Marie, entre terre et Ciel - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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Marie, entre terre et Ciel

C’est « l’autre mois de Marie » : octobre – un temps au cours duquel les chrétiens orientent tout particulièrement leur prière vers la Sainte Vierge, Notre-Dame du Rosaire. Mère de Dieu et Mère des hommes, telle est Marie, Mère de Jésus.
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© Pascal Deloche / Godong

C’est presque un paradoxe. La dimension maternelle de la Vierge Marie, la douce attention qu’elle accorde à son enfant dans la crèche de Bethléem, son angoisse quand elle le perd alors qu’il enseigne au Temple de Jérusalem, sa discrétion attentive à Cana, son affreuse tristesse au moment de la Passion : toute l’humanité de la mère de Dieu qui transparaît dans le récit évangélique, portée par les arts depuis des siècles, fait d’elle une figure universelle et parfaite de la sollicitude maternelle – ce qui est une vérité définitive – mais peut conduire, en raison même de cette perfection, à l’élever au rang de personnage surnaturel, ce qu’elle n’est assurément pas. Marie est pleinement humaine, à l’exception – certes plus que notable – de la maternité divine, de la virginité perpétuelle, de l’exemption du péché et de son Assomption.

Ligne de crête

Toute la difficulté, pour le croyant, est donc de demeurer sur une étroite ligne de crête, conciliant à la fois la temporalité indéniable de la Sainte Vierge et sa singularité absolue. Ou pour le dire plus simplement, d’éviter à la fois sa normalisation et sa divinisation. « Elle est la mère du genre humain, la nouvelle Ève. Mais elle est aussi sa fille » nous dit simplement Bernanos dans Le Journal d’un curé de campagne. En elle va habiter « corporellement la plénitude de la divinité » explique aux Colossiens saint Paul (2, 9). Quel vertige ! Pour s’y retrouver, l’Écriture sainte demeure la source la plus solide, même si l’on ne saurait négliger l’éclairage – à manipuler avec distance – des écrits apocryphes, la réflexion des Pères de l’Église, l’enseignement des apparitions, ou encore les révélations – à considérer avec prudence – reçues par certaines âmes privilégiées. Dans cet enchevêtrement de sources, que retenir avec certitude sur l’humanité de la Sainte Vierge ?

Penchons-nous pour commencer sur l’Ancien Testament, parsemé de passages prophétiques. En effet, Marie ne survient pas dans l’histoire du Salut à partir de l’Annonciation seulement. Plusieurs passages explicites annoncent son rôle non seulement historique, mais aussi cosmique. L’un des plus saisissants est à n’en pas douter cet extrait d’Isaïe (7, 14-17) qui relate un signe envoyé au roi Achaz : « C’est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe : Voici que la vierge est enceinte, elle enfantera un fils, qu’elle appellera Emmanuel – c’est-à-dire : Dieu-avec-nous. » Saint Matthieu y fait écho dans l’évangile qu’il a rédigé (1, 23).

Saintes femmes

Si la prophétie d’Isaïe reste la plus connue, c’est parce qu’elle dessine de manière presque explicite l’identité de celle par qui viendra le Messie. Néanmoins, les écrits paléotestamentaires sont riches d’autres figures qui préfigurent la Sainte Vierge. Le Catéchisme de l’Église catholique (art. 489) précise les choses : « Tout au long de l’Ancienne Alliance, la mission de Marie a été préparée par celle de saintes femmes. Tout au commencement, il y a eu Ève : malgré sa désobéissance, elle reçoit la promesse d’une descendance qui sera victorieuse du Malin. […] Contre toute attente humaine, Dieu choisit ce qui était tenu pour impuissant et faible pour montrer sa fidélité à sa promesse : Anne, la mère de Samuel, Débora, Ruth, Judith et Esther, et beaucoup d’autres femmes. » D’autres passages de l’Ancien Testament, enfin, annoncent de manière très allusive la figure de Marie. Suffisamment néanmoins pour nourrir une grande spiritualité, comme la spiritualité carmélitaine, issue d’un passage du Livre des Rois (1, 18), rédigé neuf siècles avant notre ère, lequel raconte la vision d’une nuée blanche, apportant une pluie salvatrice sur Israël ravagé par la sécheresse, que reçut le prophète Élie sur le mont Carmel.

Que nous dit le Nouveau Testament sur la Sainte Vierge ? Pour commencer, il confirme les prophéties de l’Ancien, ou dévoile leur dimension mystérieuse. Un regard athée pourra certes objecter que ses rédacteurs ont peut-être manié leur plume ou leur stylet a posteriori pour la rendre compatible avec les versets bibliques. Mais le croyant ne pourra qu’être interloqué par l’étonnante résonance que l’on découvre entre les textes. Il n’en demeure pas moins vrai que la présence de Marie dans les Évangiles est presque inversement proportionnelle à la dévotion et à l’amour qu’on lui voue depuis les premiers siècles de l’Église.

Ainsi n’est-elle citée qu’une seule fois dans l’Évangile de saint Marc (6, 1-3), et encore, de manière simplement informative. Peut-être pour des raisons de pudeur, de discrétion ou de prudence, puisque cet Évangile, le plus ancien des quatre, fut probablement écrit de son vivant. Saint Matthieu lui aussi se montre peu disert sur la mère du Christ. Il confirme la prophétie d’Isaïe, établit des éléments de généalogie, s’attarde sur la figure de saint Joseph, et dresse quelques aperçus de la Sainte Famille. Point fondamental, il atteste la conception virginale de Jésus, dans son récit du songe de Joseph (1, 20-23). Saint Jean, de son côté, dont on connaît l’infinie tendresse qui l’unissait à la Sainte Vierge, en dit peu sur elle, même si ce « peu » est essentiel, puisque « le disciple que Jésus aimait » nous la montre aux noces de Cana, et au pied de la Croix, assistant avec lui à la mort du Sauveur. Et l’on n’oubliera pas, bien sûr, qu’on lui doit l’énigmatique récit de l’Apocalypse, au centre duquel la « femme » évoquée est souvent considérée comme Marie.

Saint Luc se montre plus prolixe. C’est lui – qui devint chrétien au contact de saint Paul – qui a le plus parlé de la Sainte Vierge, bien qu’il ne fût pas un des Douze. Il nous a rapporté, entre autres, les récits de l’Annonciation, de la Visitation, de la Présentation puis du Recouvrement de Jésus au Temple. On lui doit certaines des formules les plus poétiques qui laissent entrevoir son infinie douceur : « Quant à Marie, elle conservait avec soin tous ces souvenirs et les méditait en son cœur », écrit-il ainsi (2, 19) pour clore le passage relatif aux premiers moments de la vie terrestre du Christ, juste avant sa circoncision au huitième jour.

Et pourtant, même si Luc, avec sa précision de médecin, est peut-être le plus précis dans son récit, il nous laisse dans l’expectative au sujet de la Vierge puisqu’elle disparaît précocement de son texte et n’apparaît même pas dans le récit de la Passion et de la Résurrection… Et si l’on espérait qu’il apporterait davantage d’éléments dans les Actes des Apôtres, dont il est réputé être l’auteur, on ne peut qu’être déçu puisque la Sainte Vierge n’y apparaît qu’une seule fois, au Cénacle (1, 13-14), au côté des onze disciples, juste après l’Ascension. Apparition furtive qui lui vaudra néanmoins d’être proclamée « mère de l’Église », titre dont le pape François a rendu la mémoire obligatoire en 2018. Un dernier mot, enfin, sur les épîtres de saint Paul, qui auraient pu constituer une source précieuse, mais qui s’avèrent également peu explicites, puisqu’elles ne font allusion qu’une seule fois à Marie (Ga 4, 4) sous cette formule plus que concise : « Dieu envoya son fils, né d’une femme. »

Que faut-il déduire de cette concision ? Que le culte universel voué à la Vierge n’est qu’une construction ex-post, disproportionnée au regard de sa présence effective dans la Bible ? Qu’il n’a été constitué que comme le décalque christianisé des cultes rendus aux figures féminines, comme Cybèle, dans les religions païennes ? L’argument demeure aujourd’hui encore très vivace. L’adopter reviendrait néanmoins à balayer l’intelligence et le temps qui fut consacré par l’Église depuis les premiers siècles pour comprendre et méditer, avec la plus grande prudence, ce que l’Ancien et le Nouveau Testament lui avaient légué, sans doute de façon furtive, mais ô combien puissante.

Sagesse de l’Église

Des conciles antiques aux enseignements les plus récents du magistère, par une lente sédimentation, où d’aucuns verront l’œuvre de l’Esprit Saint, la Sainte Vierge va devenir un socle premier de l’espérance chrétienne, que souligne l’Église lorsqu’elle affirme dans la Constitution apostolique Lumen gentium qu’« elle apporta à l’œuvre du Sauveur une coopération absolument sans pareille par son obéissance, sa foi, son espérance, son ardente charité, pour que soit rendue aux âmes la vie surnaturelle. C’est pourquoi elle est devenue pour nous, dans l’ordre de la grâce, notre Mère ».