Amoris Laetitia - De belles paroles émouvantes mais qui divisent - France Catholique
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Amoris Laetitia – De belles paroles émouvantes mais qui divisent

Traduit par Aurélie D.

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Commençons par les points positifs. Comme dans le Rapport Final du Synode 2015, il y a beaucoup de beaux passages dans la nouvelle Exhortation Apostolique sur la Famille du pape, Amoris Laetitia (“La Joie de l’Amour”) évoquant l’origine du plan de vie de Dieu pour l’homme et la femme ; l’amour et le mariage ; les enfants, les frères et sœurs, les parents, les grands-parents ; le lien entre les générations ; l’importance cruciale de tout cela pour le futur, ainsi qu’à la simple nécessité de survie, de l’Eglise et la société. Oh, et pas des moindres, la « tendresse » de Dieu, qui devrait aussi se retrouver dans nos foyers.

Il y a aussi quelques affirmations assez claires des principes catholiques à ce sujet :

l’ouverture à la vie dans chaque acte marital (par exemple, pas de contraception) ;

le droit à la vie, ainsi que le droit et devoir pour ceux qui travaillent dans le milieu médical de ne pas avoir part à des procédures qui empêchent la vie, comme l’avortement ou l’euthanasie ;

renier le fait qu’ “ Il n’y a(it) aucun fondement pour assimiler ou établir des analogies, même lointaines, entre les unions homosexuelles et le dessein de Dieu sur le mariage et la famille» (même si les personnes attirées par les personnes du même sexe devraient être aidées) ;

la nécessité pour les enfants d’avoir un père et une mère, et d’être né de leurs propres parents (même si parfois ils ont des besoins spéciaux), pas par le biais de technologies de reproduction qui prennent le pas sur la vie humaine ou fait que les enfants sont de simples spectateurs dans les plans de vie de leurs parents ;

le droit des parents de contrôler l’éducation de leurs enfants et de recevoir de l’aide de la communauté pendant cette éducation.

Il y a aussi beaucoup d’autres affirmations, ainsi que des citations à rallonge de St Jean-Paul (dont les écrits sont d’ailleurs absents de ce texte du Synode) et de Benoît XVI.

De plus, comme le dit le Rapport du Synode, mais plus longuement, le Pape François explique comment les personnes peuvent être « accompagnées », un de ses termes favoris, pendant le début de la relation, le mariage, et les premières années du mariage, en fait, pendant toute la durée de la vie maritale. Pendant le Synode, certaines des présentations les plus intéressantes venaient de personnes dans ces situations.

Nous avons besoin de ce genre de personnes à notre époque, comme jamais auparavant, et François le souligne. En effet, aujourd’hui, les jeunes du monde entier se marient souvent en ayant de fausses attentes irréalistes, créées par les médias modernes. De plus, étant donné la formation non-existante ou pauvre que ces jeunes ont en rentrant chez eux ou dans leurs paroisses, le pape encourage les parents, professeurs, catéchistes et pasteurs à reconnaître qu’ils ont beaucoup à leur enseigner avant qu’ils ne s’approchent de l’autel, surtout dans notre culture actuelle qui met des obstacles économiques, moraux, et sociaux sur leur chemin.

Cela mène à de longues pages et, parfois, à des lignes assez émouvantes sur la façon dont les personnes mariées doivent apprendre à vivre leurs vies avec leurs partenaires imparfaits, qui ont sûrement des défauts, comme nous tous, par péché et à cause de nos histoires personnelles. Il dit qu’il y a une sorte d’évolution dynamique pendant toute la vie maritale. Il est rare de trouver cette sorte de conseils de malheur amoureux et même d’une perspicacité pastorale assez populaire dans un document officiel du pape. Mais il est clair que François a l’intention que les lecteurs s’attardent sur quelques pages et réfléchissent sérieusement à la façon de réduire les tensions entre les familles et les divorces, de plus en plus nombreux dans le monde entier.

Cependant, dans un premier temps et une première lecture rapide nécessaire (nous devons le relire calmement pour y réfléchir), les problèmes commencent à apparaître dans tous ces efforts de compréhension et de réconciliation. Pour commencer, ce qui avait l’habitude d’être le processus du mariage et de la famille est très souvent présenté dans le texte comme un « idéal », ou un arrangement « parfait » qui faillit à sa réputation.

Il est vrai que cette dégringolade du mariage est très commune maintenant. On a l’impression que c’est à cause de cela que le Pape François a autorisé la Communion aux divorcés-remariés dans certaines circonstances (depuis qu’il a invité de cardinal Kasper à présenter le cas).

Ce n’est pas dicté par les raisons théologiques ou par des raisons présentées dans les Saintes Ecritures. En effet, le pape semble presque penser que les courts circuits de la miséricorde ont été vus comme les fondements de l’enseignement Catholique sur le mariage : « un pasteur ne peut se sentir satisfait en appliquant seulement les lois morales à ceux qui vivent des situations ‘‘irrégulières’’, comme si elles étaient des pierres qui sont lancées à la vie des personnes. » L’image ici vise à suggérer que suivre consciencieusement l’enseignement traditionnel est semblable à lapider la femme prise sur le fait d’adultère. Comme si les propres mots de notre Seigneur sur l’indissolubilité, et ses avertissements sur le divorce-remariage adultère (pas juste «l’imperfection » ou « l’irrégularité »), étaient d’une certaine manière annulés par la miséricorde. (Lc. 16:18; Mt. 19:9; Mc. 10:11, 1 Cor. 7:10, etc.)

Amoris Laetitia espère résoudre les situations de beaucoup d’enfants du monde moderne, mais il est plus probable que ça ne fasse qu’ajouter de l’huile sur le feu. Nous n’avons pas besoin d’une boule de cristal pour prédire qu’une fois les personnes divorcées-remariées autorisées à communier dans certains cas, ce sera bientôt possible pour tous ceux qui sont dans ce cas, quelque soit les circonstances. Et, pourquoi pas, par les personnes homosexuelles qui peuvent demander la même chose à juste titre, étant donné les circonstances.

Durant de nombreuses pages, le pape explique la façon dont la culpabilité et les circonstances peuvent nuancer les principes moraux absolus sans compromettre la plénitude de la vérité. (Une personne sensée n’a jamais renié cela). Il cite même St Thomas d’Aquin à ce sujet, qui n’est pas exactement ce qu’on peut appeler un partisan du genre de changement pastoral que le pape suggère. Sauf peut-être les protestations du courant des thomistes.

Mais en dépit de cette exhortation candide sur de nombreux sujets, il parait hésitant à faire apparaitre clairement sa démarche de changement “pastoral”. Le seul endroit où le changement sacramentel est mentionné est dans une note de bas de page. Et même là, la formulation est étrange :
[351] Dans certains cas, il peut s’agir aussi de l’aide des sacrements. Voilà pourquoi, « aux prêtres je rappelle que le confessionnal ne doit pas être une salle de torture mais un lieu de la miséricorde du Seigneur » : Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 44 : AAS 105 (2013), p. 1038. Je souligne également que l’Eucharistie «  n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles »  (Ibid., n. 47 : p. 1039).

Ce qui nous amène à nous demander : où donc se trouve le confessionnal qui est utilisé comme salle de torture? Et où dit-on que l’Eucharistie ne peut pas être enseignée qu’aux personnes parfaites ? Il est souvent plus facile de justifier des arguments spécieux comme celui-ci plutôt que d’en démontrer quelques-uns véritables.

Il est impossible d’en être certain, mais il est fort probable que de nombreux prêtres dans les pays développés aient probablement utilisé le « forum interne » dans le confessionnal depuis longtemps déjà, précisément dans le sens où François le suggère, pour permettre aux personnes qui sont dans des circonstances « irrégulières » de recevoir la Communion. Ça n’a pas l’air d’avoir beaucoup aidé le mariage et la famille ou l’Eglise. Et faire de cela une pratique publique apportera sûrement autre chose que de la miséricorde et de la tendresse.

Voici un cas hypothétique qui pourrait bientôt devenir une affaire judiciaire : supposons que, en s’inspirant de la tendance générale d’Amoris Laetitia, les évêques allemands suivent ces inclinations avérées et autorisent la Communion aux divorcés-remariés. Les évêques Polonais, profondément orthodoxes et ne trouvant rien d’explicite dans le texte qui pousse à changer leur enseignement millénaire, choisissent plutôt de lire cela comme un encouragement pour le conseil pastoral dans le but ultime de diriger le peuple à changer sa vie et suivre les paroles du Christ à propos du mariage.

Les deux interprétations sont possibles, mais les conséquences, dans ce cas et dans d’autres, sont impossibles. D’un côté de la frontière entre deux pays, la Communion pour les divorcés-remariés deviendrait signe d’une nouvelle effusion de la miséricorde et du pardon de Dieu. D’un autre côté, en donnant la communion à quelqu’un en « situation irrégulière » reste une infidélité aux paroles du Christ et sont alors un sacrilège potentiel. En termes concrets, dans le monde entier, ce qui semble s’approcher ressemble au chaos et au conflit, pas au catholicisme. Un nouveau Rideau de Fer pourrait s’ériger entre le Catholicisme de l’Ouest et l’Eglise du reste du monde, sans parler des guerres civiles dans le pays « développés ».

Quand il était impliqué dans des controverses qui l’ont finalement mené à l’Eglise catholique, le grand Cardinal Newman avait averti ses frères et ses sœurs anglicans à propos des solutions verbales simples pour montrer les différences de foi et de morales : « Il n’y a pas deux opinions contraires l’une à l’autre, mais des tournures de phrases qui peuvent être assez vagues pour les comprendre toutes deux ». Et il a ajouté : « Si l’Eglise doit avoir de l’énergie et de l’influence, ce sont des choses qui doivent être décidées et précisées dans sa doctrine… Entreprendre de comprendre les opinions … c’est se tromper en écrivant les mots, qui n’ont pas d’impact sauf s’ils sont écrits noir sur blanc pour… les réalités diverses. » Nous savons où cela a mené les Anglicans.

Pour toutes ces revendications qui disent le contraire dans ces nombreuses pages, François semble plus intéressé à amener du confort aux gens plutôt qu’à les inviter à suivre pleinement les paroles du Christ concernant le mariage. Newman avait lui aussi vu cela : « Ceux qui cherchent le confort dans les grandes lignes de ce qu’il prêche semble se tromper à la fin de leur ministère. La Sainteté est la grande fin. Il y a sûrement une lutte et un jugement. Le confort est une liqueur, mais personne n’en boit à longueur de journée. »

Note : Il est conseillé à ceux qui commentent de lire tout particulièrement les chapitres 3 et 4 de l’Exhortation Apostolique pour comprendre au mieux les arguments du pape.

Vendredi 8 avril 2016

Robert Royal est rédacteur en chef du journal The Catholic Thing, et président de l’Institut Foi et Raison à Washington, D.C. Son dernier livre s’intitule : A Deeper Vision: The Catholic Intellectual Tradition in the Twentieth Century (une vision plus profonde : la tradition intellectuelle catholique du 20eme siècle), publié par Ignatius Press. The God That Did Not Fail : How Religion Built and Sustains the West [« Le Dieu qui ne fait pas défaut : comment la religion a construit et soutient l’Occident »] est aujourd’hui disponible en poche chez Encounter Books.