La persistance de la mythologie entourant le procès de Galilée dans l’imaginaire moderne mériterait presque une psychanalyse. Pourquoi les conclusions les mieux établies de la science historique ne parviennent-elles pas à rejoindre le grand public ? D’où vient ce besoin d’inaugurer à tout prix les rapports entre l’Église et la science moderne, par un « martyre » ? L’histoire a pourtant établi depuis longtemps que Galilée n’a pas été brûlé, ni torturé, ni même emprisonné, qu’il a été assigné à résidence dans sa villa luxueuse, d’où il a pu poursuivre ses travaux sans être inquiété. Qu’il avait pour seule pénitence de réciter sept psaumes par semaine – tâche qu’il délégua d’ailleurs à sa fille carmélite. Mais le mythe étant tenace, il faut rappeler les faits encore une fois.
Une Église pas si défavorable
Lorsqu’en 1610 il publia Le Messager des étoiles, un fascicule de 24 pages, Galilée était encore peu connu. Cette publication au style clair et élégant plongea le savant dans sa première grande polémique. En exposant ses découvertes des satellites de Jupiter et d’aspérités à la surface de la Lune, grâce à des lunettes astronomiques, Galilée heurta de plein fouet les conceptions de scientifiques suivant trop servilement la pensée d’Aristote. Car les premiers adversaires de Galilée furent quelques universitaires butés et non pas des théologiens.
À cette époque, une partie de l’Église acclama Galilée. Comme le note Denis Alexander dans Science et Foi : « Le principal astronome de Rome à cette époque, le Père jésuite Clavius, avec d’autres élèves des jésuites, non seulement vit les lunes de Jupiter, mais aussi améliora les propres observations de Galilée. » Le savant fut fêté par les jésuites et reçu par le Pape. « Des cardinaux et d’autres hommes d’Église assistaient aux fréquentes démonstrations faites par Galilée sur ses découvertes au télescope. » L’année suivante (1611), Galilée s’engagea dans une autre polémique sur la nature exacte de la glace. Il sera défendu avec vigueur par le cardinal Barberini. Cardinal qui composera une ode à la gloire de Galilée en 1620 et sera élu Pape sous le nom d’Urbain VIII en 1623…
Première condamnation
Hélas, les années passant, Galilée s’aliéna une partie des théologiens en partie à cause de son arrogance et de sa virulence.
En 1613, il entra en conflit avec un jésuite nommé Scheiner pour une banale affaire de priorité de découverte : qui a observé en premier des taches solaires ?… À cette occasion, Galilée se mit à dos de nombreux jésuites, ses alliés naturels.
Puis en 1614, c’est avec un ambitieux dominicain que la controverse s’engagea. Galilée, voulant défendre personnellement ses idées, se rendit à Rome. L’Inquisition se réunit alors et l’affaire porta sur la théorie héliocentrique [qui place le Soleil, et non la Terre, au centre la galaxie, NDLR]. Elle rendit en 1616 un jugement très bénin qu’on pourrait résumer ainsi : « Faites ce que vous voulez, mais surtout pas de vagues. » Il pouvait librement discuter ou débattre de la théorie copernicienne, à condition de ne pas l’enseigner comme une vérité physique. Demande très raisonnable quand on sait qu’à l’époque cette théorie n’était absolument pas prouvée.
Une théorie pas si bien établie
Car, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, Galilée n’avait pas de preuve décisive de l’héliocentrisme et de la rotation de la Terre. Il pensait prouver celle-ci par l’existence des marées, mais son explication était fantaisiste et fut rapidement rejetée par les savants. Par ailleurs, tenant fermement au mouvement circulaire des planètes – contre l’avis de Kepler –, son système héliocentrique était plus compliqué mathématiquement que le système géocentrique et n’avait aucune raison de s’imposer. En outre, Galilée s’avérait incapable de répondre à des objections solides contre sa théorie, par exemple l’absence apparente de parallaxe [Incidence du changement de position de l’observateur sur l’observation d’un objet, NDLR]. Quand on se déplace, la position apparente des objets varie : d’un côté de la table, la fourchette nous apparaît à gauche de l’assiette mais, pour celui qui est en face, elle semble à droite. De la même manière, si nous nous mouvons dans l’espace, la position respective des étoiles devrait changer à nos yeux. « Si la Terre n’est pas fixe et se déplace dans l’espace, disait-on à Galilée, la cartographie du ciel devrait se modifier au cours de l’année. Or les constellations ne changent jamais. La Grande Ourse a la même forme le 15 septembre et le 15 mars. » Galilée répondait que les étoiles sont trop éloignées pour que ce phénomène puisse être observé à l’œil nu, et il avait raison… mais il n’avait aucun moyen de le prouver !
Deuxième condamnation
Galilée, malheureusement, ne sut pas se faire discret. Il défendit ses idées avec un ton cinglant qui blessa de nombreuses susceptibilités. Il eut par ailleurs l’imprudence de se prononcer sur des questions théologiques. En 1632, il publia, contrairement à la demande expresse du Pape, un livre nettement en faveur de l’héliocentrisme. Livre qui, de surcroît, semblait ridiculiser Urbain VIII ! Si l’on ajoute à cela des considérations politiques, on explique assez aisément la condamnation de 1633 contraignant Galilée à abjurer l’héliocentrisme, déclaré hérétique.
Il est faux et caricatural de penser que l’Église n’a pas su ouvrir les yeux sur des preuves évidentes et que Galilée inaugure une longue liste de savants persécutés par des théologiens obtus – liste qu’on attend toujours. Elle n’était pas fermée par principe à la science et à toute évolution. Reste que cette histoire est navrante. Sans l’orgueil des uns et l’obstination des autres, sans la faiblesse humaine, la vérité n’aurait-elle pas pu triompher dans la paix ?