La seconde partie des rapports des treize petits groupes de langue a été publiée mercredi (vous pouvez les lire sur le site du Vatican) – il s’agit des rapports sur la deuxième sectione du Document de Travail que les évêques discutent et remanient. Cette section traite du « Discernement de la vocation de la famille » et, comme nous vous l’avons rapporté hier, elle a été largement critiquée parce qu’elle ne procure nulle part une définition claire de ce qu’est une famille. Il n’est pas surprenant que les treize rapports montrent des différences sur ce qu’ils veulent souligner – ou supprimer. Mais il est plutôt surprenant que pratiquement tous soient d’accord sur un point : ils n’aiment guère le texte avec lequel ils sont forcés de travailler et recommandent une « restructuration » sérieuse.
Et ils veulent, même si leurs motivations varient, voir plus de certaines choses : davantage de Jésus, davantage d’Écriture Sainte, davantage de prière et de formation spirituelle, davantage de discussion sur les dévotions populaires qui aident des familles entières à développer une vie spirituelle commune. Moins de cheveux coupés en quatre et de charabia. Certains veulent en particulier voir le retour de la Sainte Famille comme modèle, elle qui a été particulièrement absente de cet étrange document, et voudraient en venir à considérer réellement ce que Dieu souhaite que la famille soit et fasse.
Quoi qu’il en soit, dans toute la discussion sur ce point, il y a toujours une absence notable de thèmes que vous pourriez penser cruciaux dans le christianisme : le péché, le jugement, comment aller au Ciel, comment éviter l’Enfer (quelque chose dont Jésus a pas mal parlé). La vie de famille semble éclipser la vie éternelle. Où est la sagesse traditionnelle qui dit que notre vie sur terre est courte et que nous avons besoin de regarder au-delà rien que pour bien vivre ici-bas ? Aucun texte ne peut traiter de tout, mais il est incroyable que le christianisme semble ainsi ne pas avoir grand chose à voir avec les questions familiales.
Pourtant, à de rares exceptions près, les rapports tirent les choses dans une direction plus saine. Les Allemands, comme à leur habitude, sont plus abstraits lorsqu’ils essaient d’être plus pastoraux : « la miséricorde de Dieu est la vérité essentielle de la Révélation, elle n’est pas en opposition aux autres vérités. » L’Écriture dit des choses telles que « au commencement était le Verbe », et il semble qu’il aurait été préférable de commencer par là plutôt qu’avec ce qui semble une accentuation nouvelle et moderne. Et qui sait ce que cela peut signifier ? Dans un synode sur la famille, cela n’offre sur le fond aucune aide pour résoudre plusieurs des questions difficiles qu’il faudra bien traiter d’ici peu. L’un des groupes de langue espagnole semble parfois avoir consulté un conseiller de vie urbaine : « la fidélité/ indissolubilité est un mystère qui inclut la fragilité. » Chaque groupe cite Thomas d’Aquin, pour conclure qu’il est douteux qu’il approuverait.
Mais dans les groupes restants, il y a bien plus de bonnes choses qui ne cherchent pas seulement à se fixer sur des points spécifiques mais à remédier aux problèmes d’ensemble comme l’incohérence et le manque de dimension spirituelle solidement catholique dans le texte.
Hier, le cardinal Vincent Nichols, de Westminster, à Londres, a tenté d’offrir une explication à cet état des choses : le Rapport Final du synode de l’an passé, en dépit de ses défauts, avait au moins un point de vue unifié. Le Document de Travail de cette année a repris cela et, de façon plutôt désordonnée, y a fait des rajoutes dans une tentative d’inclure une diversité de points de vue et de thèmes proposés par de nombreux contributeurs.
Peut-être. Mais il pourrait y avoir des explications plus simples : un travail médiocre du comité de rédaction ou un méli-mélo délibéré de possibilités s’excluant mutuellement pour voir si les évêques s’y intéresseraient. Mais quand même un père synodal aussi libéral que le cardinal Nichols reconnaît les insuffisances foncières du principal document synodal, cela rend d’autant plus probable que les critiques d’ampleur ne pourront pas être ignorées par le comité de rédaction finale.
En même temps, comme la question en a été posée à l’office de presse du Vatican ainsi qu’aux évêques chargés des présentations publiques, il semble qu’un effort est en cours pour garder ouvertes autant d’options que possible pour le Saint-Père – peut-être parce que le pape François et ses conseillers prévoient maintenant un produit final loin d’être convenable.
Nous avons parlé ici plusieurs fois de la confusion quand à l’existence d’un document synodal final. Chaque fois que cette question est posée – elle est revenue hier – les possibilités semblent se multiplier. Il est établi que le comité de rédaction proposera la première ébauche du document final d’ici une semaine jour pour jour (ou un peu plus tard). Leur tâche exacte est supposée refléter les vues des évêques – et non pas de publier, comme ils l’ont fait l’an passé, quelque création de leur cru. Beaucoup plus de gens sont attentifs cette année, et cela à lui seul rend difficile l’introduction d’innovations. Les évêques vont alors de nouveau travailler le texte – et un vote final, paragraphe par paragraphe, interviendra samedi en huit.
C’est sur ce qui se passera alors que nous entendons le plus d’hypothèses. Comme le père Lombardi l’a présenté, il se peut que 1) le pape lise le document et donne l’ordre qu’il soit publié officiellement ; 2) ou il peut le laisser être « publié par le synode » mais non officiellement par le pape lui-même ou le Vatican (cela s’est produit lors de synodes précédents) ; il peut dire, merci pour votre bon travail et retournez réfléchir à quoi faire de plus ; 4) il peut considérer le travail des évêques comme des avis pertinents et s’en servir pour préparer une Exhortation Apostolique post-synodale ( une pratique fréquente mais pas automatique) ; 5) il peut décider que le document final ne sera pas publié du tout – assez improbable puisque cela jetterait le discrédit sur l’ensemble du synode. Et de toute façon, il est tout aussi improbable que le document final puisse être tenu secret à l’époque qui est la nôtre.
Pourtant, le fait que toutes ces possibilités aient été évoquées suggère à ceux d’entre nous qui ont l’expérience de ces sortes d’événements que le Vatican est en train de préparer chacun, très tôt, à accepter que le pape a de multiples choix, qu’il n’en exclut aucun avant le temps fixé et pourrait causer une grande surprise quoi qu’il décide de faire. Les papes ont toujours eu de telles prérogatives, alors il est difficile de ne pas penser que l’accent mis sur sa liberté a quelque chose à voir avec les problèmes vers lesquels les évêques pourraient se diriger. Il est quasi certain, par exemple, qu’ils n’approuveront pas la communion pour les divorcés remariés.
Mercredi, le cardinal Nichols a mentionné dans ses remarques que personnellement, il espérait que le Saint-Père préparerait une Exhortation Apostolique basé sur le travail des évêques – et qu’un bon nombre de ses confrères évêques partageait sa pensée. De bien des manières, cela leur ôterait le fardeau concernant les points épineux et placerait la responsabilité carrément sur les épaules du pape. Et en vérité, il est difficile de dire qui, excepté le pape, pourrait résoudre certaines des questions que ces évêques ont été appelés à examiner.
Par exemple, plusieurs observateurs ont demandé que soit résolue une question bien précise. Nous savons que l’un des problèmes théologiques cruciaux soulevés tant par le synode de 2014 que par celui de 2015 est celui-ci : donner la communion aux divorcés remariés serait-il seulement une décision pastorale ou un changement de doctrine ? L’opinion quasi unanime de 2000 ans de christianisme est que ce serait un changement de doctrine – changer de doctrine étant quelque chose que les évêques, comme un seul homme, semblent considérer comme impossible. D’où les assurances répétées du pape et d’autres que la doctrine n’a jamais été « affectée » dans aucun synode.
Mais une questions théologique persiste, qui n’a rien à voir avec l’antagonisme entre la miséricorde et le légalisme comme on le croit souvent. Le cardinal Nichols peut bien avoir embrouillé les choses – à moins qu’il ne les ait clarifiées – hier, en affirmant que l’ensemble du synode devait être vu dans le contexte de l’Année de la Miséricorde qui débute le 8 décembre prochain. Qu’est-ce que cela signifie ? Recevoir la communion a toujours signifié « être en état de grâce ». C’est une des premières choses que les enfants apprennent au catéchisme : que même des catholiques bon teint qui ont commis un péché mortel qu’ils n’ont pas confessé ne sont pas censés se présenter à la communion. Comment pourrions nous envisager de changer les règles pour les divorcés remariés sans bouleverser de larges pans de théologie sacramentelle ?
Déclarer que « la miséricorde de Dieu est la vérité fondamentale de la Révélation, elle n’est pas en opposition avec les autres vérités » est une façon – potentiellement mauvaise – de répondre à la question. Elle déclare qu’il n’y a pas d’opposition, mais dans le cas de divorcés remariés, où cela mène-t-il ? Basculer de telles décisions sous la responsabilité des conférences régionales d’évêques, une proposition qui revient sans cesse dans le synode mais n’a jamais pris une forme précise jusqu’ici, serait un moyen d’esquiver toute la question.
Mais la question – changement de pratique ou changement de doctrine ? – resterait en suspens. Et il semble de plus en plus que les évêques du monde vont devoir attendre que le pape François y réponde.
Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/10/14/round-two-ends-large-questions-remain/
Pour aller plus loin :
- La paternité-maternité spirituelle en vie monastique est-elle menacée en Occident ?
- Affaire Ulrich KOCH contre Allemagne : la Cour franchit une nouvelle étape dans la création d’un droit individuel au suicide assisté.
- Deuxième jour du synode : Ouverture d'esprit, fuites et crainte de la franchise.
- Septième jour du synode : une nouvelle étape commence.
- Le cardinal Müller sur les questions des droits