« Ma petite Maman, me voilà pris et ils vont me tuer. Je suis content. La seule chose qui m’inquiète est que tu vas pleurer. Ne pleure pas, nous nous retrouverons. José, mort pour le Christ-Roi. »
Ces derniers mots ont été retrouvés sur le corps d’un enfant de 14 ans, martyrisé le 10 février 1928 au Mexique. Voilà deux ans que le pays est à feu et à sang. Deux ans que la tyrannie du président Plutarco Calles, au pouvoir depuis 1924, a jeté le pays dans la guerre civile. Car le chef de l’État – qui, par certains traits, rappelle l’incorruptible Robespierre : « Toute ma vie, dira-t-il, je n’ai rien détesté plus que l’alcool et la religion » – a décidé d’appliquer dans toute sa rigueur la Constitution de 1917, adoptée pendant la Révolution mexicaine dont il fut un acteur. Or, cette Constitution, qui renforce les pouvoirs de l’État fédéral au détriment des libertés locales, est violemment anticléricale. Elle prive les religieux du droit de vote, leur interdit d’enseigner, de porter l’habit dans l’espace public ; elle prohibe les vœux monastiques et prévoit la nationalisation des biens du clergé. Mais dans un pays dont les habitants sont presque tous catholiques, les dirigeants mexicains – souvent francs-maçons – ont jusqu’alors fait preuve d’une certaine souplesse : ces dispositions sont pour la plupart restées lettre morte.
Calles n’aura pas cette prudence. Pour lui, « les églises sont des antres de corruption » et les curés « des ennemis irréconciliables de la civilisation et des révolutions libertaires »… En deux ans, tout un arsenal réprimant l’expression de la foi est adopté. Une réforme du Code pénal instaure des peines spécifiques pour les religieux qui enfreindraient la Constitution : des amendes pour le port de la soutane ou de l’habit, de la prison s’ils critiquent le gouvernement. Il leur est interdit de célébrer la messe en dehors des églises surveillées par la police. Puis l’État décide d’expulser les congrégations enseignantes, de nationaliser les biens du clergé et d’interdire les organisations professionnelles catholiques. Enfin, le 2 juillet 1926, les prêtres sont obligés de se faire enregistrer dans les commissariats, le gouvernement pouvant les affecter où bon lui semble.
« Tyrannie effrénée »
Les catholiques ont d’abord essayé de résister passivement à cette persécution. Mais rien n’y fait, ni la pétition de protestation qui recueille plus d’un million de signatures dans un pays de 15 millions d’habitants, ni le boycott économique décidé par la Ligue nationale pour la défense de la liberté religieuse, créée en 1925 : consigne est donnée de ne rien acheter d’autre que les biens indispensables, la chute de la consommation menaçant l’économie d’effondrement. Le Saint-Siège aussi a essayé de ramener Calles à la raison, mais son délégué a été expulsé du Mexique et le gouvernement ignore les protestations de Pie XI, qui a dénoncé « la guerre acharnée » que Calles mène aux catholiques le 2 février 1926, avant de condamner la « tyrannie effrénée » qu’il exerce, dans l’encyclique Iniquis afflictisque (18 novembre 1926).
Dans l’impossibilité d’exercer librement leur culte, les évêques mexicains décident alors, le 25 juillet 1926, une mesure sans précédent : en accord avec le Saint-Siège, « tout acte de culte public qui exige la participation d’un prêtre [est] suspendu dans toutes les églises de la République ». Cette décision ultime, destinée à faire plier le gouvernement, précipite la répression, qui provoquera l’insurrection des « Cristeros ».
« Viva Cristo Rey ! »
Comme les Vendéens de 1793, la plupart sont de modestes paysans. Et, comme eux, ils sont prêts au martyre. Pie XI ayant institué la fête du Christ-Roi en 1925, c’est sous cette bannière qu’ils se soulèvent, associant à son Fils la sainte patronne du Mexique : « Viva Cristo Rey ! Viva la Virgen de Guadalupe ! » Partie de l’ouest – le 3 août 1926, 400 catholiques armés affrontent les troupes fédérales à Guadalajara –, l’insurrection gagne la moitié du pays en moins de six mois. Les Cristeros ne sont d’abord que des bandes éparses, conduites par des chefs habiles à la guérilla, comme Victoriano Ramirez, surnommé « El Cartorce » (14) parce qu’il aurait tué quatorze soldats en s’évadant de prison. Mais ils ne peuvent pas rivaliser avec l’armée de Calles dans des batailles rangées. Il leur faut un général. Ce sera Enrique Gorostieta Velarde. Sous son autorité, les Cristeros se disciplinent. Commandés par des officiers mieux formés, ils gagnent en efficacité. On comptera bientôt 50 000 Cristeros : moitié sous les ordres de Gorostieta, moitié dans des bandes autonomes. Ils ont la foi pour ciment et vont au combat en chantant le Christus vincit ou le Magnificat. En face, les fédéraux chargent au cri de « Viva el demonio ! » Des auxiliaires féminines, placées sous le patronage de sainte Jeanne d’Arc, les aident à récolter de l’argent, des armes, des provisions. Et soignent les blessés.
Malgré les persécutions – paysans fauchés à la mitrailleuse, prêtres émasculés… – l’année 1928 est à l’avantage des Cristeros, mais Gorostieta est tué dans une embuscade le 2 juin 1929. Et les insurgés ne sont pas maîtres de leur destin. Les États-Unis ne veulent pas à leur porte d’un pays en guerre où ils exploitent des concessions pétrolières. Le Saint-Siège tente d’obtenir un accord de paix favorisant la reprise du culte. Seuls trois évêques mexicains apportent aux Cristeros leur précieux soutien spirituel, les autres se sont exilés.
Cet accord sera conclu fin juin 1929 : le culte redevient libre, les prêtres recouvrent leurs droits civiques et l’État promet de ne pas appliquer les lois controversées, qui ne sont pas abrogées. Les Cristeros – qui n’ont pas été associés à ces négociations – sont sommés de déposer les armes, sous peine d’excommunication ! Mais le gouvernement ne respectera pas sa parole et continuera de pourchasser les Cristeros : on estime à 5 000 ceux d’entre eux qui seront assassinés après la fin officielle du conflit. En 1935, moins de 350 prêtres étaient autorisés à célébrer le culte, au lieu de 4 000 avant que n’éclate cette guerre, que les historiens ont appelée la « Cristiada ».
Le Tarcisius mexicain
Selon l’historien Jean Meyer (La Rébellion des Cristeros. L’Église, l’État et le peuple dans la Révolution mexicaine, CLD, 2023, rééd.), la guerre aura fait près de 250 000 victimes : 40 000 Cristeros, 60 000 soldats fédéraux et 150 000 civils. Plusieurs ont été béatifiés ou canonisés, comme le jeune José Sanchez del Rio.
Porte-drapeau dans l’armée de Gorostieta, l’enfant fut capturé le 6 février 1928. Ses bourreaux lui cisaillèrent la plante des pieds puis l’obligèrent à marcher sur du sel, lui promettant la vie sauve s’il criait « Mort au Christ-Roi », à quoi José répondit : « Longue vie au Christ-Roi ! » Il dut alors creuser sa tombe et fut assassiné d’une balle dans le dos. Ses compagnons l’avaient surnommé Tarcisius, du nom du jeune chrétien martyrisé à Rome en 257.