Centrafrique. En proie à l'islamisme ? - France Catholique
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Centrafrique. En proie à l’islamisme ?

La Centrafrique est en proie à sa troisième guerre civile. Mgr Juan José Aguirre, évêque de Bangassou, au sud-est, décrypte les tribulations ethniques, religieuses et économiques de ce pays.

ENTRETIEN AVEC MGR JUAN JOSÉ AGUIRRE

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Vous êtes depuis 30 ans en République Centrafricaine. Comment expliquer ce conflit ?

Mgr Juan José Aguirre : Pendant trente ans, nous avons vécu en paix. Après le renversement du président François Bozizé en septembre 2013, tout est devenu terrible. La Seleka, coalition islamiste financée par l’Arabie saoudite, a semé la confusion dans le pays. Guidée par le wahhabisme, ce mouvement politico-religieux de l’islam sunnite, au même titre que Daech et Aqmi, la Seleka est un agrégat d’étrangers venus du Darfour, du Nigeria, du Soudan et du Tchad. Face à l’inertie des Casques bleus de l’ONU, de confession musulmane et devenus complices de fait des Seleka, des paysans se sont regroupés en factions. Ils ont créé une milice appelée anti-Balaka (anti-balle AK47). Ce ne sont pas des soldats, ils se disent non-musulmans et sont pétris d’animisme. Ils sont couverts d’amulettes et pensent que les balles ennemies vont rebondir sur leur corps. Au bout du compte, cette force qui se voulait libératrice est devenue en trois jours criminelle, multipliant pillages et exactions. Dès lors, ce fut le chaos.

La raison de ce conflit est-elle religieuse ou d’un autre ordre selon vous ?

La dimension religieuse n’est qu’un écran de fumée. La véritable raison de ces violences est d’ordre économique : l’Arabie saoudite veut s’emparer de mines d’or, de diamants et de cobalt dans le nord et le centre du pays. Chacun veut sa part du gâteau et lorgne la frontière avec la République démocratique du Congo. Ce pays regorge en effet de colombo-tantale, une matière extrêmement conductrice et essentielle dans l’élaboration d’outils nanotechnologiques, ou pour la construction de drones. Celui qui possède le tantale contrôle la guerre.

En 2017, vous avez accueilli 2 000 musulmans au séminaire. Comment cela s’est-il passé ?

Les anti-Balaka voulaient prendre la ville de Bangassou alors aux mains des Seleka, pour la piller. Mes prêtres et moi sommes allés négocier avec les chefs, sans succès. Des milliers de civils musulmans se sont réfugiés dans la mosquée de la ville, assiégée pendant trois jours. Avec quatre prêtres, nous nous sommes interposés pour que les tirs cessent. Nous avons alors pu pénétrer dans la mosquée et avons découvert des corps d’enfants et de femmes déchiquetés par les balles. Nous avons extrait une trentaine de dépouilles et creusé une fosse commune (silence).
Les Casques bleus sont ensuite arrivés et le calme s’est rétabli. Les rescapés de cette boucherie nous ont demandé refuge à la mission catholique. Ils sont chez nous depuis un an et demi maintenant. C’est pourquoi nous recevons beaucoup de menaces des non-musulmans, qui nous voient depuis comme des traîtres.

Quelle est la situation aujourd’hui ?

Depuis neuf mois, beaucoup de choses ont changé avec l’arrivée des Russes. Le nouveau président, Faustin Archange Touadéra, a signé un accord d’exploitation du diamant avec le gouvernement russe. Les Russes ont d’abord acheminé des armes, sans pouvoir atterrir à l’aéroport de Bangui, contrôlé par la France (ce qui permet aux ressortissants de fuir en cas de conflit). Puis ils ont reformé une armée gouvernementale, pour ne plus laisser la place aux paramilitaires.

Comment l’évangile vous permet-il de tenir bon devant tant de violences ?

C’est la parabole du Bon Samaritain (Luc 10.25-37). L’église a vocation à servir, à tendre sa main aux gens qui en ont besoin, y compris s’ils sont musulmans.
Même si nous sommes menacés, nous devons poursuivre notre action et nous en remettre à la Providence. Nous tentons de rétablir de la cohésion sociale avec le concours des protestants, mais l’Église catholique est persécutée, et beaucoup de missions à Bangassou sont pillées. Cependant nous ne baissons pas les bras, grâce aux prêtres et aux écoles. L’école est en effet notre arme secrète pour revivre comme il y a 38 ans, dans la paix entre musulmans et chrétiens. Nous soignons aussi les traumatismes de la guerre.