Dans la première préface de l’Avent, on lit : « Tu accomplis le dessein que tu as conçu il y a longtemps et Tu nous ouvres le chemin du salut. ». Nous lisons souvent que les paroles de l’Ecriture sont ou seront « accomplies ». Cette notion d’un « dessein » (ou d’un plan) se trouve dans les collectes et les prières, dans les textes de Paul et chez les Pères de l’Église. Le « plan » est « l’œuvre » du Père. Il est mené à bien par et dans le Fils. Son achèvement est confié au Saint-Esprit. Chacun de nous, en tant qu’être humain, y est impliqué. Notre intelligence et notre liberté y sont toutes deux incluses, tout comme nos péchés.
Ce « plan » a pour objet « notre salut ». De quel « salut » s’agit-il ? Dans son Proslogion, saint Anselme demande : « Apprends-moi à Te chercher, et lorsque je Te cherche, montre-Toi à moi parce que je ne peux pas Te chercher à moins que Tu m’enseignes, pas plus que je ne peux Te trouver à moins que Tu Te montres à moi. » Notre existence personnelle est imprégnée de cet « enseignement » à chercher à quoi nous nous rapportons, quelle est la raison de notre existence. S’il nous faut être « enseignés », cela doit signifier que cela fait une différence pour nous et pour notre Professeur que nous comprenions à propos de quoi est notre existence particulière. En d’autres termes, quel est l’Enseignement ?
Mais, si un plan pour mon existence est concevable, cela signifie-t-il que je suis « déterminé » ? Dans ce cas, quelle différence constitue ce que je fais ou pense ? Pourtant, le « plan » signifie que je ne suis pas « déterminé ». Le fait que je comprenne qui je suis fait toute la différence. L’étendue de ma liberté inclut mon propre choix d’accepter ou de rejeter ce que je suis, que j’ai reçu initialement comme un don.
Cependant, le fait est que l’exacte auto-connaissance de ce que nous sommes semble être un rare accomplissement. Nous sommes tentés de penser que quelque force ou influence active se trouve dans le monde. Sa mission particulière est de nous empêcher de savoir ce que nous sommes en réalité. A première vue, il paraît étrange que Dieu nous place dans un monde dans lequel la connaissance de ce que nous sommes est difficile à obtenir.
Mais cette difficulté est-elle vraie ? Est-ce une difficulté ou un choix ? L’accent contemporain mis sur la miséricorde, la notion que Dieu pardonne tout ce qui peut être pardonné, conduit à aborder cette question avec précaution. La miséricorde admet une incapacité générale et coupable à accepter notre être et ce qui lui appartient. « Là où le péché abonde, la grâce surabonde », comme le dit St Paul (Romains, 5, 20).
Cette approche par la miséricorde signifie que notre existence est pour ainsi dire une opération de rattrapage, c’est l’analogie avec « l’hôpital de campagne » du pape François. Pourtant, les hôpitaux de campagne ne parviennent généralement à sauver que quelques-uns de ceux qui sont dans le besoin. La miséricorde est une réponse à celui qui se repent. Elle ne change pas ceux qui ne le font pas. Souvent, elle les endurcit.
La lecture d’aujourd’hui du bréviaire, le 22 décembre, trois jours avant Noël, la naissance du Sauveur edans ce monde, et pas dans un autre, est de Bède le Vénérable (d.735). Il écrit : « Ceux qui refusent d’être humbles ne peuvent être sauvés. » Ils ne peuvent dire avec le prophète : « Voyez Dieu qui vient à mon aide. »
Nous pouvons bien sûr refuser d’être sauvés. Cette impressionnante capacité, ironiquement, est nécessaire si nos vies ont un sens. Nous avons cette liberté et ce pouvoir de nier à nous-mêmes ce que nous sommes. L’humilité indique notre capacité à reconnaître ce que nous sommes.
« La venue du Sauveur fut promise à Abraham et à ses serviteurs pour toujours. », rappelle Bède. La « promesse », le « plan », sont là, à leur place. Ils sont réalisés pour la gloire de Dieu, au sein de laquelle nous trouvons notre place unique dans l’ordre des choses.
La grande question qui entoure la miséricorde est son étendue. Couvre-t-elle tous les péchés confessés ou non ? Techniquement, la miséricorde s’étend aux péchés de toutes sortes. Mais la miséricorde ne pardonne pas. Dieu, dans Sa miséricorde, pardonne. La miséricorde est liée à la reconnaissance par le pécheur qu’il est responsable de quelque chose qui est objectivement mauvais dans ses actes ou ses pensées
Si la miséricorde pardonne tout, sans aucune contribution de la personne qui introduit le désordre dans sa propre vie ou dans celle d’un autre, alors il n’y a pas de différence, quoi que nous fassions. Nous pouvons faire ce qui nous plaît, assurés que nos actions n’ont pas vraiment de conséquences dans le monde ou dans l’éternité.
Le drame et le risque entrent dans toute vie humaine par le pardon et la miséricorde. Cependant, les péchés des grands et ceux des petits s’équilibrent. Proportionnellement, chacun se trouve face à la même question en son âme. Est-ce qu’il sait et choisit ou non ce qu’il lui est donné d’être ? C’est là que se trouve le jugement. C’est là que la vie de chaque personne constitue un drame final où tout est en jeu.
22 décembre 2015
Source : https://www.thecatholicthing.org/2015/12/22/design-eternal-salvation/
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Illustration : Bède le Vénérable (sur son lit de mort, en train de traduire Jean)
par James Doyle Penrose, 1902
James V. Schall, S.J., qui fut professeur à l’Université de Georgetown pendant trente-cinq ans, est l’un des écrivains catholiques les plus prolifiques en Amérique. Ses livres les plus récents sont « L’esprit qui est catholique », « L’âge moderne », « Philosophie politique et révélation : une lecture catholique » et « Plaisirs raisonnables ».