Beaucoup à perdre, beaucoup à gagner - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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Beaucoup à perdre, beaucoup à gagner

Traduit par Bernadette Cosyn

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Le Département de Justice des Etats-Unis a ouvert une enquête dans plusieurs diocèses de Pennsylvanie concernant les abus sexuels sur mineurs, y compris le trafic de mineurs à travers les frontières d’états dans le but d’en abuser. Un avocat de New-York a cité à comparaître le diocèse de Buffalo comme élément d’une enquête pour des faits similaires. Le procureur du district de Columbia a ouvert une enquête civile pour voir si l’archidiocèse de Washington est responsable, comme institution à but non lucratif, pour sa gestion (désastreuse) des abus sexuels sur enfants.

Et ensuite il y a les enquêtes qui ont été annoncées ou sont actuellement menées par des procureurs à New York, dans l’Illinois, le Missouri, le Nebraska, le Maryland, le New Jersey, la Floride, le Nouveau Mexique, l’Arkansas, le Kentucky, le Vermont, la Virginie et – semble-t-il – la Californie.

Il est à noter que le procureur de Louisiane de mène pas ce type d’enquête sur un sujet sensible : « il n’y a pas eu de plainte criminelle auprès du Département de Justice de Louisiane. Et salir l’Eglise et son clergé sans dépôt de plainte pour des actes criminels est irresponsable. » Cependant, la Louisiane se montre l’exception qui confirme la règle.

Certains catholiques verront ces enquêtes comme de bonnes nouvelles : une étape nécessaire, même si douloureuse, vers une reconnaissance de responsabilité pour les évêques et prêtres qui ont trahi leurs ouailles. Ces enquêtes pourraient finalement rendre justice à des victimes qui l’ont attendue, dans certains cas, plusieurs décennies. Elles pourraient également mettre fin à la suspicion tenace dans l’esprit de tant de catholiques qui ont appris à leurs dépens à ne pas se fier à la parole des évêques comme quoi le problème des abuseurs sexuels avait été correctement traité.

Il y a du vrai dans de telles attentes, mais il y a aussi des raisons d’inquiétude.

Même des prêtres et des évêques innocents auront des raisons d’être inquiets si des procureurs ambitieux cherchant à se faire un nom (et à prouver leur ténacité aux électeurs) commencent à fouiller dans le passé, cherchant quelque chose, n’importe quoi, pour épingler l’Eglise Catholique. Si le rapport du Grand Jury de Pennsylvanie est de quelque indication, peu de nouvelles affaires déboucheront sur des accusations criminelles puisque soit la plupart des violeurs sont morts, soit le délai de prescription a expiré, ou alors il n’y a pas suffisamment de preuve pour étayer l’accusation.

Quand il n’y a personne à mettre en accusation, personne à qui il puisse être demandé de payer, la puanteur du scandale a un moyen de se cramponner à toute personne à proximité, coupable ou non.

Il y aura de nouveaux appels pour que la législation étende ou supprime le délai de prescription, comme nous le voyons déjà en Pennsylvanie. La résistance de l’Eglise à de tels changements est inexplicable pour beaucoup, catholiques ou non, qui ne peuvent comprendre pourquoi l’Eglise professerait se préoccuper des victimes quand dans le même temps elle s’oppose à des changements légaux qui pourraient apporter la justice à ces dernières.

Mais le coût d’un allongement des délais de prescription au civil crée un lourd problème à résoudre pour les diocèses. Ces dernières années, plus d’une douzaine de diocèses et d’archidiocèses ont déposé le bilan en raison des affaires d’abus sexuel. L’archidiocèse de Los Angeles à lui seul a payé 660 millions de dollars en 2007. En début d’année, l’archidiocèse de Minneapolis-Saint Paul a déposé le bilan et a cependant déboursé 210 millions de dollars.

Il n’est certainement pas injuste que les victimes reçoivent des dommages et intérêts en compensation des abus qu’elles ont subi, en dépit des dizaines de millions vampirisés par leurs avocats. Mais la justice a deux faces et le fait est que le fardeau financier de ces décisions de justice ne repose pas sur les prêtres prédateurs ou sur les évêques ayant couvert leurs agissements : le plus gros est supporté par les paroisses et les ministères diocésains et ceux qui en dépendent maintenant et à l’avenir.

Les évêques qui prennent au sérieux l’obligation pour l’Eglise de chercher la justice pour les victimes doivent également penser sérieusement quelle sorte de justice est de faire payer à la prochaine génération de catholiques les péchés et crimes d’une génération précédente.

Dans les mois et années qui viennent, plus d’un évêque va devoir faire des choix difficiles pour équilibrer les demandes de justice pour les victimes avec son devoir de protéger le patrimoine de son troupeau. Perdre ce patrimoine – hôpitaux, écoles, œuvres caritatives, banques alimentaires, universités, sans parler des églises et de mille et un autres services – ou le voir gravement amputé ne serait pas une occasion de réjouissance. Ce serait un désastre, à la fois pour l’Eglise et pour ceux qu’elle sert.

Naturellement, la plus grande perte pour l’Eglise n’est pas le matériel ( aussi utile qu’il soit pour la mission) mais les âmes.Peut-être que l’humiliation et la souffrance que l’Eglise Catholique aux Etats-Unis est en train de vivre portera du fruit à long terme. La foi nous dit que ce n’est pas trop à espérer. Mais il est difficile de voir comment du bien pourrait sortir de ceci tant qu’il n’ aura pas dans l’Eglise un sens renouvelé que ce qui est en jeu est le salut des âmes. Je souhaite que davantage d’évêques, de prêtres et surtout de laïcs en soient conscients.

Je me suis demandé à de nombreuses reprises ces derniers mois comment ce dernier cortège de scandales affecterait l’Eglise. L’assistance à la messe diminuera-t-elle ? (Probablement.) La fuite de la génération du millénaire vers les rangs des « sans religion » s’accélérera-t-elle ? (Il se peut.) Les vocations vont-elles se raréfier ? (Je ne sais pas.)

Le pape François a parlé de son désir d’une Eglise « qui soit pauvre et pour les pauvres ».C’est peut-être où nous mettons le cap, ici aux Etats-Unis, mais pas par la route qu’on aurait pu imaginer. Et peut-être, dépouillée de ses biens et soucis terrestres, l’Eglise des USA ressemblera-t-elle davantage à ce que le pape Benoît XVI avait en tête quand il songeait à la possibilité d’une Eglise « plus petite et plus pure ».

C’est peut-être l’Eglise de la Nouvelle Evangélisation dont nous n’avons cessé de parler depuis si longtemps : pas une Eglise triomphante, mais une Eglise terrassée. Peut-être. Je ne sais pas.


Stephen P. White est membre des Etudes Catholiques au Centre Public de Politique et d’Ethique à Washington.

Illustration : « Les miracles de Saint François Xavier » par Pierre Paul Rubens, 1617-18 [musée d’histoire de l’art de Vienne]. Rubens, fervent catholique, était un maître de l’art baroque et un champion de la Contre-Réforme.

Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/10/25/much-to-lose-much-to-gain/