La dérive vers un Niagara de scepticisme - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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La dérive vers un Niagara de scepticisme

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Il y a bien des décennies, alors que j’étais étudiant de deuxième cycle en philosophie, j’ai découvert que j’étais joliment doué pour être un sceptique. Peu importe l’affirmation qui était faite, je pouvais trouver des raisons d’en douter. « Comment pouvez-vous prouver cela ? » aurais-je demandé. Et quand vous aviez prouvé A en vous basant sur B, je vous mettais au défi de prouver B. Et ainsi à l’infini. Même l’assertion de Descartes « je pense, donc je suis », vraisemblablement non sujette au doute, j’aurais pu y jeter le doute, à condition d’essayer avec suffisamment d’ardeur.

Je me régalais à jouer ce jeu du scepticisme. J’aurais peut-être dû laisser tomber la philosophie à ce moment-là pour me tourner vers le droit afin de devenir avocat pénaliste. Car dans un procès, un avocat pénaliste n’a pas à prouver quoi que ce soit de façon certaine ; tout ce qu’il a à faire, c’est de faire naître le doute dans l’esprit des jurés. Si j’avais été avocat pénaliste, peut-être que maintenant, dans mon vieil âge, je pourrais me vanter d’avoir, dans ma jeunesse, gagné l’acquittement de douzaines de voleurs, pyromanes, violeurs et meurtriers.

J’ai choisi une autre voie. Je suis devenu enseignant d’université et non avocat pénaliste. En peu d’années, j’ai abandonné mon scepticisme taquin. J’ai décidé qu’il y avait quelque chose d’idiot et de superficiel dans le scepticisme. Ce n’était pas l’attitude d’un adulte sérieux et responsable. Ce n’était pas une attitude que je souhaitais inculquer à mes étudiants.

Bien plus, je suis arrivé à la conclusion que la civilisation – toute civilisation, pas seulement la nôtre – doit être fondée sur des croyances positives. Les croyances prônées par la civilisation peuvent être erronées, mais mieux vaut des croyances erronées que pas de croyances du tout. Une civilisation purement négative, une civilisation fondée sur le scepticisme, est chose impossible.

A l’heure actuelle, j’ai de grandes craintes pour l’avenir de notre monde – le monde que l’on avait l’habitude d’appeler la chrétienté et qui maintenant, après des siècles de sécularisation, n’est plus désigné que sous le nom de monde occidental. Pourquoi ai-je ces craintes ? C’est peut-être parce que je suis un vieil homme, c’est typique à toute génération, les vieux pensent que le monde se précipite en enfer. Ou c’est peut-être parce que le monde se précipite réellement en enfer.

Nos chefs culturels dérivent vers un Niagara de scepticisme absolu, et ce faisant ils entraînent le reste de la société derrière eux. Le reste d’entre nous sait à peine de quoi il retourne, mais petit à petit, nous aussi devenons de plus en plus sceptiques. Et les fondements de notre civilisation deviennent de plus en plus mutilés.

Le scepticisme débute avec les doutes religieux. On commence par douter de la doctrine chrétienne. Aucun doute, Jésus était un homme de bien, mais comment pouvons-nous croire qu’il est d’essence divine ? Ou qu’il est né d’une vierge ? Ou qu’il est ressuscité ? Tôt ou tard, on doute de l’existence même de Dieu. Cependant, on ne devient pas un athée pur et dur, car l’athéisme est incompatible avec l’humeur sceptique. On est sceptique même en athéisme.

On continue en doutant de la vérité de ce qui était jusque-là la moralité de bon sens. Nous prouvons prouver par les impressions de nos sens qu’une chose est rouge, ou chaude, ou qu’elle mesure 3 mètres. Mais comment prouver qu’une chose est juste ou injuste, bonne ou mauvaise ? En plus, les règles morales varient d’un pays à l’autre, d’un siècle à l’autre. Et l’individu autonome n’a-t-il pas le droit de créer sa propre morale personnelle ?

Ensuite on doute qu’il puisse y avoir quelque chose nommé vérité historique. L’histoire est écrite par les vainqueurs. Nous voyons l’esclavage comme une mauvaise chose ; si c’étaient les esclavagistes qui avaient gagné la Guerre de Sécession, nous pourrions voir aujourd’hui l’esclavage comme une admirable institution.

Nous ne vivons pas dans un monde objectivement vrai, nous disent les sceptiques, car un tel monde n’existe pas. Nous vivons dans un monde de « constructions sociales ». Si Bruce Jenner dit qu’il est une femme, alors il est une femme. Si l’administration Obama raconte à toutes les écoles publiques d’Amérique que les garçons qui s’identifient comme filles doivent être autorisés à utiliser les douches des filles, alors ces ex-garçons, toujours munis de leurs organes génitaux mâles, doivent être autorisés à utiliser les douches des filles. C’est une simple affaire d’équité – bien que l’administration Obama ne semble pas savoir remarqué que l’équité était également une construction sociale, et que par conséquent l’équité n’était pas meilleure que le manque d’équité.

Certains de nos progressistes les plus culturellement avancés en sont même arrivés à douter de l’objectivité des vérités scientifiques : elles aussi, nous dit-on, ne sont rien d’autre que des « constructions ».

De nos jours, l’Américain moyen, surtout dans la jeune génération, croit des choses absurdes. Par exemple : 1) que les bébés non encore nés ne sont pas humains ; 2) qu’il est tout-à-fait naturel pour deux hommes ou deux femmes d’avoir des relations sexuelles l’un avec l’autre ; 3) que Bruce Jenner est une femme ; 4) que c’est une victoire de la justice sociale que les garçons puissent partager les salles de douche des filles ; 5) que tous les blancs (à l’exception des gauchistes) haïssent les noirs ; 6) que tous les chrétiens (à l’exception des gentils chrétiens gauchistes qui ne croient pas vraiment au christianisme) haïssent les homosexuels.

S’il n’y a pas de vérité objective, alors nous sommes libres de croire tout ce qui nous plaît, y compris les non-sens achevés. Et s’il n’y a pas de vérité objective, ceux qui ont le pouvoir dans la société sont libres d’imposer, par persuasion, force ou tromperie, leurs croyances et leurs valeurs à tous les autres.

Pour le moment, il se trouve que les libéraux contrôlent les grands outils de propagande de la société – établissements scolaires, médias, industrie des loisirs – et donc le non-sens que croit l’Américain moyen est le non-sens libéral. Cela plaît aux sceptiques, car la grande majorité des sceptiques tendent à être libéraux.

Mais le scepticisme, qui ouvre la porte au non-sens libéral, ouvre également la porte au non-sens quasi nazi. Quand le pendule culturel changera de sens, et que les droitistes culturels prendront le dessus sur les gauchistes, une société sceptique n’aura pas de principes pour objecter quand des quasi-nazis imposeront au reste d’entre nous leur glorification du racisme, du sexisme et de l’homophobie.

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David Carlin est professeur de sociologie et de philosophie au Community College de Rhode Island.

Illustration : Annie Edson Taylor, la première à avoir franchi les chutes du vrai Niagara (1901)

Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/11/04/the-drift-toward-the-niagara-of-skepticism/


http://www.france-catholique.fr/Cheyenne-Marie-Carron-La-chute-des.html