Apprendre du passé - France Catholique
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Van Eyxk, l'art de la dévotion
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Apprendre du passé

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L’instruction organisée occidentale a résulté principalement de la studia generalia des communautés monastiques européennes. La studia était ouverte tant aux laïcs qu’aux moines et était la réponse à deux forces à l’œuvre en Europe durant le Moyen Âge.

La première était un intérêt croissant pour les auteurs et idées classiques, causé par l’interaction avec l’islam. Les érudits arabes sont réputés avoir eu des siècles d’avance sur leurs voisins du nord, et pas seulement dans la traduction des textes grecs et latins (où ils ont été aidés par les chrétiens syriaques) mais également dans l’important travail de développer et d’appliquer les théories scientifiques d’Aristote, Galien et autres.

La seconde force était l’expansion des entreprises des monastères, qui intégraient la science, les arts et le commerce. Quoi qu’ils entreprennent – culture, vinification, brassage, traduction – les moines utilisaient le savoir le plus récent.

Ce qui est arrivé à l’islam éclairé, tourné vers l’avenir et scientifique dans les siècles ultérieurs est un sujet expliqué en détail par Robert R. Reilly dans « La fermeture de l’esprit musulman : comment le suicide intellectuel a créé la crise de l’islam moderne », et c’est un récit d’avertissement, étant donnée notre « culture de l’effacement » actuelle – un rappel que toute culture peut décliner quand elle devient plus idéologique et iconoclaste.

Une éducation supérieure a été un idéal occidental qui a émergé dès le VIIe siècle et Charlemagne. Non seulement l’amour de l’étude de ce grand roi a influencé le développement de l’écriture, avec l’innovation de l’écriture carolingienne, et de la littérature – depuis l’encouragement des troubadours jusqu’à l’ouverture de bibliothèques – mais il a également affecté la structure et les institutions de l’enseignement supérieur. C’est avec les encouragements de Charlemagne que le moine anglais Alcuin a introduit dans l’école du palais un programme rudimentaire de lettres et sciences sociales et humaines.

Mais l’instruction a été valorisée par dessus tout, non pas tant parce qu’elle pouvait faire d’un homme un professionnel plus efficace mais parce qu’elle pouvait faire de lui un meilleur être humain. Nous le voyons dans l’œuvre d’auteurs du clergé tels Chrétien de Troyes. « Les premiers romans, les romans de l’Antiquité » a écrit l’historien Stephen Jaeger « avaient deux thèmes : l’amour et le combat chevaleresque. Mais un thème bien différent entre dans le roman avec les œuvres de Chrétien de Troyes : l’instruction et la formation morale du chevalier. Une simple activité chevaleresque sans motivation plus élevée mène le chevalier au désastre ».

Nous vivons dans une époque qui n’est guère différente de la période médiévale. Internet est le nouveau scriptorium, où la civilisation est à la fois préservée et créée – pour le meilleur et pour le pire. Le scriptorium originel était la pièce du monastère (généralement jouxtant la bibliothèque) où les scribes copiaient les manuscrits. C’était essentiel puisque tout volume d’une bibliothèque devait être écrit à la main jusqu’à ce que Gutenberg invente les caractères mobiles et commence à imprimer des livres après 1450.

Un « livre » – chacun d’eux rare et précieux – était emprunté par le scriptorium, et un scribe le copiait – en enluminant généralement les initiales de façon colorée – pour l’inclure dans la propre collection du monastère.

Nous devrions nous hâter de redécouvrir la vertu de l’instruction dans les lettres et sciences sociales et humaines, afin d’apprécier la vie et non uniquement le plan de carrière. Je ne dénigre pas l’enseignement professionnel, mais être une personne cultivée, c’est avoir été éduqué libéralement (au sens intellectuel, pas politique). Aucun autre type d’apprentissage n’édifie vraiment.

Que l’on reçoive ou non cette éducation à l’école n’a pas d’importance. Et c’est une bonne chose, étant donné que la plupart des facultés et universités ont abandonné l’enseignement intégré dans le trivium traditionnel ( grammaire, rhétorique et logique) et le quadrivium (arithmétique, géométrie, musique et astronomie).

La première véritable université a été établie à Bologne à la fin du XIe siècle, suivie par des fondations à Paris et à Oxford. Dans chaque cas, les universités étaient des extensions d’écoles cathédrales ou de la studia d’un monastère, et les programmes étaient axés principalement sur la théologie et le droit. Mais comme elles commençaient à attirer des érudits du monde entier, des hommes qui apportaient avec eux une expertise dans une grande variété de disciplines, les universités ont développé des programmes d’études dans ce qui est devenu connu sous le nom d’arts libéraux, c’est-à-dire une éducation digne d’un homme libre (du latin liber).

Aujourd’hui, certains élèves fuient les écoles publiques pour les écoles privées et paroissiales traditionnelles, pour les écoles expérimentales non traditionnelles et même, en nombre croissant, pour l’enseignement à domicile. Même si nous commençons à expérimenter des réformes telles que les bons d’éducation ou les écoles privées sous contrat, nous devons rester conscients du rôle important que l’instruction publique « gratuite » a joué en permettant à la démocratie américaine de fonctionner. (J’ai mis gratuit entre guillemets car rien – et certainement pas la scolarisation – n’est vraiment gratuit.) Nous pouvons reconnaître à un degré ou un autre l’échec de l’enseignement public, mais, dans de telles discussions, nous pourrions manquer de nous rappeler à quel point elle a réussi et combien elle a été une raison essentielle de l’ascendant américain.

Comme Thomas Sowell l’a récemment indiqué (dans son livre « Ecoles privés sous contrat et leurs ennemis »), les écoles privés sous contrat à New-York, qui fonctionnent dans les mêmes bâtiments que les écoles publiques, ne coûtant rien de plus au contribuable, et dont les élèves viennent par tirage au sort de la zone de recrutement, ont des résultats étonnamment meilleurs selon tous les critères académiques que les enfants recevant de la part d’enseignants syndiqués un enseignement suivant les programmes réglementés par l’État.

Aujourd’hui, ce qui est en danger dans l’instruction à tous les niveaux, c’est apprendre pour apprendre. Saint John Henry Newman, écrivant dans « L’idée d’une université », exprime sa conviction qu’adopter des programmes d’étude diversifiés ne doit jamais dégrader l’objectif d’une université : éduquer l’entièreté de la personne. Newman croyait que ce qui n’allait pas avec beaucoup de la réflexion sur l’enseignement supérieur, comme également sur l’idée de gentleman (et dont il discute dans ce même livre) était l’absence d’un enseignement vraiment supérieur et d’une façon de vivre plus haute, dont l’absence signifie trop de spécialisation et trop peu de religion.

Newman savait que l’enseignement – sans la vision de ses finalités appropriées – n’est que pur dilettantisme, tout comme il est vrai qu’un gentleman sans esprit chevaleresque n’est qu’un simple dandy.