Au pays des Géraséniens - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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Au pays des Géraséniens

Grande-Bretagne

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Pas facile de nos jours d’être un homme politique responsable ! La démonstration en a été donnée pendant deux jours de débats à la mère des Parlements, la Chambre des Communes britannique, le 31 janvier et le 1er février, autour du projet de loi autorisant le Premier ministre à déposer une demande de sortie de l’Union européenne (le Brexit). Les deux tiers des députés tous partis confondus étaient et demeurent convaincus que ce retrait est une erreur et conduira à un désastre. Mais voilà, le peuple par référendum le 23 juin dernier en a jugé autrement à 52 %. Les deux tiers des circonscriptions ont donné la majorité au retrait, désavouant à l’occasion leurs représentants en titre.

Le Royaume-Uni étant un régime parlementaire, comme l’a rappelé la Cour suprême, le dernier mot revient au Parlement. Mais il était impensable que ce dernier aille à l’encontre de la volonté populaire. Ce qui obligeait une majorité de députés à voter contre leurs propres convictions. Des 242 circonscriptions (sur 650) qui avaient donné une majorité au maintien dans l’UE, il n’y a eu au final que 114 députés (contre 498) à refuser de se plier à la volonté collective. Or bien d’autres ont publiquement reconnu que le pays courait à sa perte, que le troupeau courait se jeter du haut de la falaise, reprenant implicitement l’Évangile de la veille en Marc, chapitre 5, où les esprits impurs quittent un possédé pour se jeter dans un troupeau de porcs : « Du haut de la falaise, le troupeau se précipita dans la mer » (Mc, 5, 13). Il s’agissait de la mer de Galilée dite encore lac de Genesareth. Jésus l’avait traversée en barque pour passer sur l’autre rive. L’esprit impur répondait au nom de « Légion, car nous sommes beaucoup ». Figure de la démocratie du nombre ?

Sur l’autre rive, au bord de la Tamise, à Westminster, la plupart des élus étalaient ouvertement en direct leurs cas de conscience dûment avoués comme tels. Fallait-il suivre ce que leur dictait leur propre jugement ou bien se plier à la loi du nombre ? « Car nous sommes beaucoup » ! L’ex-Premier ministre écossais a confié, à l’issue du scrutin, avoir assisté à un acte de « folie collective ». La Grande-Bretagne fonce tête baissée dans ce que le parti conservateur et le parti travailliste considéraient officiellement, jusqu’au 23 juin 2016, comme un suicide collectif. Va-t-elle finir dans la mer ?

Le Parlement de Westminster n’aura la réponse, au mieux, que dans deux ans. Car cette réponse dépendra beaucoup de l’issue des négociations avec les 27 États membres. S’il n’y a pas d’accord ou un mauvais accord, le pays sera « à la mer ». Mais que dire de ces 27 ? Ne sont-ils pas également possédés d’esprits impurs ? Si nous repassons sur notre rive de la mer, ne sommes-nous pas forcés de convenir que la démocratie véritable s’exerçait bel et bien lors de ce vote du côté de Westminster ? Un terme est fréquemment revenu dans les explications de vote des députés, celui de décence. En français il n’a qu’un usage dit vieilli par les dictionnaires sauf à l’entendre en matière sexuelle. Or la « decency » est bien autre chose. Il s’agit moins ici de « discrétion » que de « retenue » dans les rapports sociaux, avec une idée très britannique de « respect des convenances ».

L’affaire Fillon après les excès de Trump et ceux observés avec regret durant la campagne référendaire en Angleterre même tendent en effet à nous conforter dans l’idée que la décence, non pas seulement en politique mais dans les relations humaines élémentaires, ne figure plus au nombre de nos « valeurs » pour employer un vocable de plus en plus suspect.

La Grande-Bretagne veut se prémunir des excès continentaux outre-Manche tout autant que de ceux de Trump outre-Atlantique. Plusieurs intervenants ont dit voter pour le maintien dans l’Europe pour éviter de tomber aux mains d’un démagogue que le Premier ministre venait tout juste d’aller saluer, ou plutôt à qui elle venait de payer hommage, ce qui lui fut vivement reproché. Mais beaucoup aussi ne veulent plus rester dans l’Union européenne parce qu’ils sont horrifiés par le spectacle de la politique politicienne qui tend à prévaloir dans nos républiques européennes.

Le plus anglophile de nos hommes politiques a beau être en grande difficulté, c’est toute la Grande-Bretagne qui risque de nous manquer dans les années à venir. Ce n’est jamais bon signe….