Avortement : Arguments toujours nouveaux - France Catholique

Avortement : Arguments toujours nouveaux

Avortement : Arguments toujours nouveaux

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Le 23 janvier, le premier jour de la semaine après l’anniversaire du jugement « Roe vs Wade », la Marche pour la Vie se rassemblait à Washington, et je me trouvais non à Jerusalem, mais à Athens, sur le site de l’université de l’Ohio, la première université dans les territoires du nord-ouest, fondée en 1804.

Deux jeunes historiens, Robert Ingram et mon ancien étudiant Paul Milazzo, ont créé un programme pour apporter sur le campus des voix et des perspectives que l’on n’y entend guère. Ils ont pensé que nous devrions faire entendre des arguments sur l’avortement à un public composé d’étudiants, et aussi de personnes plus âgées, qui n’ont sans doute jamais entendu aucun débat sérieux sur ce sujet.

Le côté dérangeant, pour nombre de ces gens, est de constater que ce débat est un mélange d’embryologie et de raisonnement moral. Il commence avec ce que la science sait de la vie humaine depuis son commencement, puis il se tourne vers la discipline du raisonnement sur les principes.

La découverte, comme toujours, est qu’il n’y a pas d’allusion à la révélation ou à la foi. Tout est entièrement basé sur ce que nous pourrions appeler le « raisonnement sur la loi naturelle » – puis nous lançons : « Au fait, cela a toujours été l’enseignement de l’Eglise catholique, et vous n’avez pas à être catholique pour comprendre ces arguments. »

La surprise constante est que les arguments les plus élémentaires que nous ayons présentés depuis plus de trente ans apparaissent encore comme des nouveautés pour les gens, car des arguments sans substance, comme « c’est son corps à elle, elle est obligée de le porter », ont la vie dure.

Qu’elles en portent l’étiquette ou pas, les réponses offrent encore une variante du « Moral Reasoning 101 »1. Un professeur d’histoire anglais, qui connaissait quasiment déjà la réponse, m’a demandé de répondre à l’argument de ses étudiants : « C’est son corps à elle. »

Bon, ce n’est pas seulement « son corps à elle ». Dans la mesure où quelque chose de vivant grandit dans l’utérus, un avortement n’est pas plus indiqué ou justifiable qu’une ablation des amygdales. Et c’est une vie humaine distincte, séparée dans sa définition génétique de celle de ses deux parents.

Le droit que l’on a sur son corps n’a jamais entraîné le droit de détruire le corps de n’importe qui d’autre. Et si nous sommes conscients qu’il s’agit de prendre la vie d’un être humain arbitrairement, l’agent et le lieu importent peu. De même que la victime.

Nous reconnaissons encore dans la loi, ou dans notre compréhension de la morale, le mal qu’est le suicide. En fait, nous avons conscience d’un tas de choses si mauvaises que les gens ne se les feraient pas à eux-mêmes. Ils ne s’engageraient pas eux-mêmes dans la servitude ou l’esclavage. Ils ne participeraient pas à des duels, même avec leur consentement, ils ne loueraient pas leur corps pour le plaisir d’autres personnes, ou ils ne demanderaient pas à un docteur de leur couper un membre pour honorer un pari.

Il y avait un nom pour cela : on les appelait des droits « inaliénables », c’est-à-dire des droits auxquels nous ne pouvions renoncer, ou que nous ne pouvions aliéner, même pour nous-mêmes.

Les gens semblent curieusement oublier que même la Cour suprême n’a jamais établi comme fondement de sa décision dans le procès Roe un droit souverain de la femme sur son propre corps. Car la Cour a reconnu que le corps législatif pouvait insister pour que les avortements se fassent seulement dans une clinique ou un hôpital habilité pour des raisons sanitaires.

Mais la Cour a ainsi écarté l’argument de la femme qui pourrait dire : « Je peux faire appel à un avorteur non habilité pour beaucoup moins cher, et je devrais pouvoir être seul juge des risques que je suis amenée à prendre avec mon propre corps. »

La plus grande surprise de cette soirée est venue d’un professeur plutôt proche du mouvement pro-vie. Il a demandé ce que nous pouvions répondre à l’argument selon lequel obliger une femme à aller jusqu’au bout de sa grossesse contre son gré était une forme de « servitude involontaire ».

Je pensais que ce genre d’argument n’était employé que dans les « precincts of preciosity » 2des facs de droit au cours d’exercices d’élocution raffinée où des profs imaginatifs relançaient l’idée que le treizième amendement [interdisant l’esclavage et la servitude forcée] n’était pas respecté par les lois interdisant ou restreignant l’avortement.

Les réponses furent tellement évidentes, tellement rudimentaires, qu’elles ne devraient plus être remarquées. Dans la véritable « logique de la morale », un acte « mauvais » est celui que personne n’oserait faire, qu’il devrait être interdit à juste titre à chacun de faire.

Si nous parlons de prendre une vie innocente, d’un meurtre sans justification, alors personne ne souffre d’un mal, ou de la privation de ses droits quand il est empêché de commettre un acte mauvais. Comme Thomas d’Aquin – et Lincoln – l’ont enseigné, nous ne pouvons pas de manière cohérente réclamer un « droit à faire le mal ».

On ne peut pas nous dire de souffrir le mal de la « servitude involontaire » ou de tout autre déni mauvais de nos libertés si on nous rappelle que nous sommes bien sûr obligés de ne pas détruire une vie que nous n’avons aucune raison de prendre.

Feu Frère Richard John Neuhaus s’est plaint un jour auprès du Rabbin Abraham Heschel qu’il était invité à Cleveland pour donner des arguments qu’il avait déjà donnés dans plein d’autres endroits. Et Heschel lui a répondu quelque chose comme : « Mais pourquoi, Richard ? Pensez-vous vraiment que les gens de Cleveland ont déjà entendu ce que vous avez dit ailleurs ? »

Les arguments en faveur de la vie, pour beaucoup de gens, paraissent toujours nouveaux. Ces arguments ne se démodent pas, et nous ne devrions pas nous lasser de les faire entendre comme si c’était la première fois. Spécialement dans ces zones sombres que l’on trouve sur les campus universitaires, et particulièrement en ce moment.


Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/arguments-ever-new.html

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Photo : Le portail de l’université d’Ohio à Athens.

  1. NDLT : Le cours 101 est, dans les collèges et universités aux Etats-Unis le cours d’initiation pour débutants dans toutes les disciplines. On pourrait donc avoir ici quelque chose comme : « cours d’introduction au raisonnement moral »
  2. NDLT : un precinct est un lieu fermé, un club ou un cercle, et preciosity désigne un raffinement exagéré. School (of law, j’imagine) dans le texte anglais ne signifie pas « école » mais « faculté ». On pourrait donc avoir un « rendu » du genre : « dans les groupes de recherches les plus alambiquées des facultés de droit, où les professeurs… ».