étroite alliance entre l’action et la prière. C’est ce lien que chaque rendez-vous cherche à approfondir, instruit par les expériences de l’année en cours.

Ainsi l’an dernier, en septembre 2015, à Tirana, le rassemblement fut pris au piège de l’afflux soudain des réfugiés syriens et autres en Europe. Plus tôt ce furent des conflits africains comme au Mozambique, ou plus récemment en République centrafricaine. Faustin-Archange Touadéra, le président élu de cette dernière à la suite d’un processus encouragé par le pape François en personne à Bangui, a témoigné à Assise. Il était l’un des trois chefs d’État présents aux côtés du président italien Sergio Mattarella et… du Grand-Duc Henri de Luxembourg, un habitué de ces rassemblements. Autre participant de premier rang, le président du Parlement sud-africain, qui a prolongé à Assise l’esprit de Mandela.

Les religieux ne se substituent évidemment pas aux autorités civiles en charge des processus de paix dans leurs propres pays ou au plan international. Ils dé­frichent le chemin que chacun à son niveau peut emprunter. François reprenait ici les propos de son prédécesseur en 1986 : « La paix est un chantier ouvert à tous et pas seulement aux spécialistes, aux savants et aux stratèges. La paix est une responsabilité universelle. » Beaucoup argueront de leur impuissance. François fustige l’indifférence, « un virus, dit-il, qui attaque le centre même de la religiosité » : entre « celui qui se lave les mains des problèmes qui ne sont pas les siens » et « celui qui juge de tout sur un clavier (…) et ne veut pas se salir les mains pour qui en a besoin », François se fait extrêmement précis : « Notre route consiste à nous immerger dans les situations et à donner la première place à celui qui souffre ; d’assumer les conflits et de les guérir de l’intérieur ; de parcourir avec cohérence les voies du bien en repoussant les faux-fuyants du mal ; d’entreprendre patiemment, avec l’aide de Dieu et de la bonne volonté, des processus de paix ».

Arrêtons-nous un instant sur ces pro­pos qui dessinent une véritable stratégie interventionniste, que certains qualifieront d’ingérence, avec des moyens et des objectifs bien identifiés et cohérents entre eux : priorité à celui qui souffre, approche de l’intérieur et non de l’extérieur, rejet des « faux-fuyants », lancement de « processus » qui supposent donc une progressivité, un travail de recherche en coopération.

Cette démarche n’est pas uniquement le produit de l’expérience de ces trente dernières années, la déduction de l’intelligence et de la raison. C’est la raison d’être de la foi. Il n’y a pas d’alternative.

C’est sur cet arrière-fond que peuvent s’apprécier les conflits de notre actualité. Et notamment le débat qui a traversé plusieurs des tables rondes : faut-il mettre la guerre hors la loi ? Le Saint-Père a bien dit : « Seule la paix est sainte, pas la guerre ! » Mais il n’a pas tranché le débat : s’il ne peut jamais y avoir de guerre sainte, cela implique-t-il qu’il n’y a jamais de guerre juste ? Il suffit de poser la question pour voir ressurgir les lignes de division idéologiques.

La question a été laissée en suspens après la guerre en Irak. Les catholiques américains favorables à George W. Bush avaient plaidé leur cause au Vatican. Le Saint-Père avait alors rejeté l’argument pour l’Irak tout en se gardant bien de dire le droit urbi et orbi. Une encyclique sur la paix est-elle envisageable ? Le co-prix Nobel de la paix 1976, la militante nord-irlandaise Mairead Maguire, n’a pas hésité à le suggérer lors de la table ronde consacrée à l’avenir de l’Europe. Présidée par le professeur Jean-Dominique Durand, de la faculté catholique de Lyon, qui avait fait la synthèse des allocutions du pape François sur l’Europe, notamment lors de la réception du prix Charlemagne cette année, cette table ronde n’était pas équipée pour en traiter au fond entre l’évêque d’Anvers, le maire de Tirana et un pasteur allemand. La parole de la nord-irlandaise semblait datée, elle relevait plus des années 1980 sur le désarmement, le pacifisme, l’hostilité aux pactes militaires, que des nouvelles perspectives postérieures à 2001 et de la lutte contre le terrorisme. Il est assez symptomatique que l’on ne se réfère plus guère à l’encyclique Pacem in terris du saint pape Jean XXIII (1963) ou au discours du bienheureux Paul VI à l’ONU (octobre 1965) : « Jamais plus la guerre. » L’idée dominante était alors celle d’un gouvernement mondial, de l’autorité des Nations unies, de la supériorité du droit international. L’échec ou la carence de ces concepts mériterait à elle seule une mise à jour, fort de la recherche accumulée pendant ces trente dernières années.

Personne n’a vraiment brodé autour du thème choisi par les organisateurs : « soif de paix ». C’est pour le moins curieux que l’association de ces deux mots n’ait pas plus retenu l’attention. Ce qui frappe dans ce titre n’est pas tant le mot de « paix » que celui de « soif ». Le Saint-Père a certes bien saisi l’image : « La paix qui comme une eau limpide ne saurait surgir des terres arides du gain à tout prix et du commerce des armes ou des déserts de l’orgueil. » Au-delà de la métaphore, et sans jouer sur les mots, s’il y a soif de paix, c’est pourtant que la paix est vue comme un élément liquide propre à étancher la soif. « J’avais soif et tu ne m’as pas donné à boire ». Dieu sait si les Évangiles sont prolixes sur cette eau vive, l’eau baptismale qui procure la paix – sauf à quelques nouveau-nés récalcitrants s’il s’en trouve encore à baptiser à leur plus jeune âge – qui fait de nous des « instruments de paix ». L’eau apaisante, l’eau qui détend les nerfs et les corps, qui adoucit, qui délaye, qui justifiait hier que les conférences de paix se tiennent par prédilection au bord de lacs, spécialement de lacs suisses. L’eau qui éteint les incendies contrairement à l’huile que l’on jette sur le feu. Liquéfier les relations humaines voilà une perspective qui ne manque pas d’intérêt.