Certains se demandent parfois si la France est « encore » la fille aînée de l’Église. Notre chance – et notre fardeau, si je puis dire – c’est que nous n’y pouvons rien changer : la France, qu’elle le veuille ou non, est la fille aînée de l’Église.
Car Dieu lui-même ne peut pas changer le passé, écrit saint Thomas d’Aquin (S. th. I, 25, 4). Or, il est absolument factuel que Clovis fut le premier roi barbare à être baptisé dans la foi catholique après la chute de l’Empire romain d’Occident – et le premier à faire baptiser avec lui tous les siens. La nation française est née dans un baptistère.
Monarques davidiques
Il est également factuel que le roi Pépin le Bref, en permettant la création des États pontificaux, en 754, s’attira la reconnaissance du Saint-Siège, et mérita les titres de « fils aîné » et de « propagator ac defensor christianae religionis » de la part du pape Étienne II – titres qui passèrent de roi en roi, onze siècles durant, jusqu’à Charles X.
Il est factuel encore que nos rois se concevaient comme des monarques davidiques, oints à la manière du grand roi d’Israël, c’est-à-dire soumis à la loi de Dieu, comme l’indique le serment de leur sacre : « Je promets au nom de Jésus-Christ qu’en tout jugement je commanderai équité et miséricorde afin que Dieu clément et miséricordieux m’octroie, et à vous, sa miséricorde. »
Factuel encore que les rois de France, depuis Clovis, se firent un devoir de défendre le Pape contre ses ennemis, en particulier contre l’Empereur germanique ; ainsi en alla-t-il de Saint Louis, qui protégea le pape Grégoire IX des ambitions de Frédéric II : « Dans l’ancienne loi, écrit Grégoire, Juda avait la préséance sur les autres tribus ; ainsi le Royaume de France a-t-il été placé par Dieu au-dessus de tous les peuples, Jésus-Christ l’a choisi comme l’exécuteur spécial des volontés divines. »
Factuel toujours que la France fut la première nation missionnaire, celle d’où partirent les croisades en 1095, celle qui donna leurs premiers évêques à la Chine, au Japon, à l’Indochine ; celle d’où provenaient, en 1900, 80 % des religieuses missionnaires dans le monde. Pour reprendre une formule de Jean XXIII : « l’Italie, c’est saint Pierre ; la France, c’est saint Paul » – autrement dit l’Apôtre des nations.
« Tu es ma fille aînée »
Tous ces faits dûment attestés par les historiens ont conduit Lacordaire à dire, en 1841, alors que la France déjà n’avait plus de roi très-chrétien, qu’elle restait la fille aînée de l’Église : « De même que Dieu a dit à son Fils de toute éternité : “Tu es mon premier-né”, la papauté a dit à la France : “Tu es ma fille aînée”. »
Mais alors que s’est-il passé ? Car enfin si la France est la fille aînée, il semble qu’elle soit une sorte de fille prodigue, partie depuis plus d’un siècle vivre très loin de sa Mère, « ayant dilapidé toute sa fortune en menant une vie de désordre » (Lc 15, 11).
Eh bien, il s’est passé que la France, comme l’Ancien Israël après le roi Salomon, est tombée très bas. Voici qu’elle n’a plus rien et qu’elle voudrait manger les gousses d’ail que l’on donne aux porcs. Car elle s’est vautrée dans l’adoration de Baal et de Moloch. Mais, comme l’Ancien Israël, elle pourrait se relever.
À quelles conditions ? Elles paraissent totalement utopiques quand on jette un œil à sa situation. Mais il faut lire les prophètes de l’Ancien Testament pour reprendre cœur. Je pense à Isaïe (46, 3), Ézéchiel (11, 13), Michée (5, 5) et Sophonie (3, 1) qui parlaient du fond de l’abîme.
Que nous disent-ils ? Ils nous parlent d’un « petit reste » – le petit reste d’Israël, qui redonna force à la vie juive après la division du royaume, après les guerres fratricides, les apostasies, les idolâtries, les déportations et l’exil loin de soi-même.
En France, ce petit reste existe. Sur le grand arbre abattu du royaume très-chrétien, on voit de jeunes rameaux. Dans les champs ravagés par l’orage, pousse du blé sauvage – et partout des bourgeons. La France, aussi étonnant que cela puisse paraître, se lève non seulement comme un pôle de résistance, mais comme un pôle de renaissance. C’est encore tout petit, minuscule – un peu plus de douze tout de même ! – mais un noyau de jeunes Français grandit qui confessent la foi des Apôtres, qui refleurissent les calvaires, qui retapent les chapelles, qui font renaître l’apologétique, qui passent de l’islam au Christ, qui protestent, par millions, contre les lois contraires au Décalogue – bien plus que nulle part ailleurs !
« Furia francese »
Et il vient des séminaristes des quatre coins du monde, et de ceux que l’on croyait plus catholiques que nous – des Polonais, des Américains, des Mexicains – pour apprendre à connaître la Tradition latine et marcher vers Notre-Dame. Allez savoir pourquoi, ils croient que dans ce pays abîmé par tant de folies révolutionnaires, déchristianisé, déculturé, humilié, coupé de ses racines, décapité, il existe quelque chose d’immortel, d’increvable, d’électif, la furia francese, mais dans l’ordre de la foi, qui viendra faire renaître ce roi et cette patrie, « les plus beaux qu’on ait vus sous le ciel, la France de Mesdames Marie, Jeanne d’Arc et Thérèse et Monsieur Saint Michel » !