Les Anglais sont étonnants. Et tout particulièrement ceux qui se convertissent au catholicisme ou qui prophétisent sur l’avenir du monde. Il se trouve que Robert Hugh Benson (1871-1914) appartient aux deux catégories. Promis sans doute à succéder un jour à son père qui était archevêque anglican de Canterbury, d’abord prêtre pour l’Église d’Angleterre après de brillantes études au célèbre Eton College puis au Trinity College à Cambridge, il commença à se pencher sur la vérité du catholicisme lors d’un voyage au Proche-Orient en 1896, mais il joignit d’abord la High Church anglicane et la Communauté de la Résurrection de cette mouvance. Cependant, peu à peu, il fut mis en face de ses exigences doctrinales et finit par se convertir au catholicisme en 1903 avant d’être ordonné prêtre en 1904 à Rome.
Cette conversion fit évidemment beaucoup de vagues car il n’était pas neutre que le fils d’un primat anglican joignît ainsi l’Église romaine, ennemie héréditaire depuis le schisme d’Henry VIII. Il fut souvent comparé à John Henry Newman intégrant l’Église à la suite du mouvement d’Oxford. Prêtre catholique, il devint aumônier de l’université de Cambridge et poursuivit son œuvre littéraire tout en étant très apprécié comme prédicateur malgré un bégaiement et une voix frêle.
Contes, apologétique…
Son œuvre est importante et composite car il rédigea aussi bien des contes pour enfants que des histoires d’horreur, des pièces de théâtre, des ouvrages apologétiques, – dont le récit de sa conversion, Confessions d’un converti – et, bien sûr de nombreux romans et récits de « science-fiction ». Il serait préférable de regarder ces derniers comme des écrits apocalyptiques et des méditations sur la place de l’Antéchrist dans le monde contemporain car son souci est d’ordre spirituel. De tels ouvrages sont généralement incompris des autorités ecclésiastiques de tous les temps, mais les Anglais, anglicans ou catholiques, sont doués pour cette forme de littérature. Il suffit de penser à L’Antichrist de Newman encore anglican, mais aussi aux fresques grandioses de C. S. Lewis et de Tolkien. Dans ce domaine, les deux livres essentiels de Benson sont bien sûr Le Maître de la terre (1907) et La Nouvelle aurore (1911).
Avènement de l’Antéchrist
Le premier est le plus célèbre, inaugurant les romans dystopiques, mettant en scène l’avènement de l’Antéchrist comme un dirigeant international charismatique réussissant à prêcher la paix et l’amour universels tout en soumettant tous les peuples tandis que des armes de destruction massive font leur apparition ainsi que les bombardiers décimant les populations civiles, que les voyages entre continents se réalisent en avion, les déplacements sur des autoroutes et que l’euthanasie s’impose comme monnaie courante et obligée. L’Église catholique devient la proie de persécutions externes et d’attaques internes, tandis que les dénominations anglicane et protestantes sombrent, emportées par la sécularisation et l’athéisme. Il fut très influencé par les écrits utopistes du socialiste Claude-Henri de Rouvroy de Saint-Simon qui parle de la société française déchristianisée dans les décombres de la Révolution. Benson écrit dans une note introductive que son ouvrage est « une parabole, illustrant la crise religieuse qui, suivant toute vraisemblance, se produira dans un siècle, ou même plus tôt encore, si les lignes de nos controverses d’aujourd’hui se trouvent prolongées indéfiniment ; […] car celles-ci ne peuvent manquer d’aboutir à la formation de deux camps opposés, le camp du Catholicisme et le camp de l’Humanitarisme, et l’opposition de ces deux camps, à son tour, ne peut manquer de prendre la forme d’une lutte légale, avec menace d’effusion de sang pour le parti vaincu ». Un humanisme remplaçant de force toutes les religions pour procurer un bien-être sous contrôle politique, avec, comme pièce maîtresse, l’euthanasie, pinacle du progrès et de la compassion… N’y entrons-nous pas à petits pas ?
Le Maître de la terre, Robert-Hugh Benson, Pierre Téqui éditeur, septembre 2024, 384 pages, 9 €.