Parmi les traits constitutifs d’une grande partie de la société contemporaine, il y a à la fois la distraction, et le manque d’attention, qui ne sont pas nécessairement la même chose. Nous sommes très certainement distraits par la multiplicité des media sociaux, l’incapacité à nous concentrer et la pure omniprésence du bruit et des distractions visuelles. Ceci nous conduit au manque d’attention, une incapacité probablement involontaire, à être capable de se focaliser sur une chose précise pendant un certain temps. Et particulièrement avec le manque de silence, notre attention peut se détourner de Dieu, pour se diriger vers ce qui est mondain et insignifiant.
Dernièrement, je lisais un livre sur la vieille sagesse de certaines cultures qui existent encore dans une partie de la Bulgarie, de la Grèce et de la Macédoine. L’auteur y fait un lien très clair entre le manque de silence dans la société occidentale et les maladies – maladies mentales, bien sûr, mais aussi maladies physiques. Elle décrit un endroit où le monde naturel est encore dominant. La nuit, le ciel n’est encore illuminé que par les étoiles, la nourriture est naturelle et saine, et quand un bruit artificiel y pénètre, il est discordant. Comme l’a écrit le grand Patrick Leigh Fermor, « il y a un temps pour garder le silence. »
Prêter attention à quelque chose ou à quelqu’un est un signe de respect. Plus la célébration de la messe devient mondaine au sens propre du terme avec tout ce que cela implique, surtout la musique et l’art, moins les fidèles sont capables de prêter attention à ce qui le mérite, l’attention qui est nécessaire, mais également le respect qu’implique le culte divin.
Saint Jacques, dans sa courte mais puissante lettre, l’exprime en quelques versets, et quelque chose d’encore plus profond. Il nous rappelle d’être « des acteurs de la parole et pas seulement des écoutants ». Si nous ne faisons qu’entendre, dit-il, nous nous trompons. Il y a longtemps, alors que je rendais visite à un ami à Francfort, en Allemagne, je suis allé à la messe du dimanche. Mon allemand, alors, comme maintenant, en était au stade de ce que j’ai appris à l’école, mais j’ai compris que l’Evangile était celui de la Transfiguration. A un moment pendant l’homélie, le prêtre a employé deux mots anglais, « écouter et entendre ». Après, je lui ai demandé s’il réalisait que, en anglais, il y avait une grande différence entre écouter et entendre. Dans son anglais qui était bien sûr parfait, il m’a répondu que j’avais raison.
Entendre et agir demande concentration et attention. Et être obéissant implique vraiment d’écouter correctement, puis d’agir. C’est le vrai commandement du Père à ceux qui étaient sur la montagne sainte quand le Seigneur fut transfiguré en gloire. La parole dont parle saint Jacques est à la fois Le Seigneur Jésus Verbe de Dieu, et Sa Parole qui englobe à la fois les Ecritures et l’enseignement de l’Eglise.
Saint Jacques emploie l’image merveilleuse de l’homme qui entend la parole et n’agit pas en conséquence, comme un homme qui se regarde dans la glace, et oublie instantanément ce à quoi il ressemble. Quelle description de l’homme contemporain et en particulier du postchrétien contemporain !
Quelle est la solution ? Fixer notre attention. Saint Jacques dit, « regardez calmement la loi parfaite de la liberté », et une autre traduction dit : « regardez la loi parfaite, la loi de liberté, et persévérez ».
La loi parfaite de la liberté, la loi qui libère, ne concerne pas la politique, la personnalité ou le populisme ; C’est l’Evangile, le message de salut du Christ. C’est la rencontre avec la personne de Jésus, le regard paisible vers Son Visage en prière et en méditation, l’écoute attentive de Sa Parole, sans lesquels nous ne pouvons pas progresser.
Alors que nous regardons avec calme, nous prenons conscience du fait que le Seigneur nous regarde, ce qui est peut-être la définition même de la prière. Nous connaissons probablement l’histoire de Saint Jean-Marie Vianney, curé d’Ars, qui demandait à un vieux paysan qu’il voyait chaque jour assis devant le tabernacle, ce qu’il faisait. « Je l’avise, et Il m’avise. » L’homme était un mystique.
Le regard pénétrant du Christ, même invisible sur l’autel et seulement marqué par la présence d’une lumière rouge, est un regard captivant ; c’est un vaccin contre le virus des distractions et de l’inattention. La pandémie de la superficialité et de la vie vécue à la surface, graine qui tombe sur la pierre du chemin, pousse et se fane instantanément du fait de son manque de racines, ne peut être contrée ou guérie que par cet échange de regard dans une attention silencieuse et priante.
Être disciple requiert de la discipline, de même que l’attention nécessite une action similaire de la volonté. Nos corps et nos esprits, pour utiliser la comparaison de Saint Paul avec les athlètes, a besoin d’entrainement, et parfois l’exercice demandera presque un « nouvelle musculation de la mémoire » tellement nous avons été pervertis par les assauts d’images, de sons et de distractions extérieures.
Regarder calmement ne signifie pas que nous ne voyons pas les autres choses qui passent, quand le trafic nous dépasse tandis que nous nous rendons à destination. Mais nous ne sommes ni distraits, ni tentés de nous détourner de la route. Sait Paul nous rappelle de garder les yeux fixés sur le Christ.
Une chose très pratique que nous devons tous faire, c’est d’examiner vraiment ce qui nous distrait et, au moins d’une certaine manière, de diminuer la distraction. Fermer les bruits et les notifications. Je sais que, pour certains, cela fera l’effet d’une dent arrachée sans anesthésie. Mais cela pourrait être juste ce qu’il faut. Et c’est un commencement.
Si vous voulez le prix, comme dit le proverbe, gardez l’œil sur le prix.
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Source : https://www.thecatholicthing.org/2025/05/11/looking-steadily/
Père Benedict Kiely, traduit par Isabelle