Il y a trente ans, vous invitiez Alexandre Soljenitsyne à visiter les lieux emblématiques de Vendée : le Puy du Fou, la Chabotterie, Les Lucs-sur-Boulogne, Saint-Gilles-Croix-de-Vie. Que représentait pour lui ce voyage ?
Philippe de Villiers : Ce périple vendéen, imaginé par Dominique Souchet, représentait pour lui l’un des moments importants tant de sa vie publique, comme prix Nobel de littérature et ancien prisonnier du Goulag, que de sa vie privée, évoquant son enfance et les lectures que lui faisait sa mère. En effet, lorsque je lui ai posé cette même question, il m’a répondu que c’était l’urgence de son cœur : « Je sais depuis mon enfance, où ma mère m’a raconté la révolte des paysans de Tambov qui ressemblait à la révolte des paysans vendéens, et pour avoir entendu Lénine réclamer des Vendée, c’est-à-dire des exemples de Terreur réussie, je sais que la Vendée est l’archétype de la résistance, la première révolte populaire contre le totalitarisme moderne. »
En quoi le discours qu’il a prononcé le 25 septembre 1993 aux Lucs-sur-Boulogne demeure un signe des temps ?
Alexandre Soljenitsyne a qualifié ce qui s’est passé en Vendée par ces mots : « C’est ici que la Roue Rouge qui devait broyer la Russie a fait ses premiers tours. » En d’autres termes, c’est ici qu’a été expérimentée la matrice du totalitarisme du XXe siècle. C’est en Vendée que la nouvelle idée de la Table rase qui a produit la peste rouge et la peste brune a été mise en œuvre pour la première fois. Soljenitsyne a osé expliquer dans son discours et sous-entendre que la Révolution française n’était pas un changement de régime, mais portait en elle un changement de religion : l’idéologie des droits de l’homme était rattachée à l’idée de fabriquer un « homme nouveau ». Dans l’esprit des révolutionnaires, il s’agissait de rompre avec « l’homme nouveau » de saint Paul, avec cette seule révolution qui tienne, cette révolution paulinienne qui a fondé l’universalisme chrétien : « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme. » La Révolution française prétendait en finir avec cette révolution paulinienne et établir un monde sans Dieu. Les droits de l’homme et non plus les droits de Dieu.
N’oublions pas cette phrase de Robespierre : « Lorsque j’ai vu à quel point l’humanité était dégradée, je me suis résolu à inventer une humanité nouvelle. Ce que je veux, c’est un recommencement absolu de l’humanité. » Soljenitsyne a été le premier penseur à débusquer le processus révolutionnaire dans ses origines et comprendre que le combat des Vendéens était archétypal, et que la Vendée était une figure iconique de la résistance.