Le pape François, tout au long de son pontificat, n’a cessé d’insister sur la miséricorde divine. Certes, ses prédécesseurs partageaient la même conviction, comme l’attestent leurs encycliques. Mais lui avait suivi sa voie singulière afin d’en faire le cœur même de son enseignement. Il se demandait si, à la suite de la Réforme du XVIe siècle, on n’avait pas été enclin à insister sur la justice de Dieu. Le mot miséricorde, en latin, associe le cœur et les pauvres d’ici-bas. Ce qui renvoie au mystère même du Dieu qui s’est offert pour le Salut de l’humanité.
Devenir des îles de miséricorde
Biographe du pape, Austen Ivereigh reprend l’expression d’« Église samaritaine » comme la plus proche de l’intention de manifester au monde l’amour que Dieu lui porte : « Faire l’expérience de Dieu en tant que misericordia, c’est entrer dans la vie de Dieu et comprendre la Révélation de Jésus. Le mot miséricorde apparaît 32 fois dans Evangelii gaudium, qui appelle les paroisses et les communautés à devenir des îles de miséricorde au milieu de la mer de l’indifférence. »
Ivereigh rappelle également que, dans les années 1970, le Père Bergoglio avait eu un désaccord important avec les tenants d’une certaine théologie de la libération, et même certains confrères de la Compagnie, qui mettaient en avant le préalable de la justice sociale. Il est vrai qu’à l’époque, tout un courant progressiste était marqué par une inspiration marxiste-léniniste qui ne pouvait concevoir la Révolution autrement que par l’acquisition de la justice absolue au-delà des aliénations et des injustices capitalistes. Cela n’allait pas sans la violence.
Bergoglio s’oppose résolument à un tel blocage idéologique, en insistant sur le message évangélique de conversion du cœur, de service du prochain et d’abord des pauvres. C’est pourquoi le pape François voudra toujours manifester cette proximité aux blessés de la vie, en allant visiter les lieux de souffrance : prisons, centres de désintoxication, maisons de retraite, centres d’accueil pour personnes handicapées. Comment oublier que le Jeudi saint dernier, alors qu’il était dans un état d’extrême faiblesse, il a encore voulu rendre visite à une prison de Rome ?
Spiritualité française
On a beaucoup prétendu que François n’aimait pas la France et que c’est pour cela qu’il n’avait jamais admis de venir officiellement dans notre pays. Ses visites à Strasbourg, Marseille et Ajaccio étant liées à des occasions particulières. Mais on oublie un peu vite la part considérable qu’il a reçue de la spiritualité française.
Pour le comprendre, il faut lire sa quatrième encyclique Dilexit nos, publiée le 24 octobre 2024 et qui revient sur le culte au Cœur sacré de Jésus. La plupart de ses références se rapportent aux saints de chez nous, à commencer par sainte Marguerite-Marie Alacoque et le jésuite saint Claude La Colombière, les deux grandes figures de Paray-le-Monial. Mais on ne peut comprendre la vie intérieure de Jorge Mario Bergoglio sans l’influence considérable de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. Une sainte qui, justement, avait déjà envisagé les rapports de la Justice et de la Miséricorde, dans des termes où François ne pouvait que se reconnaître.
Il n’était pas avare d’expressions qui avaient le don de faire réagir. Parmi celles-ci, on retiendra celle d’« hôpital de campagne » : « Il est inutile de demander à un blessé grave s’il a du cholestérol ou si son taux de sucre est trop haut. Nous devons soigner les blessures, soigner les blessures. » Tel pourrait être le terme le plus adéquat pour traduire la mission de l’Église, témoin de la miséricorde de Dieu – qui suppose aussi de reconnaître son péché : « Va et ne pèche plus », dit le Christ à la femme adultère.
François le réformateur. De Buenos Aires à Rome, Austen Ivereigh, Éd. Emmanuel, 2017, 536 pages, 20 €.