Chaque année, la querelle rebondit à propos des crèches de Noël, singulièrement à Béziers où le maire, Robert Ménard, persiste à installer la sienne dans l’espace de son hôtel de ville. Il est, d’ailleurs, pour cela plébiscité par la population, quelles que soient ses origines. Toutes les autorités religieuses, même musulmanes, assistent à son inauguration, et il n’est pas rare de voir des femmes voilées expliquer à leurs enfants la symbolique de la Nativité. Cela n’empêche pas la Ligue des droits de l’homme de réitérer depuis onze ans son opposition, en invoquant une atteinte au principe de laïcité et à l’obligation de neutralité du service public.
Impossible neutralité
Il y a plusieurs façons d’envisager cette querelle des crèches, notamment au regard de la loi mais aussi de la question de fond. En quoi consiste exactement la neutralité dont se targuent ceux qui militent au nom de la laïcité ? Sont-ils si neutres que cela ? Ne professent-ils pas plus ou moins ouvertement, une aversion à l’égard du fait religieux et singulièrement du fait chrétien ? C’était déjà l’avis très motivé de Charles Péguy qui s’attaquait aux prétentions d’un certain parti intellectuel et surtout à ce qu’il appelait « une métaphysique d’État ». Même la loi de séparation de l’Église et de l’État, qui résultait d’un réel compromis, n’agréait pas à l’auteur du Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, qui ne croyait pas du tout à une neutralité philosophique et religieuse de cet État.
Sur le terrain juridique, on opère parfois la distinction entre le cultuel et le culturel, ce dernier permettant de s’abstraire d’une affirmation dogmatique. Mais est-il une culture qui s’émancipe d’une option sur l’absolu ? La conviction d’un Maurice Clavel, dans le contexte de la déconstruction des années 1960, était que ce n’était pas possible. Qu’on le veuille ou non, sauf dans le cas d’un laïcisme totalitaire, on est obligé de laisser toute sa place à l’interrogation spirituelle. La volonté de la restreindre à ce qu’on appelle l’espace privé s’oppose directement aux droits fondamentaux de la conscience, en fait de liberté personnelle et de liberté religieuse.
Deux France divisées
Pour la France, un tel débat s’est inscrit dans l’histoire depuis la Révolution, qui s’est distinguée par une volonté d’éradication de l’Église catholique et même des autres expressions religieuses. Par la suite, en dépit d’un assagissement d’une République devenue modérée, l’opposition des deux France divisées par l’héritage du baptême de Clovis s’est poursuivie. Même si on n’en est plus aux virulences d’antan, le malaise se réaffirme périodiquement. Ainsi avec la querelle des crèches.
La distinction du politique et du spirituel est une nécessité qui se justifie par la différence pascalienne des ordres. Mais vouloir établir une cloison étanche à l’égard de l’ordre supérieur de la charité constitue une atteinte à notre intégrité. Maintenir l’expression publique de notre culture religieuse n’est pas contraindre les consciences. C’est les respecter en leur permettant d’approfondir librement leur vocation. Il n’est donc pas raisonnable d’interdire les crèches dans l’espace public. Il s’agit de permettre à tous d’accéder à un mystère qui magnifie notre humanité.





