« Il est nécessaire de redécouvrir la figure paternelle de Dieu » - France Catholique
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Dieu le Père. Un amour tendre et exigeant
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« Il est nécessaire de redécouvrir la figure paternelle de Dieu »

Image :
Dieu le Père bénissant parmi les anges, détail, Raphaël, 1514-1515, musée du Louvre. © Fred de Noyelle / Godong

« Il est nécessaire de redécouvrir la figure paternelle de Dieu »

« Il est nécessaire de redécouvrir la figure paternelle de Dieu »

Spécificité chrétienne, la paternité de Dieu est-elle suffisamment connue ? De la Création jusqu’au « Notre Père », la figure de Dieu le Père est pourtant une précieuse ressource pour notre époque. Entretien avec l’abbé Benoît de Giacomoni, supérieur du district de France de la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre et auteur de La prière chrétienne. Se blottir dans les bras du Père (Éditions Emmanuel).
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Lorsqu’on lit la Bible, on peut avoir l’impression que la paternité de Dieu est apparue avec le Nouveau Testament… Est-ce juste ?

Abbé Benoît de Giacomoni : Ancien et Nouveau Testament procédant de la même révélation divine, ils sont en exacte continuité et il ne pourrait y avoir de contradiction entre eux. Dans l’Ancien Testament, Dieu était déjà Père, puisque Créateur : en engendrant le monde, il en est le Père. Pensons à la grande miséricorde, proprement paternelle, que Dieu exerce envers le peuple élu, malgré ses infidélités. Simplement, la figure était peut-être plus « diluée », d’où l’importance qu’elle soit particulièrement éclairée par le Nouveau Testament, notamment lors de la révélation explicite du mystère de la Sainte Trinité lors du Baptême du Christ (Lc 3, 16-22) et lors de la Transfiguration quand, de la nuée qui entoure Jésus, surgit une voix disant : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! » (Mt 17, 5).

D’une image trop sévère de Dieu, ne sommes-nous pas tombés dans l’excès inverse ?

Il est très important de souligner que Dieu est immuable. Simplement, nous recevons et comprenons progressivement ce qui nous est révélé au sujet de Dieu. Mais être catholique, c’est être équilibré : il n’y a pas d’un côté la justice du Père et, de l’autre, sa miséricorde. Il est toujours risqué d’accentuer un point au détriment d’un autre.

De même que le laxisme pédagogique des années 1960 est aujourd’hui remis en cause, la justice sans vérité est une erreur. Cela est montré par la paternité telle qu’elle est révélée par le Christ ! On voit comme Notre-Seigneur – parfaite charité – est vrai, juste, exigeant et miséricordieux. Le récit de la rencontre avec la femme adultère résume cela : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus » (Jn 8, 11). Pas de condamnation donc, mais un appel juste et miséricordieux à la conversion.

Quelle place le « Notre Père » tient-il dans la foi catholique ?

Une place centrale, et ce depuis le début ! Car le « Notre Père » est un don du Christ, par lequel Dieu nous indique comment il entend être prié. Les mots mêmes sont un don de Dieu… Il faut relever aussi qu’il se trouve dans le Sermon sur la montagne (Mt 6, 9) : avec les Béatitudes, le Sermon sur la montagne est l’exposé de la loi évangélique. Le « Notre Père » est prié par les premiers chrétiens. Dès les premiers siècles on apprenait trois choses aux catéchumènes : le signe de croix, le Credo et le « Notre Père ». Sa récitation dans la liturgie est apparue très vite, bien plus tôt que le Credo.

Vous dites que les mots ont une importance : le Christ ne dit pas « Notre Seigneur », par exemple, mais bien « Notre Père »…

Nous nous sommes peut-être trop habitués à la formule du « Notre Père » et avons perdu de vue à quel point elle est exceptionnelle. Car en disant cela, le Christ fait référence à la relation que lui, le Fils, entretient avec son Père au sein de la Trinité. Dès lors, prier le Notre Père revient à imiter le Christ et donc à aimer et à être aimé comme le Père aime son Fils dans le Saint-Esprit !

Pourquoi Jésus nous encourage-t-il à dire « Notre Père » plutôt que « Mon Père » ?

Le choix des mots n’est jamais hasardeux de la part du Christ. « Notre Père » signifie qu’à partir du moment où nous sommes fils, nous entrons dans une relation personnelle avec le Père mais également en lien avec ceux qui deviennent, par ce fait, nos frères. De la même façon que « toute âme qui s’élève élève le monde », comme le disait Élisabeth Leseur, toute âme qui s’élève par la prière élève tout le corps mystique du Christ, qui est l’Église ! Le « Notre Père » nous engage à la charité : si nous recevons l’amour du Père du Ciel, alors nous devons le lui rendre et le communiquer autour de nous à tous ceux qui sont ses enfants et donc nos frères.

Vous avancez que les qualités nécessaires à la prière sont des qualités d’un enfant envers son père…

Traditionnellement, le catéchisme enseigne qu’il faut prier avec attention, humilité, confiance et persévérance. Quand on se penche sur ces quatre notions, on se rend compte qu’elles s’enracinent toutes dans la relation filiale.

L’attention naît de l’amour et entretient l’amour, en particulier dans la relation de proximité qu’est la prière. Un enfant est attentif à ce que son père lui dit, tout autant qu’il est attentif à la manière de s’adresser à lui.

L’humilité, parce que le fils doit reconnaître qu’il dépend de son père : dans notre cas, une dépendance d’amour, qui nous pousse à lui demander ce qui est nécessaire à notre santé spirituelle.

La confiance car, de la même façon qu’un fils a confiance envers son père, nous devons avoir une confiance absolue envers Dieu puisqu’il ne peut nous vouloir du mal, ni se tromper, ni nous tromper.

Enfin, la persévérance : parce que les pères sachant ce dont leurs enfants ont besoin, il faut demander à Dieu sans jamais nous lasser.

Tout cela se retrouve dans l’image du « blottissement », que vous reprenez…

Cette image est beaucoup inspirée de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, quand elle parle de la prière comme « un élan du cœur, un simple regard jeté vers le Ciel, un cri de reconnaissance et d’amour au sein de l’épreuve comme au sein de la joie ». L’image du blottissement peut être utile parce que la prière, dans sa pratique, peut relever du combat spirituel. Mais si nous sommes dans les bras du Père, nous aurons certes parfois des combats dans la prière, mais il suffira alors de ne pas quitter ses bras, c’est-à-dire de ne pas laisser place volontairement aux distractions !

Mais alors, la prière filiale relève-t-elle de mots prononcés, ou bien de l’oraison ?

Les deux ! Dans notre époque très marquée par la technologie et l’efficacité, on aimerait sans doute avoir une méthodologie particulière, clé en main, pour prier. Pourtant, la révélation du « Notre Père » ne consiste pas simplement en des paroles à dire, mais plus profondément en la révélation de ce qu’est la prière : quelle que soit sa forme, toute prière doit être une relation filiale. Même si on a toujours accordé beaucoup d’importance à la prière vocale – parce que nous ne sommes pas des anges et que tout notre être, notre corps comme notre voix, est fait pour louer Dieu –, il ne faut pas pour autant que cela devienne purement mécanique. Regardez le reproche terrible que le Christ fait au peuple juif : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi » (Mt 15, 8). Finalement, on peut dire beaucoup de prières et très peu prier si on n’y met réellement un cœur d’enfant !

Alors que la figure du père est en crise en Occident, la figure du Père est-elle encore recevable ?

Plus que jamais : en dévalorisant la figure du père, nous provoquons, chez les enfants, un grand déséquilibre. Nous avons perdu de vue le fait qu’une vraie autorité ne peut être que paternelle. Reconnaître Dieu comme Père n’est pas un aveu de faiblesse. Il s’agit d’une réalité qui est pure, sainte, parfaite en Dieu, à laquelle les pères doivent toujours tendre comme un modèle. Saint Paul dit : « C’est pourquoi je tombe à genoux devant le Père, de qui toute paternité au ciel et sur la terre tient son nom » (Ep 3, 14-15).

Il est nécessaire, ecclésialement, personnellement, socialement, de redécouvrir la figure paternelle de Dieu. Par ailleurs, si tous les hommes ne savent pas qu’ils ont un père commun, comment pourraient-ils s’aimer en vérité ?

La maternité de Marie
« Qui n’a pas Marie pour Mère n’a pas Dieu pour Père » disait saint Louis-Marie Grignion de Monfort… Comment comprendre cette phrase ?

Abbé Benoît de Giacomoni : Tout simplement en revenant encore à l’Évangile. La Sainte Vierge Marie a été choisie pour devenir la Mère du Fils de Dieu fait homme. Par son « fiat » de l’Annonciation, puis celui prononcé au Calvaire, Marie est passée de la maternité selon la chair à la maternité selon la grâce. Elle a donc aujourd’hui mission d’engendrer et d’éduquer dans la grâce divine ceux qui sont devenus fils adoptifs de Dieu par leur baptême. Et ce rôle unique, y compris dans l’importance de la dévotion à Marie dans la foi catholique, ne doit pas être mal compris. Il n’existe pas de « concurrence » entre le Bon Dieu et Notre-Dame. Comme le disait encore Grignion de Montfort : « Marie est l’écho admirable de Dieu, qui ne répond que Dieu, lorsqu’on lui crie : Marie » (Le Secret de Marie, n° 21). Alors prions-la beaucoup car si la prière est un blottissement dans les bras du Père, c’est bien à Marie qu’il revient de nous l’apprendre. 

La prière chrétienne. Se blottir dans les bras du Père, abbé Benoît de Giacomoni, Éd. Emmanuel, août 2025, 120 pages, 13,50 €.