Le pape Benoît a un jour mentionné qu’il était erroné de penser le Christianisme – à l’instar du Judaïsme et de l’Islam – comme une religion du Livre. Nous avons bien sûr notre collection de livres, la Bible, et nous devrions la lire souvent et avec attention. Mais, a-t-il dit, nous sommes à plus proprement parler les gens du Verbe, de la Parole : le Verbe qui était « au commencement » comme dit l’évangile de Jean, Lui qui s’est fait chair et qui a demeuré parmi nous, qui a enseigné à ses disciples à se mettre en marche pour porter la Parole à toutes les nations, et qui par Sa venue a expliqué la nature, l’histoire, le passé, le présent, le futur, et ce qui, après bien des paroles dans de multiples cultures nous est resté obscur sur ce qui nous concerne nous et notre destinée éternelle.
Chaque enfant qui apprend à parler est, nous l’oublions, un prodige immense et fort peu naturel. Il n’y a rien de semblable dans tout notre monde si divers. Nous sommes si étranges que nous avons du mal à y croire nous-mêmes. Alors il y a des gens qui, héroïquement, essaient d’apprendre à parler aux chimpanzés ou, plus récemment, d’étudier les « communications » entre les arbres. Mais cela ne sert à rien de chercher des mots dans notre monde. Il n’y a que nos mots. Et le Verbe. A cause du Verbe.
Alors, cet enfant couché dans une mangeoire dans nos crèches de Noël, ce Verbe qui parlera un jour dans nos propres mots humains, est une singulière occasion d’amour et de joie, comme tous les enfants humains, et touche nos cœurs avec une vérité et une tendresse qui ne s’use pas d’un Noël à l’autre.
Cependant, le Verbe était momentanément caché, probablement parce que, autrement, dans notre état actuel, Il nous aurait submergé par tant de lumière et de son que cela nous aurait rendu plus sourd et aveugle à la véritable réalité que nous ne le sommes habituellement.
C’est vrai que nous éprouvons un chaud sentiment diffus et que nous nous sentons réconfortés à ce moment de l’année, comme nulle part ailleurs à aucun moment. Et étant donné ce que nous nous faisons les uns aux autres et à nous-mêmes le reste du temps, nous avons bien besoin de réconfort. Pourtant, ce réconfort est un pâle reflet de ce qui attend ceux qui sont suffisamment saints pour en voir un jour la source. En attendant, il y aura d’autres choses moins réconfortantes, rien de moins que les grands défis du Verbe, ce pourquoi les anges répètent constamment à chacun : « ne soyez pas effrayés ! »
Nous sommes si convaincus, dans l’Eglise moderne, que tout le monde, au fond, rejoint un Ciel facile d’accès, que nous ne comprenons pas ce que le vrai Ciel signifie. George Orwell raille la représentation chrétienne habituelle comme étant « une chorale dans une bijouterie ». Dans le plus grand poème chrétien jamais écrit, la Divine Comédie de Dante, le pèlerin Dante se déplace dans les cieux en chemin vers la Vision Béatifique. Mais ses sens n’affrontent pas des paillettes bon marché, comme le pensait Orwell. Ils doivent sans arrêt se déployer au maximum pour être en mesure de supporter les visions et les sons de réalités immenses que nous pouvons à peine soupçonner.
Figurez-vous cela. On dit souvent aux catholiques que nous avons besoin du Purgatoire pour libérer nos âmes des attachements désordonnés que nous pourrions encore avoir après notre mort. Mais de nos jours, qui pense encore à ce que cela signifie vraiment d’entrer dans la Béatitude éternelle, de voir Dieu ?
Saint Pierre a été réduit à un babillage ahuri quand il a vu Jésus simplement transfiguré sur « une haute montagne » où « une voix issue des nuages a déclaré : celui-ci est mon Fils bien-aimé qui fait ma joie ; écoutez-le ! Quand les disciples entendirent cela, ils tombèrent face contre terre, épouvantés. » (Matthieu 17:5-6) Saint Paul est demeuré aveugle et incapable de manger ou boire durant trois jours après sa révélation sur le chemin de Damas. (Actes 9:9)
Si étrange que cela paraisse à y penser, le salut et l’épanouissement si longtemps désirés que l’enfant de Noël allait apporter, quand nous les rencontrons vraiment, même partiellement, éblouissent nos facultés naturelles.
Et même au plan matériel, sa venue a produit des signes terribles et des merveilles. Les miracles étaient un des signes, nous a-t-Il dit, qui devaient nous amener à croire – si nous ne pouvions pas y arriver autrement. Mais ce qui se produit sans cesse dans les évangiles, c’est que les gens, là où de grands miracles ont lieu, prient Jésus de bien vouloir s’en aller. Même les apôtres sont effrayés – et se demandent qui Il est – quand Il les sauve d’une terrible tempête sur la mer de Galilée. Quand Il fait des choses de ce genre, cela bouleverse trop de nos ternes certitudes de tous les jours, que nous préférons aux incertitudes de Dieu.
Et qui peut oublier, même au moment de sa joyeuse naissance, les choses étranges qu’Il nous dira, qu’Il fera et qu’Il souffrira, en vue d’accomplir les antiques prophéties, de racheter son peuple et d’établir son Royaume – tout cela d’une manière que personne ne pouvait prévoir.
L’une des caractéristiques du plus haut usage de la langue – la poésie – est la façon dont les mots sont associés de manière inattendue pour renouveler notre perception du monde, nous remémorer une vérité oubliée, ou même nous révéler des choses cachées à notre vision habituelle. La naissance de Jésus est la poésie la plus vraie, la Parole plus grande et plus puissante que tout ce que l’imagination a jamais produit.
Et c’est une raison pour laquelle Son histoire a exercé une telle influence sur la race humaine partout dans le monde. Si nous avions voulu forger une histoire qui nous apporte consolation, cela aurait été quelque illusion à taille humaine. Nous n’aurions pas, de notre propre chef, inventé un Sauveur qui tout à la fois promette autant et exige autant.
Et donc nous ne savons jamais entièrement quoi dire à Noël, excepté que toute l’affaire est merveilleuse et nous dépasse merveilleusement. Nous pouvons voir, comme Thomas d’Aquin, que tous les mots que nous pouvons déployer pour tenter de nous expliquer à nous-mêmes de telles choses ne sont en définitive que de la paille. Mais alors, nous pouvons nous rappeler que cela a commencé avec cette humble paille sur laquelle le Christ enfant était couché, cette nuit-là, dans une mangeoire de Bethléem.
Toute l’équipe de The Catholic Thing vous souhaite un saint Noël et une heureuse nouvelle année. (le texte a été rédigé le 24 décembre)
Robert Royal est rédacteur enchef de The Catholic Thing et président de l’institut Foi & Raison de Washington.
Illustration : La Nativité, par J.S. Copley, vers 1776 [musée des Beaux-Arts de Boston]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/12/24/words-and-the-word/