Avortement : colère ibérique - France Catholique

Avortement : colère ibérique

Avortement : colère ibérique

Le grand écart entre la lettre de la loi et son application actuelle explique l’étrangeté du débat qui fait rage en Espagne autour d’un projet de légalisation de l’avortement.
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L’avortement, théoriquement très restreint en Espagne, y est déjà répandu (mais moins qu’en France). Depuis 1985, trois conditions lé­gales permettent de recourir à l’avortement au-delà des Pyrénées :

1/ Le viol est un motif d’avortement jusqu’à 12 semaines de grossesse ;

2/ La malformation du fœtus l’autorise jusqu’à 22 ;

3/ Mais c’est sans limitation de délai qu’on peut avorter en cas de « danger pour la santé physique ou psychique de la mère ».

C’est l’adjectif psychique qui a ouvert la porte à toutes les dérives, et provoqué des scandales. Il fournit le mobile principal des quelque 110 000 avortements officiellement recensés. C’est une aubaine pour les cliniques privées peu regardantes dont les praticiens n’hésitent pas à pratiquer des avortements aussi tardifs que lucratifs, en falsifiant les dossiers médicaux de leurs patientes au besoin. Il suffit de leur inventer de toute pièce des troubles mentaux.

Et c’est ainsi que l’Espagne, particulièrement la Catalogne, fait figure de recours pour les Européennes ayant dépassé le délai légal dans leur pays, au premier rang desquels des Françaises. Le Planning familial hexagonal ne se cache pas d’organiser des filières clandestines vers Barcelone, comme on le voit dans le film Les bureaux de Dieu. Fin 2006, l’incarcération du Dr Morin n’y a rien changé. Ses agisse­ments avaient été révélés grâce à la caméra cachée d’une journaliste danoise à laquelle avait été proposé un avortement à huit mois de grossesse.

Une alerte sanitaire rela­yée en septembre 2008 par le ministère français de la Santé après la découverte de la séropositivité d’un médecin opérant dans quatre cliniques de Barcelone n’a pas, non plus, changé la donne. Une bonne partie des 800 femmes qu’il avait avortées étaient françaises. Pour l’instant les liens du Planning familial avec ses cliniques « partenaires » en Espagne n’ont pas été contestés par la Justice. Le ministère de la Santé français a même tenu à préciser que les Françaises ayant eu recours, en Espagne, à des avortements hors du délai hexagonal, ne seraient pas pénalement in­quiétées.

Dans ce contexte, l’immense mobilisation du di­manche 29 mars à Madrid et dans de nombreuses villes espagnoles, fait figure de paradoxe. Deux coordinations associatives Derecho a vivir (Droit de vivre) et Hazte Oir (Fais-toi entendre), ainsi que les Médecins pour la vie, combattent un projet de loi soutenu par le chef du gouvernement après son approbation, le 18 février, par la « Com­mission de l’Égalité » de la Chambre des Députés.

Même si une fracture droite-gauche se dessine sur ce sujet, quelques élus socialistes ont pris part à la manifestation au nom « de la défense des plus faibles ». Objectif du projet que le socialiste José Luis Zapatero veut présenter avant l’été : supprimer les conditions à l’avortement tout en instaurant un délai légal. Parmi les mesures les plus controversées figure, à l’image de la législation française, l’autorisation d’avorter pour les mineures sans consentement des parents. Ce serait à partir de 16 ans. à ceux qui invoquent la liberté légale d’avoir des relations sexuelles dès 13 ans, les adversaires de la loi soulignent qu’un mineur ne peut acheter ni du tabac ni de l’alcool…

En filigrane, se profile une augmentation de la permissivité, donc du recours à l’avortement. Pour le mouvement pour la vie espagnol, le projet de loi est aussi l’occasion de dénoncer les dérives de sa pratique. Les promoteurs d’une nouvelle loi ont beau jeu d’affirmer que la législation ferait « sortir l’Espagne de l’hypocrisie », en ne rendant plus nécessaire la falsification de l’état de santé mentale des demandeuses : on sait en France que la légalisation de l’avortement comme un droit conduit inéluctablement à en augmenter le nombre.

De son côté, l’Église catholique espagnole s’est fortement impliquée, en lançant une campagne d’affichage ambitieuse et originale. Sur 1 40O panneaux publicitaires figurent côté à côte, et tous deux à quatre pattes, un bébé lynx et un bébé humain. Le petit Homo sapiens demande : « Et moi ? » Car Lynx pardinus (nom savant du Lynx Ibérique) est déjà protégé à 100% par la loi.

Tudgual DERVILLE