S’il existe un saint catholique, au sens d’universel, il se trouve en Xavier, le Navarrais farouche et sentimental qui se laissa prendre, rétif, dans les filets d’un Basque sombre et passionné, Ignace. Catholique, car il a embrassé tout le monde connu, et celui, encore très inconnu, de ces contrées éloignées du Christ par ignorance. Il s’est jeté dans l’aventure, dans la tempête, attaché au grand mât d’un vaisseau au milieu de l’océan comme le Jésuite, frère de Don Rodrigue, en train d’expirer à l’ouverture du Soulier de Satin de Paul Claudel : « Seigneur, je vous remercie de m’avoir ainsi attaché ! Et parfois il m’est arrivé de trouver vos commandements pénibles/Et ma volonté en présence de votre règle/Perplexe, rétive. »
Lorsque saint François-Xavier rend son dernier souffle le 3 décembre 1552 sur l’île de Sancian au large de Canton, il termine un périple de 100 000 kilomètres dans cette Asie qu’il aura évangélisée durant onze ans, ouvrant la voie à une épopée missionnaire époustouflante, complexe, compliquée et douloureuse.
Cheval fougueux
Lorsque Francisco de Javo (François-Xavier), de vieille famille basque, se retrouve en 1529, par le hasard des circonstances, ou plus sûrement par Providence, à partager la chambre des étudiants Pierre Favre et Ignace de Loyola au collège Sainte-Barbe à Paris, il se destine déjà à la prêtrise, ayant renoncé au métier des armes. Mais son ambition n’est point de retourner la terre pour le Christ. Il est habité par la rage du vaincu car sa famille, de haute noblesse, avait lutté en vain contre les Castillans et le château ancestral avait été démantelé.
Son tempérament, généreux, est sanguin, affectif. Sa pensée est déjà ardente, servie par des dons intellectuels exceptionnels. Il est un cheval fougueux qui a besoin d’être dompté. Aussi se méfie-t-il de cet Inigo, de quinze ans son aîné, qui traîne déjà avec lui une réputation de guide spirituel à la limite de l’orthodoxie. Surtout, ce Basque avait servi le roi, cause des maux familiaux ; il en était d’ailleurs resté boiteux depuis sa blessure au siège de Pampelune.
Deux orgueilleux sont face à face. Inigo est déjà en grande partie purifié, Xavier demeure de feu incontrôlé. Il ne sera amadoué qu’en 1532 ou 1533, et n’accomplira les Exercices spirituels qu’en 1535. Une fois sur les rails, plus rien ne l’arrêtera, mais cette fois dans un esprit d’obéissance et d’humilité qui n’éteint pas pour autant, heureusement, le zèle.
L’appel de la mission
La Compagnie de Jésus prenant forme, étant reconnue par l’Église, rien ne le prédispose au départ à être envoyé vers des terres étrangères. Brillant intellectuellement, il aurait dû logiquement devenir, comme d’autres compagnons, professeur dans une université ou théologien au concile de Trente bientôt convoqué. Certes, les premiers compagnons se sont offerts au pape pour toute mission partout dans le monde – ceci avant même le projet de fonder la Compagnie de Jésus – mais la première demande pontificale, par la bouche de Paul III, avait été de catéchiser les enfants des écoles de Rome : l’Asie était encore loin.
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