Chrétiens d’Irak - France Catholique

Chrétiens d’Irak

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Toujours le sauve-qui-peut à Mossoul-Ninive !

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par Joseph Alichoran*

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Au mois d’octobre 2008, une vague de violences sans précédent dans l’Histoire contemporaine de l’Irak et ce depuis des décennies, frappait les chrétiens de Mossoul-Ninive (Nord de l’Irak). Près d’une quinzaine de ces derniers ont été assassinés entre le 29 septembre et le 12 octobre, provoquant une panique générale et un exode massif des membres de cette communauté, vers les villes et villages chrétiens (assyro-chaldéo-syriaques) de la plaine de Ninive. On évalue à 2351 le nombre des familles ayant trouvé refuge dans ces-dites localités ; toutes ces familles ont échappé à la mort, aux violences et aux exactions innombrables d’individus et/ou de groupes armés qui, depuis plusieurs mois déjà, opèrent à Mossoul en totale impunité.

I A Mossoul-Ninive (Nord de l’Irak), on assassine impunément les chrétiens !

Face à la situation plus que confuse qui perdure dans la région de Mossoul-Ninive, il est utile de tenter de dresser une liste aussi précise que possible des victimes chrétiennes de ces derniers jours, toutes assassinées dans les divers quartiers Est de la ville. A cette fin, nous nous sommes basés sur les informations et éléments disponibles via les médias et sites internet assyro-chaldéens d’Irak et de Suède. Voici les noms, les dates et les conditions dans lesquelles ont péri ces victimes chrétiennes :

Lundi 29 septembre :
Bachar Nafe’ Saïd, était tué, devant son domicile (quartier de Haye Al-Baladiyette).

Samedi 4 octobre :

Ivan Nouiya, âgé de 15 ans était assassiné sur le seuil de son domicile situé non loin de la mosquée Al-Zahra (quartier de Haye Al-Tahrir). Hazem Thomas Youssef, âgé de 40 ans, ancien forgeron, était abattu à son tour, dans la boutique de vêtements de ses frères, où il travaillait (quartier de Haye Bab Al-Saray).


Lundi 6 octobre :

Ziyad Kamal, handicapé moteur de 25 ans (en fauteuil roulant) fut abattu vers 10 heures du matin, de plusieurs coups de feu dans un commerce de pièces détachées automobile, où il travaillait (zone industrielle de Haye Karama).

Mardi 7 octobre :

Amjad Hadi Petros et son fils Houssam Amjad Hadi, employés des bâtiments et travaux publics (BTP), étaient abattus tous deux, par plusieurs hommes armés ayant fait irruption sur le chantier où ils travaillaient (quartier de Haye Al-Sadiq). Ce même jour, Khaled Jardjis Al-Sammak, un pharmacien chrétien de 40 ans, était abattu à son tour devant son officine, de plusieurs coups de feu tirés par des inconnus (quartier Haye Al-Mouharebine).

Mercredi 8 octobre :

Trois chrétiens assassinés, ont été retrouvés sur la voie publique (le mercredi 8 octobre) et transférés dans une morgue pour les autopsies d’usage et l’identification ; cette information a été confirmée officiellement par M. Khaled Abdel-Sattar, porte-parole du Commandement des opérations militaires dans le secteur de Mossoul, lors d’une récente déclaration. Ce même jour, Jallal Moussa Abdel-Ahad, âgé de 38 ans était abattu près de son domicile vers midi (quartier de Haye Nour). Dans ce quartier tristement célèbre ont été assassinés, le 1er juin 2007, le Père chaldéen Raghid Ganni et les trois sous-diacres qui l’accompagnaient ; de plus, bon nombre d’attentats, d’exactions et de violences antichrétiennes y ont été commis ces derniers mois.

Plusieurs médias irakiens ont affirmé que quatre chrétiens, dont l’identité n’a pas été communiquée, ont été assassinés : deux dans le quartier d’Al-Wahda et deux dans celui de Mithaq. Aucune information n’est venue étayer depuis cette nouvelle. L’identité de ces victimes reste, à ce jour, inconnue.

Dimanche 12 octobre :

Le dénommé Warkis Altonn était abattu dans son commerce de CD et DVD (quartier Al-Akha, toujours dans l’Est de la ville), et son neveu Ara, grièvement blessé lors de l’attaque, succombait à ses blessures le lundi 13 au soir.

II Situation de grande urgence et précarité pour les chrétiens expulsés

En ce début d’automne et à l’approche de l’hiver, la solidarité des villageois chrétiens, qui ont ouvert leurs cœurs et leurs portes à ces rescapés a été remarquable ; les églises, les écoles et les salles paroissiales des diverses localités chrétiennes, accueillaient les familles en détresse. Pourtant, cette solidarité aussi forte et significative soit-elle, ne peut s’éterniser sans une solution juste et durable. Le ‘‘Conseil du peuple assyro-chaldéo-syriaque’’ ou C.P.A.C.S. (instance chrétienne pluriconfessionnelle) est reconnu pour son action sociale et humanitaire dans le nord de l’Irak. Le C.P.A.C.S. œuvre et ce depuis plusieurs mois déjà, auprès des réfugiés chrétiens dans la zone autonome kurde, en reconstruisant des dizaines de villages chrétiens, avec église et salle paroissiale à la clef, à travers tout le ‘‘Kurdistan’’ irakien, en accueillant et en réinsérant ces populations persécutées dans leur milieu d’origine, ou plutôt celui de leurs parents et grands-parents, sachant qu’il s’agit avant tout de citadins issus des grandes agglomérations comme Bagdad, Bassorah et Mossoul, très éloignés de la vie rurale ; son action, qui n’est pas facile, se déroule sous la direction de M. Jamil Zaytho, son Secrétaire Général et sous la haute autorité de M. Sarguis Aghajan (ministre des finances du Kurdistan), considéré comme le grand héro de la cause assyro-chaldéenne en Irak de ce début de 3ème millénaire). Comme à l’accoutumée, le C.P.A.C.S. en ‘‘Bon Samaritain’’ a immédiatement réagit en prenant en charge de son mieux les exilés. Il distribua aide matérielle, médicale, tout en apportant son réconfort moral et humain à ces familles rescapées, en attendant des jours meilleurs, qui tardent cependant à venir.

La solution – si solution il y a – ne peut venir que des autorités irakiennes, seules capables – à conditions qu’elles s’en donnent vraiment les moyens – d’enrayer cette spirale de violence (qui menace la population irakienne dans son ensemble). Seul l’Etat irakien, c’est-à-dire le Gouvernement central de Bagdad, peut et doit rétablir l’ordre et la sécurité dans les villes et les quartiers dangereux. Mossoul ne doit plus être une ville à risques et une zone de non droit, où la violence, le meurtre et l’insécurité, non seulement prospèrent mais s’amplifient dans une totale impunité. Les exactions et meurtres perpétrés ces derniers jours sur les chrétiens mossouliotes, totalement pacifiques, sont là pour le prouver à ceux qui en douteraient !

Tout le monde sait que les chrétiens d’Irak – comme du reste tous les Irakiens – souffrent depuis plusieurs mois déjà, après des décennies de guerres et d’exactions qui ne les épargnèrent jamais. Cette violence qui continue de les frapper aujourd’hui, ne cesse, de jours en jours, à la fois de les fragiliser et de les marginaliser ; elle compromet durablement leur avenir sur leur terre ancestrale de Mésopotamie. Dans ce climat plus que pesant de guerre civile, de guerre tout court et de violence aveugle, les chrétiens sont logés à la même enseigne que leurs compatriotes musulmans, partageant au quotidien, leurs souffrances et ce manque évident de perspectives. Toutefois à Mossoul, les chrétiens semblent désormais les seules victimes de ce regain de violences. Qui peut aujourd’hui envisager sérieusement son avenir en Irak, pays ruiné et où le chaos perdure inexorablement ? En tout cas, c’est sûr, pas les chrétiens vu le traitement inhumain qu’ils continuent de subir, en silence, aujourd’hui encore !

Rappelons que depuis deux ans, deux prêtres (un catholique et un orthodoxe), un pasteur protestant et l’archevêque chaldéen catholique de la ville, Mgr Paul Faradj Raho, sont tombés avec bon nombre de leurs fidèles, sous les balles de groupes armés ; certains observateurs estiment même que depuis la chute du régime baathiste de Saddam Hussein, près d’une centaine de chrétiens (99 pour être précis) y ont été tués. Conséquence de ce climat malsain, les chrétiens vivent, non seulement dans les souffrances et les deuils, mais aussi la peur au ventre. Plusieurs de leurs églises et lieux de culte, symboles de cette fraternité et de cette entente islamo-chrétienne exemplaire de naguère, ont été totalement ou partiellement détruits, par les attentats successifs (fusillades, bombes ou voitures piégées). Dernier lieu de culte chrétien touché fin octobre, la célèbre cathédrale chaldéenne Meskenta, haut lieu spirituel et religieux, dans l’Histoire de l’Eglise chaldéenne ; aujourd’hui, cette église-cathédrale se retrouve abandonnée. Les derniers fidèles présents encore dans la ville n’osent plus s’y rendre vu l’insécurité ambiante. Nous pouvons aisément comprendre leurs réticences et appréhensions.

III Terreur contre les chrétiens et réactions mitigées des autorités

Aujourd’hui, notre attention, comme celle des médias semble focalisée, à juste titre, sur Mossoul-Ninive où la violence antichrétienne est particulièrement virulente. Cette agglomération du nord de l’Irak comptait il y a encore quelques mois près de 4000 familles chrétiennes : 1600 de ces dernières appartenaient à l’Eglise Syriaque d’Antioche (800 catholiques et 800 orthodoxes), le reste à l’Eglise de l’Orient (Assyriens ‘‘Nestorien’’ et Chaldéens catholiques), avec quelques dizaines de familles appartenant à d’autres Eglises, entre-autres arméniennes.

Selon les témoins sur place, des crieurs publics paradant en voiture équipées de dispositifs puissants de sonorisation, invitaient les chrétiens de la ville à évacuer les lieux et ce dans les plus brefs délais. Au nom du Coran, des tracts menaçants envers les disciples du Christ circulaient ; ils les invitaient tout simplement à partir dans les plus brefs délais sous peine d’être tués. Le procédé utilisé contre les chrétiens de la ville était, semble-t-il, toujours le même : des individus et des gangs armés faisaient irruption dans les maisons chrétiennes et en expulsent manu militari les résidants, ou, dans les meilleurs cas, leurs donnent 24 heures pour déguerpir sous peine d’être assassinés. D’autres – phénomène plus récent-, détruisaient par incendies ou explosifs, quelques maisons chrétiennes – peut-être pour marquer davantage les esprits – après en avoir au préalable expulsé les résidants (propriétaires ou locataires) et avoir fait main basse sur les biens. Visiblement, ces gangs armés, ont décidé que les chrétiens n’avaient plus droit de cité à Mossoul. Ces procédés rappellent tristement les ‘‘expulsions à mains armées’’ dans le quartier bagdadois de Dorah, au sud de la capitale irakienne, entre janvier et novembre 2007 que nous évoquions dans Le Figaro Magazine du 12 janvier 2008. Ces exactions/persécutions se soldèrent, rappelons-le, par la quasi-disparition de la communauté chrétienne de ce quartier : ses effectifs chutant, il est vrai, en quelques semaines de 3000 à moins de 500 familles.

Les familles exilées de Mossoul, au nombre de 2351 ont été réparties ainsi dans la plaine de Mossoul-Ninive et dans les régions limitrophes : 2 à Erbil (capitale du gouvernement autonome kurde), 3 à Diyana, 5 à Charafiya (près d’Alqoche), 17 à Mar-Behnam, 25 à Sad-Al-Moussel, 38 à Bahzani, 41 à Aqra, 42 à Dehok, 43 à Zakho, 48 à Aïn-Kaoua, 68 à Mar Mattey (ou Cheikh-Matti), 68 à Batnayé, 95 à Karemlesh, 131 à Baachiqa, 165 à Alqoche, 273 à Telesqopa, 287 à Bartella, 309 à Tel-Keif (Telképé), 697 à Qaraqoche (Beghdédé). A la date du dimanche 26 octobre, 400 chrétiens mossouliotes s’étaient réfugiés en Syrie. Ces chiffres aussi précis soient-ils ne peuvent être considérés comme définitifs, mais remis en cause en permanences au grès de l’actualité et étant donné la situation plus que confuse sur place ! Aujourd’hui, dit-on, il resterait 500 familles terrorisées, enfermées chez-elles et qui vivent dans la peur. Plusieurs familles seraient rentrées clandestinement chez-elles ces derniers jours sans que l’on ait plus de détails sur les conditions de ce retour…

Face à l’urgence et à l’ampleur de la tragédie, les responsables assyro-chaldéens civils (chefs de partis politiques et élus) et religieux (dont plusieurs évêques) ont tiré le signal d’alarme et placèrent les autorités irakiennes devant leurs responsabilités, pensant qu’il est plus que temps pour ces dernières de reprendre les choses en main, afin de contrer les gangs et les individus armés qui commettent ces agissements. Face à la gravité de la situation, les autorités irakiennes dépêchaient le dimanche 12 octobre, 900 policiers pour contribuer à la sécurisation de la ville, alors que le gouverneur de Ninive, M. Douraïd Kachmoula, visitait les réfugiés les invitant à réintégrer leurs foyers abandonnés précipitamment courant octobre. Mais pour ces derniers, il n’était pas question de revenir, tant que leur sécurité n’était pas formellement garantie. Plusieurs réunions des hautes autorités irakiennes, ces dernières semaines, parfois même à Mossoul, n’ont pas résolu cette épineuse question. L’Etat semblait prendre conscience de cette dure réalité ; le retour au calme restant plus hypothétique que jamais. Depuis l’arrivée des renforts irakiens dans la ville, aux 1119 familles qui avaient fuis précédemment, se sont ajoutées 1232 autres, ce qui forme le chiffre terrible de 2351 que nous donnions plus haut. Force est de constater que toutes ces gesticulations des autorités irakiennes n’ont servi strictement à rien ! La réalité est d’autant plus dure qu’il n’y a pas d’espoir d’amélioration…
Entre le 27 et le 31 octobre 2008, le Saint Synode de l’Eglise de l’Orient des Assyriens sous la direction de son Catholicos-Patriarche, Mar Khanenya Denkha IV, se réunissait à Dehok-Nouhadra, dans la zone contrôlée par les Kurdes. Profitant de l’occasion, le patriarche Mar Denkha IV prenait la parole à plusieurs reprises sur les événements de Mossoul-Ninive et rencontrait, avec plusieurs de ses évêques, dont le métropolite du Kérala (Inde), Mar Aprem Mooken, quelques familles réfugiées à Dehok pour leur témoigner sa solidarité et sa sollicitude, ainsi que celles de l’Eglise de l’Orient des Assyriens dans son ensemble, sans pour autant pouvoir se rendre à Mossoul, vu la dangerosité de cette ville. Mar Denkha IV a rencontré à Bagdad le président Talabani, le mercredi 5 novembre.

Espérons cependant que cette prise de conscience des autorités irakiennes – permettra de rassurer les chrétiens (qui ne cessent de s’interroger sur leur avenir dans ce pays qui, rappelons-le, est aussi le leur), qui attendent non plus de belles paroles (très souvent réitérées), mais des actes forts de leurs autorités susceptibles d’assurer leur sécurité et avenir au milieu des autres composantes irakiennes. Les pouvoirs publics sont placés, aujourd’hui plus que jamais, devant leurs responsabilités ; c’est désormais une question de crédibilité aux yeux de leur propre opinion publique, mais aussi de la communauté internationale qui ne peut et ne doit rester les bras croisés devant les drames en cours sur la Terre entre les deux fleuves. Il en va tout simplement de l’avenir de l’une des plus anciennes communauté/ethnie du pays, mais aussi de cette société multiethnique et multiconfessionnelle, que l’on appelait tout simplement la mosaïque irakienne et que la guerre anglo-saxonne du printemps 2003 a détruit pour longtemps la cohésion ; la violence antichrétienne en cours en est un élément probant…

* Joseph Alichoran est chercheur en Histoire de la chrétienté mésopotamienne et journaliste, maître-assistant de Soureth (néo-araméen oriental) à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO, Paris).