La chasteté : une ambition pour tous - France Catholique
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La chasteté : apprendre à aimer
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La chasteté : une ambition pour tous

© Jean-Louis Mazieres, CC by-nc-sa

Image :
Le Combat de l’Amour et de la Chasteté, vers 1490, Gherardo di Giovanni del Fora, National Gallery, Londres.
© Jean-Louis Mazieres, CC by-nc-sa

La chasteté : une ambition pour tous

La chasteté : une ambition pour tous

La chasteté est une vertu et un idéal de vie, rappelle Mgr Erik Varden, évêque de Trondheim (Norvège) dans un ouvrage érudit et lumineux. Où l’on comprend que la chasteté est la condition d’une vie intérieure cohérente, tournée vers Dieu.
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Écrire un ouvrage sur la chasteté relève de l’héroïsme au XXIe siècle. Pourquoi vous êtes-vous penché sur ce thème apparemment désuet ?

Mgr Erik Varden : Le mot « chasteté » fait partie de notre vocabulaire spirituel. Pourtant, nous ne le comprenons plus. La chasteté est un mot qui fait peur, que nous associons à la rigidité, à la frigidité, à la condamnation. Elle nous suggère un corps et un cœur pétrifiés. Or, j’ai été interpellé par l’enseignement de saint Benoît. Au chapitre IV de La Règle, il nous invite à « aimer la chasteté », « castitatem amare ». Cela m’a bousculé. Comment pourrais-je reconnaître quelque chose d’aimable dans ce qui m’apparaît si austère ? Je suis alors parti à la recherche de la richesse sémantique cachée dans le mot « chasteté ». De l’adjectif grec katharos qui signifie « pur », il s’est étendu au mot latin castus, qui a donné le mot « chaste ». Il ne peut être rattaché à la pureté proprement dite, mais plutôt à un équilibre retrouvé, où les passions sont gouvernées par la raison. En d’autres termes, la chasteté est la marque d’intégrité d’une personnalité dont les parties sont assemblées dans une complétude harmonieuse. C’est une manière d’être au monde. Le conseil de saint Benoît sur la chasteté est complété par « aimer le jeûne », « ieiunium amare ». S’abstenir de nourrir un appétit peut être une manière d’apprendre à aimer de façon ordonnée et féconde.

Qu’en est-il de la dimension sexuelle, à laquelle se rattache toujours la chasteté ?

Tout d’abord, la chasteté n’a rien à voir avec le célibat, ni avec la mortification des sens. Et ce n’est surtout pas un déni du sexe ! C’est une orientation de la sexualité, de tout l’instinct vital, en vue de la gloire de Dieu puisque nous sommes faits pour l’union à Dieu. Il s’agit d’une éducation du désir en vue d’une finalité désirable, non pas en vivant une sexualité qui s’apparente à une pulsion pressante, mais en gérant les appétits dans une optique d’amour. La chasteté est une éducation en conscience de la pulsion sexuelle qui permet une harmonisation progressive du corps, de l’esprit et de l’âme. Elle touche l’être tout entier et tous les sens sont appelés à la chasteté. La vision, notamment, est indispensable. Comme antidote à un regard prédateur, l’Évangile offre l’exemple d’une vision chaste et lumineuse : « La lampe du corps, c’est l’œil. Donc si ton œil est limpide, ton corps tout entier sera dans la lumière » (Mt 6, 22).

Comment comprendre la dépendance contemporaine à la pornographie ? Est-ce le contraire de la chasteté ?

La pornographie n’est pas nouvelle, mais elle se déploie en étant l’antithèse de la chasteté. Il n’y a qu’un seul sujet, le consommateur ; l’autre est réduit à un objet à posséder pour une satisfaction personnelle, alors que la chasteté résulte du renoncement à toute possession de l’autre pour l’aimer librement. Par ailleurs, la consommation de pornographie mène à une douloureuse expérience de solitude. Internet a rendu la pornographie omniprésente, elle échappe à tout contrôle. Cependant, je constate qu’il y a un changement culturel en cours : les adultes semblent désormais conscients de ses ravages sur l’imaginaire et l’affectivité des enfants alors que, dans les années 1970, tous étaient aveuglés par la libération des désirs.

Qu’est-ce que la chasteté a à voir avec le récit de la Genèse et la création d’Adam et d’Ève ?

Pour appréhender la chasteté, il faut revenir à notre approche du péché originel. La culture sécularisée a perdu le sens de l’origine de l’humanité et de sa finalité. Deux questions hantent la conscience humaine depuis toujours : d’où venons-nous et où allons-nous ? La protologie – c’est-à-dire le récit des origines – nous rappelle, dans la Genèse, que l’homme est fait à l’image de Dieu et qu’il ne s’agit pas d’un idéal abstrait. L’homme a connu cet état de ressemblance où il pouvait s’entretenir avec Dieu sans honte. Cette intimité confiante se perd avec la chute dans le monde du péché. Mais la mémoire de la communion originelle reste dans l’homme comme une nostalgie implicite et suscite un désir que rien dans le monde ne peut combler. Intrinsèquement, l’homme souhaite se fondre dans la vie en Dieu. C’est pourquoi son désir corporel porte une soif surnaturelle. Dans la Genèse, Adam porte Ève en lui avant qu’elle ne soit créée à partir de sa côte. Dans cet état, il connaît la communion avec Dieu et il a le désir de trouver un égal qui lui corresponde sur cette terre. Dieu fait passer devant l’homme toutes les espèces vivantes pour qu’il leur donne un nom, mais il ne trouve en aucune l’écho de relation personnelle qu’il cherche. Et c’est après la création de la femme qu’Adam se réveille et se voit regarder par quelqu’un d’autre, chastement, car la complémentarité est libre de toute possession. En contrepoint, l’effet immédiat du péché, c’est la manipulation et l’enjeu de pouvoir et de domination sur l’autre depuis le bannissement du jardin d’Eden.

Dans votre livre, vous citez le roi David dont l’adultère est l’exemple type de tout ce qui est contraire à la chasteté…

La Bible est une bibliothèque qui confronte le lecteur avec la vie réelle dans toutes ses dimensions. Nous lisons la Bible pour nous inspirer mais aussi pour que la Bible nous fasse reconnaître nos tendances basses et honteuses. Le grand intérêt de l’histoire du roi David est de montrer la progression d’une vocation et la pédagogie divine à l’œuvre dans la vie d’un homme. David commet un adultère avec Bethsabée, la femme d’Ourias, qui concevra de ces amours un enfant. Pour dissimuler son implication, David affecte le mari à un poste au combat où la mort est assurée. L’adultère n’est pas un abandon dans le feu de la passion, c’est un acte de convoitise calculé et violent qui conduira à un homicide. Cet incident abominable, Dieu le reconnaît et le punit mais sans oublier ses promesses. Il donne à David la possibilité du repentir et de vivre une vraie conversion, y compris à la chasteté, car l’adultère est la chasteté compromise à tous les niveaux – d’une part, par rapport au désir érotique et, d’autre part, en corrompant le pouvoir royal puisque David fait assassiner le mari et serviteur fidèle. Le psaume 51 de pénitence, dit « Miserere », est celui où David réalise les conséquences de ses actes et où il réclame « un cœur pur et le renouvellement d’un esprit ferme ». Il espère désormais le don de la pureté. Dans la vie monastique, saint Benoît nous demande de chanter ce psaume tous les jours de notre existence à l’aurore. Il s’agit de nous rappeler que même un bien-aimé de Dieu, doté de grâces, peut tomber très bas. Il est donc nécessaire de demander la grâce de la fidélité et du repentir pour ses chutes afin d’espérer vivre chastement.

Comment vivre au quotidien la chasteté ?

Toute vie est marquée par des appétits désordonnés. Il faut choisir dès ici-bas le bel ordre de l’amour, tel qu’il est décrit dans le Cantique des Cantiques : « Ordinavit in me caritatem », « La bannière qu’il a déployée sur moi, c’est l’amour ». Cependant, pour y parvenir, il faut d’abord que je reconnaisse les éléments du désordre que je porte. Il est indispensable que le processus de conversion commence par une vraie connaissance de soi dans la lucidité, l’humilité et l’espérance. La chasteté touche toutes les dimensions de notre être, montrant à notre conscience qu’aucun désordre n’efface la capacité de Dieu d’en faire une réalité belle et féconde.

La place de la prière est importante car c’est une manière de rétablir cette communion avec Dieu qui a été blessé. Ensuite, la chasteté induit une cohérence d’esprit et de corps dans notre conduite. Si nous avons compris qu’elle est une vertu d’équilibre pour régler notre vie intérieure et extérieure, nous la ressentons comme une dynamique – une dynamique qui nous permet de réunir en nous les consonances et dissonances, les thèmes joyeux et tristes, de manière symphonique, pour en faire un chant nouveau d’action de grâce, un chant unique et irremplaçable qui nous élève dans la joie. Une âme et un cœur joyeux sont la marque de la chasteté.

Quelle est la place de la chasteté dans le mariage et la virginité ?

La chasteté est associée dans la même mesure à l’état conjugal et à l’état virginal. Rappelons que la virginité, pour l’Église, n’est pas qu’une définition physiologique : elle indique également, comme pour le mariage, un état de grâce. Elle ne peut se réduire à une résignation à l’abstinence sexuelle, que nous associons presque exclusivement aux femmes. Elle doit être choisie comme une dynamique pour la vie, pour une fécondité spirituelle. Les vocations au mariage et à l’état virginal se complètent et s’éclairent mutuellement. Le célibataire, comme l’homme ou la femme mariée, est appelé à une vie féconde de communion, à voir et à être vu, à aimer et à être aimé. Mais là où les époux sont des agents de communion l’un envers l’autre, le célibataire consacré devient symbole de l’Église à travers son pacte nuptial avec le Christ.

Les deux états ne sont compréhensibles et réalisables qu’à la lumière de l’ouverture à la transcendance. Dans le mariage, il ne s’agit pas de sceller un lien entre deux individus mais d’un accomplissement de la nature humaine dans la guérison de la blessure de solitude inhérente à la chute qui découle du péché originel. Le mariage permet à l’homme et à la femme de trouver l’un en l’autre l’accomplissement humain auquel chacun aspire. Les époux deviennent un. Par le sacrement du mariage, leur union préfigure l’accomplissement eschatologique de la vocation de l’homme, c’est-à-dire la réconciliation finale en Dieu.

Dans les deux cas, la vocation au mariage ou à la virginité exige un certain degré de lutte. Se lier à un amour privilégié requiert la chasteté, c’est-à-dire qu’il faut laisser les mouvements du cœur et de la chair être tempérés par la volonté éclairée par la raison et pleinement par la grâce. 

Chasteté. Une réconciliation des sens, Erik Varden, éd. Artège, juin 2025, 240 pages, 19,90 €.