Loin de l’image véhiculée par sa légende noire, l’Église au Moyen Âge a eu à cœur de parler à tous les fidèles, dans une démarche à retrouver, explique l’académicien Michel Zink, auteur de Parler aux « simples gens » (éd. du Cerf).
par
Constantin de Vergennes
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« Le texte évangélique est un texte à la fois fondamental, inépuisable et simple. Le sermon doit imiter cette particularité. »
L’expression médiévale de « simples gens » est-elle sincère ou condescendante ?Michel Zink : Elle peut être tout à la fois valorisante ou péjorative. Si l’expression peut désigner une forme de bêtise ou une rusticité que l’on regarde avec mépris, elle peut au contraire désigner une sorte de pureté de l’âme, une simplicité évangélique. J’ai mis l’expression entre guillemets parce que c’est effectivement une expression fréquente au Moyen Âge : les « simples gens » sont les personnes sans éducation, qui ne savent ni lire ni écrire, qui ne savent pas le latin, qui sont généralement pauvres ou qui, tout du moins, n’appartiennent pas aux classes supérieures de la société. Ces « simples » sont regardés avec faveur par l’Église, parce que leur simplicité même les rend aptes à recevoir le message évangélique.
À l’époque, les hommes d’Église parlaient en latin, mais vous montrez qu’ils ont eu à cœur d’adopter la langue du peuple… Pourquoi ?
Dans de nombreuses civilisations, la langue savante, souvent sacrée, reste longtemps seule langue de culture écrite, statut auquel n’accèdent pas les langues parlées. Mais le christianisme, en exigeant une adhésion personnelle, par opposition à la religion antique qui n’exigeait que le respect des rites, a contraint l’Église à s’adresser dans leur langue à tous les peuples qu’elle voulait évangéliser – « De toutes les nations faites des disciples » – et de leur enseigner en termes simples des vérités complexes. L’accession de ces langues au statut de langues de culture et le développement de leurs littératures en ont été favorisés.
À quoi ressemblait un sermon pour de « simples » fidèles ?
Ils étaient moins savants que les sermons scolastiques des milieux universitaires, qui recherchaient la virtuosité dans l’exégèse, et moins déconcertants que les sermons monastiques, chargés d’effusion spirituelle. Le sermon aux « simples » paraphrasait en langue vulgaire l’Évangile du jour, en mettait en lumière le sens littéral, puis, en termes simples, en dégageait le sens spirituel et le sens moral. Cette démarche, à laquelle invitent les paraboles du Christ, était une application simplifiée du recours à une méthode savante pratiquée depuis Origène mettant en valeur les différents sens de l’Évangile. Ces sermons avaient le souci d’être compris sans renoncer à une certaine exigence intellectuelle.
Les prêtres d’aujourd’hui devraient-ils s’inspirer de ces sermons du Moyen Âge ?
Les sermons au peuple étaient brefs, tenaient compte de la faculté d’attention et de la nature de l’auditoire, veillaient à ce que des exemples en forme d’anecdotes éveillent l’intérêt et facilitent la compréhension. Ces exemples, souvent réunis en recueils, constituaient un véritable genre littéraire. Rien n’a tellement changé : être bref, exposer en termes simples une pensée profonde, recourir à une anecdote, mettre en lumière, dans tel passage scripturaire, une évidence qu’on ne voit pas, n’est-ce pas aujourd’hui le souci de tout prédicateur ? Le texte évangélique est à la fois inépuisable et simple.
Tous vos écrits contribuent à défaire la légende noire du Moyen Âge. Quels aspects ce livre réhabilite-t-il ?
Je ne cherche pas systématiquement à réhabiliter le Moyen Âge. Ce livre fait seulement apparaître une évidence. La société médiévale est fortement hiérarchisée. Au sommet de cette hiérarchie, l’Église justifie sa puissance et son omniprésence par la nécessité de faire entendre la parole de Dieu. Mais elle sait, comme tous savent, que cette parole de Dieu est que le Christ est présent dans les petits, les faibles et les pauvres, que ce sont eux qui entreront les premiers dans le royaume de Dieu et que les premiers seront les derniers. Les auteurs spirituels, les réformateurs monastiques, la poésie et les arts le rappellent sans cesse. Cette tension, cette mauvaise conscience, n’ont certes pas eu d’application systématique, mais elles ont modelé l’esprit de notre civilisation, fût-ce malgré elle. Sans cette imprégnation chrétienne remontant au Moyen Âge, qui aurait pensé, au XIXe siècle, à ajouter le mot fraternité à la devise de la République ?
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Parler aux « simples gens ». Un art médiéval, Michel Zink de l’Académie française, éd. du Cerf, mai 2023, 240 pages, 20 €.