Un protocole bâclé - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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Un protocole bâclé

La méthode de la datation au carbone 14 est fiable ; c’est la façon dont elle a été mise en œuvre en 1988 pour le linceul de Turin qui pose problème. La solution ? Renouveler l’expérience.
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© Philippe Lissac / Godong

Le carbone 14 (C14) est un carbone radioactif présent dans l’oxyde de carbone atmosphérique. Le taux de C14 dans les matières organiques, qui provient de leurs échanges avec l’atmosphère, est constant tant que ces matières sont vivantes. Mais à partir de leur mort, le C14 se dégrade à vitesse constante et disparaît sans être remplacé. La teneur en C14 d’un tissu organique mort diminue ainsi de moitié tous les 5 730 ans. En mesurant cette teneur, on peut donc évaluer la date de la mort du tissu – l’arrachage du lin, par exemple – : entre un lin récolté au début de l’ère chrétienne et un lin récolté au XIVe siècle, il y a une différence de 17 % de teneur en C14.

Une technique éprouvée

La méthode est sûre, même si son application est parfois difficile. Dès 1955, on proposa de l’appliquer au linceul de Turin. Mais elle aurait alors été destructrice d’un trop gros morceau de la relique. L’adoption de nouvelles techniques permettant de réduire fortement cette destruction, on décida de procéder à la datation, qui, en fait, ne présentait plus tellement d’intérêt depuis les examens scientifiques complets accomplis en 1973 et 1978 et qui avaient apporté des renseignements très précis.

De curieuses choses allaient se produire au cours des préparatifs, du déroulement du test et de la publication des résultats. Alors qu’un protocole très sérieux avait, dans un premier temps, reçu l’accord de tout le monde, protocole garantissant le caractère « en aveugle » du test et tous les contrôles croisés possibles, il fut modifié profondément, les garanties de sérieux furent réduites et le contrôle de toute l’opération revint au seul British Museum.

Lors du prélèvement des échantillons, le 21 avril 1988, rien ne se passa normalement. On ne dressa même pas de procès-verbal. Les représentants des trois laboratoires finalement retenus – Zurich, Tucson et Oxford –, sur sept primitivement, assistèrent à l’opération, ce qui rendait aléatoire le secret de l’essai en aveugle. Contre tous les usages, on communiqua aux laboratoires les âges des échantillons de contrôle. Et puis on ajouta un échantillon non prévu à l’origine : des fragments d’un tissu ressemblant le plus possible à celui du linceul et datant du XIIIe ou du XIVe siècle, c’est-à-dire de l’époque convenant le mieux aux partisans de la thèse selon laquelle le Saint-Suaire serait un faux fabriqué au Moyen Âge. Mais comme ce lin fut apporté trop tard, on dut se contenter d’ajouter aux trois tubes de chaque laboratoire une petite enveloppe contenant un fragment de ce tissu.

Très vite, il y eut des informations contradictoires concernant le poids des échantillons du linceul remis aux laboratoires, et plusieurs versions de ces mesures, aucune n’étant satisfaisante.

Un secret violé

La suite des opérations ne fut pas plus sérieuse. Refusant les contrôles prévus à l’origine, les laboratoires accueillirent cependant des adversaires notoires de l’authenticité du linceul, ainsi que des caméras de la BBC Le secret requis par le protocole ne fut pas respecté. La simultanéité des travaux non plus : Tucson accomplit sa datation en mai 1988, Zurich en juin, et Oxford attendit leurs résultats – en fait non satisfaisants pour lui – pour faire la sienne en août, peut-être sur un autre tissu que celui daté par les deux premiers laboratoires.

Le 14 octobre 1988, le British Museum et le laboratoire d’Oxford tinrent une conférence de presse ; sur un tableau noir on pouvait lire : « 1260-1390 ! » Ce résultat fut publié dans la revue britannique Nature le 14 février 1989, dans un très court article de quatre pages, ne donnant aucun des détails requis sur les méthodes, le matériel utilisé, les circonstances des essais, les résultats bruts à chaque étape, en somme tout ce qui permettrait de contrôler le sérieux des travaux.

Des conclusions manipulées ?

En supposant crédible cette datation, on lui faisait contredire les conclusions tirées de toutes les autres études. Les résultats scientifiques les plus certains se voyant remis en cause par la seule technique du C14, cela revenait à mettre en doute l’ensemble de la science, et aussi par conséquent le principe lui-même de la datation par le C14.

Comme l’expose le rapport détaillé publié en 2020 par un groupe international d’experts désignés par le Comité scientifique de Turin, la datation de 1988 manque donc aux règles de l’expertise scientifique et, par manque d’autorité, ne peut prétendre être définitive. S’il est très positif que d’autres techniques de datation soient aujourd’hui en expérimentation, il semble que le plus simple serait de réaliser un nouveau test du C14, cette fois selon un protocole complet, respecté et contrôlé