Autopsie du discours d’Emmanuel Macron au Collège des Bernardins  - France Catholique

Autopsie du discours d’Emmanuel Macron au Collège des Bernardins 

Autopsie du discours d’Emmanuel Macron au Collège des Bernardins 

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Le titre de chanoine du Latran 1 a dû, le temps d’un discours, habiter l’homme public, c’est incontestable. Lors de son « Homélie » dans le magnifique collège des Bernardins à Paris, le président Emmanuel Macron était en pleine campagne de séduction, se soumettant volontiers aux formules consacrées par l’Église, le chef de l’État à chercher à établir une vérité relationnelle avec les catholiques en une conjonction sibylline de noms tels que : déséquilibre et liberté intempestive.

Si le Président commence son exhortation avec les mots suivants : « Pour nous retrouver ce soir, Monseigneur, nous avons, vous et moi, bravé les sceptiques de chaque bord », c’était sans compter pour faire échos aux sympathisants ou opposants à la Manif pour tous qui ont bousculé dernièrement leurs relations.

Pour le chef de l’État, c’était sans conteste le moyen d’affirmer sa politique qui s’inscrit dans une autre dynamique que celle de ses prédécesseurs, se débarrasser ainsi d’une culture de gauche souvent anticléricale et hostile aux dialogues avec L’Église catholique, comme il le rappelle, en fustigeant prudemment ses devanciers qui n’ont vu dans l’Église qu’un moyen idéologique d’asseoir des certitudes ou d’être un contre-pouvoir systématique, alors que celle-ci est avant tout un observatoire du temps ancré dans le réel et jamais «  désintéressé du temporel », toujours transcendée par l’espérance de toutes les forces vivent qu’elles comportent et issue des mêmes racines et de la même sève qui nourrissent la mémoire de l’universalité de sa vocation, loin des guerres partisanes.

Enfin, si la figure du colonel Beltrame ne pouvait manquer au discours d’un chef, malencontreusement ses assertions semblent trop consensuelles pour être conforme à l’honnêteté d’un geste héroïque, certes, il y a la bravoure et : « la vocation du sacrifice ancrée dans la vocation militaire », sans aucun doute, mais quant à cette prétendue : «  fidélité républicaine nourrie par son parcours maçonnique », il nous est légitime de poser la question de son sens réel.

Nous regretterons la formule syntaxique du président usant du verbe : « interprété », qualifiant ainsi la pensée profonde de cette jeune veuve, qui aurait interprété le geste de son mari comme : « traduction de sa foi catholique ardente » , comment entretenir l’idée d’une « interprétation » pour une femme profondément catholique, quand il est si probant que ce geste décrit de la façon la plus puissante la révélation de la foi et de son Amour inconditionnel qui la fédère, pour servir autrui, qui plus est, quand sa propre vie demeure l’objet du sacrifice.

Pour faire suite au lyrisme en grande pompe, il s’agit pour Emmanuel Macron d’insister sur les  : « liens indestructibles entre la nation française et le catholicisme/forgés dans ces moments où est vérifiée la valeur réelle des hommes et des femmes. Il n’est pas besoin de remonter aux bâtisseurs de cathédrales et à Jeanne d’Arc : l’histoire récente nous offre mille exemples, depuis l’Union Sacrée de 1914 jusqu’aux résistants de 40, des Justes aux refondateurs de la République, des Pères de l’Europe aux inventeurs du syndicalisme moderne, de la gravité éminemment digne qui suivit l’assassinat du Père HAMEL à la mort du colonel BELTRAME, oui, la France a été fortifiée par l’engagement des catholiques. »

Il est vrai, que nos architectures religieuses comme royales sont pour beaucoup dans les bénéfices touristiques et financiers de notre trésorerie nationale, s’il cite volontiers Jeanne d’Arc c’est pour ainsi s’inscrire une deuxième fois en faux face à un anticléricalisme souvent porté en bannière d’une République française sécularisée.

Portant l’anathème sur une laïcité qui voudrait ce substituer à une : « conception transcendante de l’homme », Macron se défend de sombrer dans une religion d’État qui comme le disait Anna Harendt, dans son ouvrage La crise de la culture, pourrait se substituer au fondement du spirituel. La République n’a pas le monopole de l’absolu, les religions oui, qu’elles partagent volontiers. Comme le rappelle si justement le Président : « nos contemporains/ont besoin d’étancher une autre soif, qui est une soif d’absolu ». Emmanuel Macron en ces temps de grèves ne manque pas de rappeler que les prémices du syndicalisme ce sont aussi les catholiques, inspiré par Albert de Mun, théoricien du corporatisme chrétien, qui fonda au cœur des tribulations sanglantes de la Commune de Paris en 1871, l’Œuvre des Cercles Catholiques Ouvriers, même s’il ne cite pas son nom explicitement, nous l’entendons dans ce qui constitue la mémoire collective chrétienne.

L’Audace du politique rejoint celle de L’Église, quand Emmanuel Macron expose ses attaches spirituelles : «  pour des raisons à la fois biographiques, personnelles et intellectuelles, je me fais une plus haute idée des catholiques ». À ce moment là du discours, nous pensons avoir gagné une bataille, et c’est tant mieux pour la France, Fille aînée de l’Église. Sans hésitation, le Président essaimera dans son prêche quelques illustres représentants intellectuels de la foi catholique : de Pascal à de Lubac de Simone Weil à Marrou, en passant Mauriac, qui fut avec sa « loi de charité » l’un des premiers à être contre la peine de mort et a influencer des philosophes athées, et non des moindres, comme Albert Camus, mais encore Claudel et le père de l’Europe Robert Schuman viendront compléter la liste de ses éminents intercesseurs, ceux-là mêmes qui vivifient  : « l’exigence chrétienne », celle qui est au fondement d’un humanisme incarné et non dévoyé par une appartenance théorique.

Il poursuit avec l’évocation du génie lucide et objectif du catholicisme ancré dans le réel et l’agir, à travers ses nombreuses œuvres caritatives, ses associations qui luttent au quotidien aux côtés des plus faibles, des démunis, des laissés pour compte, cette Église à la vocation maternelle, celle qui soutient aussi pour beaucoup la société : « les catholiques se sont massivement tournés vers l’action associative, vers l’engagement. Vous êtes aujourd’hui une composante majeure de cette partie de la Nation qui a décidé de s’occuper de l’autre partie – nous en avons vu des témoignages très émouvants tout à l’heure – celle des malades, des isolés, des déclassés, des vulnérables, des abandonnés, des handicapés, des prisonniers, quelle que soit leur appartenance ethnique ou religieuse ». Cette Église qui supporte les faibles face à un matérialisme intransigeant et à son « système de la sueur » comme l’appelait Léon Bloy, Emmanuel Macron de citer : « Nous ne sommes pas faits pour un monde qui ne serait traversé que de buts matérialistes. Nos contemporains ont besoin, qu’ils croient ou ne croient pas, d’entendre parler d’une autre perspective sur l’homme que la perspective matérielle. Enfin cette Église qui aime, se faisant le baume humain aux côtés des minorités chrétiennes qui souffrent dans le monde, comme l’a rappelé le Président pour les chrétiens d’Orient : « Nous avons hérité historiquement du devoir de les protéger », mettant ainsi l’accent sur les relations interreligieuses  qui sont urgentes d’entretenir afin d’apaiser les climats face aux conflits qui embrasent le monde.

Quelques fausses notes s’inséreront dans les paroles d’un angélisme qui perd parfois ses plumes avec l’évocation : « de la part maudite » de Georges Bataille, disciple de Sade, Philosophe libidineux dont l’œuvre majeure : L’histoire de l’œil se concentre sur les vicissitudes d’une pornographie adolescente sans tabou, et du cumul d’une prostitution en déshérence ou les mots servent la lubricité des hommes prêts à tout pour assouvir leur mal d’être. On se serait bien passé de cette référence.

Enfin, ce disciple de Paul Ricœur (selon un certain évêque, ceci n’est pas si avéré), ne manque pas, en pleine catéchèse, de demander l’autorisation à l’assemblée d’employer le nom du Philosophe, afin d’appeler à une cohésion portée par un idéal commun, qui dépasse les seules considérations religieuses. D’ailleurs, l’Église Catholique, une fois encore, n’a eu de cesse de venir en aide à tous sans distinction, de tendre la main aux multitudes, aux périls de beaucoup de vies confrontés aux premières lignes des affres du monde. Parce que c’est cela, être catholique ; le dépassement de soi pour atteindre un lieu commun qui nous dépasse.

La symbolique forte de son discours et le ton presque incantatoire ouvre un débat des plus sérieux pour l’humanité entière, celle de la migration et de la bioéthique, l’une appelle à ce que la raison serve la générosité afin de discerner les champs d’action et la part de misère qu’il convient de prendre en charge, tout en maintenant le dialogue et la cohésion nationale, comme l’a rappelé le chef de l’État, l’autre amène à une vigilance renforcée. Emmanuel Macron précisera son intention d’enrichir le Conseil Consultatif National sur la Bioéthique : « d’avis de responsables religieux de toutes confessions ». Le scepticisme est en droit de s’installer lorsqu’il exprime une société ou : « les formes de la famille évoluent radicalement » ou l’Église est confrontée à une : « réalité contradictoire », que sous-entend-il par : « choix du moindre mal » ? Doit-on entendre un semblant de fatalité résolument infondée et une inconsistance de foi dans la pensée profonde de l’homme qui l’exprime ? Parle-t-il ainsi par acquit de conscience ? Afin peut-être de se dédouaner des votes de lois infanticides, eugéniques et humainement immorales qui seront ratifiés sous son quinquennat ? À l’image de Ponce-Pilate, veut-il laver sa conscience devant les Hommes ou parce qu’il a aussi depuis sa plus tendre enfance l’idée de la crainte de Dieu autant que de sa Miséricorde, comme un gestionnaire devant l’Éternel, à visage découvert face au doute métaphysique qui l’accompagne et qui le hante en tant qu’homme d’État, il ne veut être tenu pour seul responsable. La phrase suivante était-elle construite pour nous rassurer : « La manipulation et la fabrication du vivant ne peuvent s’étendre à l’infini sans remettre en cause l’idée même de l’homme et de la vie ». Est-elle un sophisme ingénieux ? L’avenir nous le dira.

Pour finir sur une note plus optimiste, le Président a appelé L’Église à faire don pour la République de sa Sagesse de son Engagement et de sa Liberté, ce qui résume assez bien la dimension de l’Église.

Depuis bien longtemps un discours d’une telle densité n’avait été prononcé par un chef d’État français avec autant de références chrétiennes, nous avons à l’esprit le discours de Nicolas Sarkozy lors de son intronisation à la chapelle du Latran, faisant l’éloge de la foi. Certes, l’enfer est semé de bonnes intentions, seule la providence est au courant des cœurs, dès lors, ne jetons pas la pierre, déjà les libelles de nombreuses presses s’en sont chargés et font flores, s’insurgeant de trop de proximités entre l’homme politique et la suite de Saint Pierre.

Félicitons-nous en ce jour de cet échange qui augure un terrain propice aux actions qui construiront demain notre bien commun, l’espoir est permis. N’ayons pas peur et faisons confiance, sans laisser-faire.

  1. Titre Honorifique donné aux chefs d’État français depuis Henry IV