Lorsque la légende dorée transmet de siècle en siècle, dès l’origine de l’Église, de pieuses traditions qui ont nourri les générations de chrétiens, il est bon et doux de les goûter à notre tour. Tel est le cas des parents de la Très Sainte Vierge, Joachim et Anne, qui nous sont connus de façon apocryphe par le Protévangile de Jacques du IIe siècle et l’Évangile du Pseudo-Matthieu du VIIe siècle. Il ne faut pas faire la fine bouche. Embrasser cette histoire avec reconnaissance nous lie aussitôt à ces deux figures d’Espérance qui ne peuvent que soutenir notre marche claudiquante vers l’éternité.
« Heureux soit votre couple ! »
Saint Jean Damascène, au VIIe siècle, nous invite à bénir ce couple discret et bienveillant envers lequel toute la création est reconnaissante : « Joachim et Anne, heureux soit votre couple ! Toute la création est votre débitrice. C’est par vous en effet qu’elle a offert au Créateur le don supérieur à tous les dons, une mère toute sainte, seule digne de Celui qui l’a créée. Heureux Joachim d’où sortit un germe tout immaculé, heureuse Anne dont le sein a développé lentement et d’où naquit une enfant toute sainte, la seule toujours vierge d’esprit, d’âme et de corps ! » (Homélie pour la Nativité de la Vierge Marie). Pourtant, quel chemin de souffrance que celui de Joachim « Dieu accorde », originaire de Nazareth, et d’Anne « la gracieuse », originaire de Bethléem, tous deux de la tribu de Juda, descendants de David ! Frappés de la malédiction de la stérilité, ils ne faiblissent cependant pas dans leur foi et leur confiance en Dieu. Il est rapporté que Joachim, – d’abord pasteur prospère à Nazareth, puis installé à Jérusalem pour orner le Temple et pour offrir de nombreux sacrifices –, montant au Temple au jour de la Dédicace, se vit repousser par le grand-prêtre Ruben qui refusa sa brebis sous le prétexte que l’infertilité était sans doute le signe de son péché. Il se retira alors de chagrin dans le désert de Judée pour prier et jeûner, y offrant à Dieu cet holocauste rejeté par le clergé. Au bout de quarante jours, un ange lui apparut et lui annonça qu’il serait père d’une enfant hors du commun. Il retourna vers Anne à Jérusalem. Cette dernière avait reçu la même révélation. Ils se rencontrèrent à la Porte Dorée sous laquelle ils s’embrassèrent en une étreinte, scène si souvent représentée avec émotion par les peintres d’icônes et les artistes médiévaux. La Très Sainte Vierge naquit neuf mois plus tard et ses parents la consacrèrent au service du Très Haut dans le Temple dès l’âge de trois ans, ceci pendant dix ans. Joachim mourut durant ce temps, tandis que la grand-mère Anne connut son petit-fils et expira dans les bras de Jésus.
Bouleversements heureux
Une telle trajectoire, retournée miraculeusement, invite ô combien à ne jamais considérer qu’une situation est perdue ou bloquée. Dieu provoque des bouleversements heureux, il redresse ce qui est tordu, il comble ceux qui sont dans l’attente. Cette petite Marie donnée à ce vieux couple dépasse la simple espérance de Joachim et Anne car elle devient à l’instant de sa conception immaculée celle qui écrase le serpent. Si Anne est souvent représentée comme enseignant la lecture à sa fille, elle ne participa guère à l’éducation de Marie, confiée aux bons soins du Temple, mais elle la retrouva ensuite et fut témoin de la naissance du Sauveur car elle mourut âgée. Si nous ne savons rien de la vie quotidienne de cette première « Sainte Famille », il est facile de deviner la qualité de l’affection et du respect qui y régnaient. Les Pères soulignent la place de la chasteté dans ces relations : « Joachim et Anne, couple très chaste ! En observant la chasteté, cette loi de la nature, vous avez mérité ce qui dépasse la nature : vous avez engendré pour le monde celle qui sera, sans connaître d’époux, la Mère de Dieu. En menant une vie pieuse et sainte dans la nature humaine, vous avez engendré une fille supérieure aux anges, qui est maintenant la Souveraine des anges » prêche encore saint Jean Damascène.
Préparation au fiat
La Très Sainte Vierge devait être d’abord la petite Marie choyée par ses parents, bénéficiant de tout ce qui pouvait la préparer à son fiat. Ce Tabernacle de pureté ne pouvait être déposé qu’au sein d’un couple préservé et tout entier tourné vers les œuvres divines. L’« éducation de la Sainte Vierge », thème cher à tous ceux qui, Bretons, Québécois ou autres, sont attachés à sainte Anne, fut exceptionnelle mais toujours dans une simplicité de laquelle seule l’humilité pouvait fleurir. Ce couple saint est un couple comme les autres et, dans le même temps, très différent, car dépositaire d’un trésor à nul autre pareil. La grâce qui remplit leur fille les touche également. L’obéissance du Fils envers la Mère et envers saint Joseph a été précédée par l’obéissance de la Mère envers ses parents, Marie grandissant aussi en sagesse devant les hommes. La « trinité mariale », Anne, Marie et Jésus, si vénérée en Bretagne, n’est évidemment pas un parallèle de la Sainte Trinité. La méfiance de l’Église à cet égard, après le concile de Trente et avec le pontificat de saint Pie V, n’interdit point une juste et équilibrée dévotion : Jésus sur les genoux de Marie reposant elle-même dans le giron d’Anne, révèle à quel point le Fils a vraiment pris la condition humaine, franchissant toutes ses étapes, dans une pure dépendance, un abandon absolu, porté par l’amour de son aïeule et de sa Mère charnelle. Anne devient une géante alors que Joachim a déjà rejoint les limbes. Il est rapporté aussi que l’un et l’autre bénéficièrent du Paradis dès l’instant de la Résurrection de leur petit-fils, non point par privilège tribal mais comme couronnement de leur sainteté. Vraiment des grands-parents en or, de celui qu’aucun parasite ne peut attaquer.