Je n’ai pas lu le livre que vient de publier Harper Lee, « Go Set a Watchman », qui fait suite à son « To Kill a mockingbird » et n’ai pas l’intention de m’y mettre. Ceci parce que je ne peux pas m’arracher à Atticus, père de Scout, tel qu’elle le décrit dans son précédent livre à travers ses yeux de jeune enfant. Ce roman produit un effet miraculeux, à bien des égards, mais peut-être plus profondément grâce à la façon de dépeindre ce qu’est un père et ce qu’un jeune enfant absorbe avec avidité d’un excellent père, ou même d’un père banalement bon.
Je n’ai pas trop de souvenirs lointains d’échanges avec mon père. En effet, il menait deux jobs à la fois et, de retour à la maison, il bricolait, ou faisait un petit somme pour compenser le manque de sommeil dû à ses nuits de travail en tant que pompier. Je le revois surtout à la table de la cuisine, lors du repas du soir. (Quand il n’était pas à la caserne des pompiers, il lui arrivait de faire la cuisine pour nous. C’était l’occasion de fantaisies faites aux menus de notre mère, cuisine rustique de pompiers comme ses fameux steaks suisses.)
Ce repas du soir, quand j’étais petite s’appelait toujours le souper (supper), tandis que, au cours de la décennie suivante, comme tout le monde autour de nous semblait le faire, nous nous sommes mis à l’appeler le dîner (dinner). Les experts linguistes et sociologues doivent nous expliquer cette évolution en termes de sociologie, d’ethnicité, de géographie ou d’histoire…Quant à nous, nous étions tout simplement des Irlando-Américains, « cols bleus », vivant dans le quartier de Yonkers, New-York, à quelques pâtés de maison de la frontière du Bronx. C’était à la charnière des années 50/60.
Mais j’ai bien un souvenir ancien de mon père qui revient à ma mémoire, quand je cherche à me remémorer le sentiment d’être protégé par quelqu’un de fort et bienveillant. Ceci se situe à la piscine municipale qu’il nous arrivait de fréquenter au cours de chaque été, alors que mon père pouvait rarement être avec nous. J’ai 4 ou 5 ans et veux passer à travers la grande douche, cette espèce d’abondante cascade au milieu de l’immense piscine, que tout le monde traverse. Mais la piscine est trop profonde (ou, plutôt, je suis encore trop petite et je ne sais pas nager). Alors mon père me fait grimper sur ses épaules et commence à me transporter sous la douche, comme un Saint Christophe.
En fait, tout ce préambule, cette façon de camper le décor est peu de chose à côté de l’impression ressentie, inscrite dans ma mémoire, du fait d’être haut-perchée sur ses épaules, du léger balancement de sa démarche quand ses jambes et ses pieds écartaient l’eau – sensation comparable à ce que doit être une balade à dos d’éléphant. Je suis très haut, ce qui d’habitude me fait peur. Mais, dans de telles circonstances, je ressens une délicieuse combinaison d’audace et de sécurité.
L’eau monte jusqu’à ce qu’elle lèche mes pieds et gifle mes genoux. Le bruit de la grande douche au fur à mesure que nous approchons, mes yeux se fermant quand on y pénètre, résonnent dans ma mémoire comme les chutes du Niagara. Nous émergeons de l’autre côté et, une fois de plus, je ressens le balancement de la démarche d’éléphant de mon père à travers l’eau. Il est grand, fort, rassurant. Il est puissant, un vrai mammouth, comme s’il s’est mis en tête de déplacer une montagne.
C’est la mémoire qui parle. Et quand je veux tâtonner pour essayer de savoir ce que cela signifie ou tenter une expérience similaire, je m’oriente souvent vers des passages des psaumes. De tels passages, qui surgissent très fréquemment, transmettent de façon concrète la force, la bienveillance, la puissance et la bonté infinie d’un Père. « Le Seigneur est mon rocher et ma forteresse et mon sauveur, /Mon Dieu, mon rocher auprès duquel je me réfugie,/Mon bouclier et la trompette de mon salut, mon port d’attache » (Ps.18); « Sois le rocher où je trouve le refuge,/ un puissant point d’appui pour me sauver,/car Tu es mon rocher, mon point d’appui./En Ton saint nom, conduis-moi et guide-moi » (Ps.31); Conduis-moi vers le rocher qui est plus haut que moi./ Car Tu as été un abri pour moi,/Et une forte tour de défense face à l’ennemi,/Je demeurerai pour toujours au coeur de ton tabernacle;/J’aurai confiance dans la protection de tes ailes » (Ps.61)
Naturellement, ce que nous souhaitons ardemment et trouvons imparfaitement incarné dans nos pères, sur cette terre, c’est quelque chose qui n’est parfaitement réalisé que dans notre Père céleste. St Paul explicite ce rapprochement dans les Ephésiens: « C’est pourquoi je m’agenouille aux pieds du Père, lui qui donne son nom parmi toutes les familles au ciel et sur la terre ».
Mon père n’était pas qu’un symbole. C’était quelqu’un de bien réel. Il avait un corps qui ressuscitera, une âme éternelle sauvée par le Christ. Mais, comme nous tous, il était « fait à l’image et à la ressemblance de Dieu ». Et les rôles qu’il jouait, y compris celui de père, étaient aussi une représentation de Dieu.
Je n’ai pas vraiment besoin d’un livre pour me dire que mon père n’est pas ou n’a pas été Dieu. Cependant, à partir d’un certain âge, tel ou tel livre, telle peinture, musique ou personne peuvent nous rappeler avec émotion que nos pères nous indiquent le chemin de Dieu, incarnent certains signes de Lui. Ils apparaissent, en partie estompés, et laissent inévitablement inassouvi notre désir du Père céleste, qui ne sera comblé qu’au paradis.
Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/07/25/god-good-and-good-enough-fathers/
Tableau : « Le prince de Wagram et sa fille Malcy » par FX Winterhalter, 1837.
Ellen Wilson Fielding est « Senior Editor » de la « Human Life Review et vit dans l’Etat de Maryland.