Clergé sans ouailles - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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Clergé sans ouailles

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© Philippe Lissac / Godong

« Le prêtre entra, . . . puis enleva la pierre d’autel et la rangea dans son sac ; ensuite, il versa de l’huile sainte sur les bandelettes, les enflamma puis en dispersa les cendres à l’extérieur ; après quoi il vida les bénitiers, éteignit la veilleuse du sanctuaire et laissa ouverte la porte du tabernacle vide comme si désormais ce serait toujours un Vendredi saint. »

Mardi dernier [17 Mars 2020] — premier jour sans Messe publique dans notre diocèse — je me suis rappelé cet événement décrit dans le roman d’Evelyn Waugh Brideshead Revisited [Retour à Brideshead], quand le prêtre vint fermer la chapelle de la famille Marchmain. Les derniers mots résonnèrent dans ma tête comme si désormais ce serait toujours Vendredi saint.

Bien sûr, la comparaison n’est pas parfaite; Nous ne sommes pas exactement comme un Vendredi Saint. La Messe est toujours célébrée (quoi-que en privé), notre Seigneur Eucharistique est toujours présent, et nos églises sont toujours ouvertes aux fidèles qui viennent y prier. Cependant, bien que nécessaire, la suppression de la Messe pour le public cause une tristesse comparable à une atmosphère du Vendredi Saint. C’est comme l’éloignement d’un être cher : on sait bien où Il est, mais on ne peut être auprès de Lui.

Autre exil douloureux, celui du prêtre éloigné de son peuple. Les fidèles de par le monde souffrent de la privation de Messe. Les prêtres souffrent de l’éloignement de leurs fidèles. Ces hommes ont fait don de leurs vies pour le troupeau du Christ. Ils luttent désormais pour comprendre leur vie séparés du troupeau. Paissez le troupeau de Dieu qui vous est confié. Saint Pierre exhorte les pasteurs de l’Église [1 P, 5:2]. Mais que faire quand le troupeau n’est plus autour de vous, …et n’en a plus le droit ?

Tout cela met bien en évidence cette vérité nous concernant, desservants de paroisses : nous avons été ordonnés propter homines — pour le service du peuple de Dieu. Nos vies n’ont aucun sens sans le peuple à servir, le troupeau à mener. À la question sur ce qu’il pensait de l’état laïc le Cardinal Newman — St. John-Henry — apportait cette réponse remarquable : « sans laïcs, l’Église n’aurait pas de sens ». Il se trouve que nous autres, prêtres n’aurions alors guère plus de raison d’être.

Nous sommes douloureusement sensibles au drame qui touche un prêtre perdant de vue le sens du surnaturel et du sacré. Il devient alors non seulement inutile, mais dangereux. Un prêtre doit avant tout conserver son attention envers le domaine divin. Mais on voit à présent plus clairement le problème. Le prêtre tient le cap vers le domaine divin non pour lui-même mais pour autrui. Tout grand prêtre, en effet, pris d’entre les hommes, est établi pour intervenir en faveur des hommes dans leurs relations avec Dieu, afin d’offrir dons et sacrifices pour les péchés. [He, 5:1]. Hors de la présence de ceux pour qui il agit, un prêtre peut perdre de vue sa raison d’être.

L’interruption de la Messe pour les fidèles, comme toutes les épreuves que nous subissons, pourrait être une occasion d’approfondissement spirituel. Il nous faut tirer un bénéfice de cette épreuve. Quelle peut en être la signification pour un prêtre ?

Tout d’abord, l’absence de fidèles peut rappeler aux prêtres qu’à la Messe nous nous présentons au Seigneur en représentants de notre peuple. Bien sûr, il n’y a pas de fidèles. Mais nous sommes présents en leur nom. Ceci pour souligner la différence entre un animateur de prières et un prêtre. Le premier coordonne et guide l’action de la communauté. Il n’a besoin que d’une délégation, pas de la mission divine.

Mais le prêtre est chargé d’agir devant Dieu au nom des hommes. Il se présente devant le Tout-Puissant en tant que porteur des prières et des sacrifices de son peuple – qu’il soit ou non présent. Une telle absence ne saurait que conforter notre sens de cette vérité.

Un brillant éclairage est apporté par la générosité évangélique parfois pleine de simplicité de tant de prêtres privés de troupeau. Lors des bombardements de l’Angleterre au cours de la seconde guerre mondiale, Monsignor Ronald Knox se réfugia à Mells pour travailler sur des traductions des Écritures. Il se trouva soudain aumônier d’une école de jeunes filles évacuées de Londres dans cette petite ville endormie. Certes pas l’idéal pour un « rat de bibliothèque » tel que Knox. Ce n’est pas ce qu’il aurait espéré. Mais sa réaction fut généreuse, créative et durable. De cette période d’aumônerie parurent deux de ses meilleurs ouvrages : The Creed in Slow Motion [Le Credo au ralenti] et The Mass in Slow Motion [La Messe au ralenti].

Ainsi, nombre de prêtres (hors congrégations) tirent tout ce qu’ils peuvent de leurs ressources. La situation est pénible, loin de ce qu’ils auraient choisi. Mais ils font face. Ils trouvent des moyens inattendus d’évangélisation. L’Internet apporte des solutions créatives, et un grand nombre a trouvé des occasions de joindre le troupeau désormais hors de portée.

De plus, cette situation met en lumière la véritable nature du ministère des prêtres – C’est essentiellement un sujet de paternité, un père présent pour les siens. L’incapacité à répondre à l’attente de présence est douloureusement ressentie.

On constate alors que toutes nos techniques, que nous avons tendance à considérer comme porteuses de solutions évangéliques sont insuffisantes, tout juste un appui. Paradoxe fascinant, nous dépendons à la fois davantage de nos techniques et en sentons davantage les limites. Quelle qu’en soit l’utilité (courriel, diffusion en direct, transfert d’images, etc…) ces techniques ne peuvent nous mettre vraiment en relation concrète. Elles ne font que nous faire apprécier le réel contact humain — direct , face à face, tête-à-tête — quand il peut s’établir.

Rien ne peut se substituer à la présence du berger près de son troupeau. Et le cœur d’un prêtre ne peut se satisfaire de liens virtuels, il bat pour des liens réels.

Et encore une rose cueillie parmi les épines : notons une meilleure impression de dévotion au sein du troupeau. Le manque de Messe Dominicale marquera grandement la vie des Catholiques, même s’ils ne le réalisent pas à présent. Mais nombre d’entre eux en sont bien conscients. Ils ressentent le manque de Messe, ils continuent à venir à l’église pour prier, et ils souhaitent recevoir ce qu’un prêtre désire donner. Voir leur peine et leur attente devrait nous aider à comprendre et mériter leur dévouement.

C’est un événement inattendu dans le cours du Carême. Nous attendons – et nous nous y préparons – le retour du prêtre du Christ au sein de son peuple.