C’était un rassemblement pro-vie à Détroit, à la fin des années 70. Au dîner, je me suis trouvé à proximité d’une jeune femme noire qui avait perdu son mari un an plus tôt. Il se formait pour être dentiste et ils vivaient dans un gratte-ciel. De sa fenêtre, elle l’a vu revenir à la maison en fin de journée, portant une pizza qu’il avait acheté pour le repas du soir, quand il a été accosté dans la rue par un adolescent. Une rixe a suivi et son mari a été poignardé à mort. Et, un an plus tard, à ce repas, elle m’a dit : « le garçon qui a fait cela est sorti de prison aujourd’hui. C’est tout ce que valait la vie de mon mari. » Jusqu’à un certain point, la clémence relative du châtiment témoigne d’un profond irrespect pour la vie de la victime, qui, elle, est morte.
Tout cela me revient au moment où un jury à Boston prononce la peine de mort à l’encontre du jeune Dzhokhar Tsarnaev, à cause de tout ces gens que son frère et lui ont tués ou mutilés lors du Marathon. La nouvelle, du moins dans un premier temps, semble être reçue avec une approbation silencieuse, comme si le jugement était finalement tout à fait approprié. Mais avant longtemps nous pouvons nous attendre à voir en action cette acrobatie morale : que les gens qui ne voient aucun mal moral dans le meurtre par avortement d’un million deux de petits être humains chaque année vont crier à l’effondrement de l’univers moral si l’on en arrive à exécuter des meurtriers en série sans pitié.
Cependant, nous allons aussi bientôt entendre, d’un autre côté, des gens invoquer l’argument-massue de la position de l’Église sur la peine de mort. Et pourtant l’enseignement de l’Église n’a pas été aussi clair que tant de gens semblent le penser. Saint Paul dit de l’homme qui exerce l’autorité que « il ne brandit pas l’épée en vain… un vengeur pour exercer le courroux contre ceux qui font le mal ». Thomas d’Aquin enseignait la justesse de la peine capitale quand elle était nécessaire pour défendre la communauté et le bien commun. Et maintenant, cette forme d’enseignement se déplace dans le domaine de l’éventualité et du spéculatif : elle justifierait de prendre la vie sur la base d’une prévision de dangers qui pourraient ainsi être évités.
Cette forme de raisonnement a filtré dans l’enseignement de l’Église, tout comme les réflexions de Jean-Paul II. Mais Jean-Paul II a été très clair : la principale justification de la peine capitale doit être trouvée dans le principe moral de rétribution et non de dissuasion. Sur le seul terrain des probabilités, l’argument de la dissuasion est plausible car il ne manque pas de scélérats que seule la perspective de subir la peine de mort dissuade de tuer.
Mais à strictement parler, l’argument de la dissuasion souffre d’un problème de cohérence. Car on nous a dit que le meurtre de Jones ne serait pas suffisant pour justifier d’appliquer la peine de mort à Smith, qui a tué Jones. Et pourtant, selon la théorie de la dissuasion, la communauté pourrait justifier l’exécution de Smith par le présupposé des autres gens qu’il tuera probablement si on le laisse en vie pour agir selon sa nature. Mais par quel raisonnement moral la vie de personnes anonymes et des crimes non encore commis seraient-ils bien plus important que la vie de Jones, balayée par un meurtre qui a réellement été commis ?
Dans Evangelium Vitae (1995), Jean-Paul II écrit que « la communauté ne devrait pas recourir à la solution extrême de la mise à mort du coupable, excepté dans les cas d’absolue nécessité : en d’autres mots, quand il n’est pas possible de protéger la société d’une autre manière. A notre époque, en raison de l’amélioration de l’organisation du système carcéral, de tels cas sont rares, si pas pratiquement inexistants. »
Cet enseignement semble être que si le prisonnier peut être rendu inoffensif et ne met pas en danger la vie des autres, la justification de la peine de mort s’évanouit. Mais cela aussi ferait tenir la justesse du châtiment non sur la nature des faits répréhensibles, mais sur les contingences : quel niveau de sécurité dans telle prison ? Toute personne étudiant les prisons modernes, tout lecteur des œuvres de Elmore Leonard pourrait offrir un échantillon des armes mortelles façonnées chaque jour dans les prisons à partir d’ustensiles et d’objets usuels, et qui préservent un régime de peine de mort géré par les incarcérés.
Il y a vingt ans, il était fréquent d’entendre, dans les émissions télé tardives, des plaisanteries sur le procès intenté à O.J. Simpson pour le meurtre de son épouse. Mais personne n’a jamais entendu de plaisanteries sur les meurtres des victimes de l’Holocauste. A la fin de son livre sur Adolph Eichman, Hannah Arendt exprime son jugement à son égard : ce que vous avez commis est tellement affreux que personne d’entre nous ne mérite de devoir partager la terre avec vous.
Ça ferait une grande différence si nous ne commencions pas à supprimer la peine de mort pour les « petits meurtres » – celui du mari de cette jeune femme de Détroit ou ceux des participants et des spectateurs du Marathon de Boston. Car nous exprimerions alors que nous prenons ces vies autant au sérieux, que nous leur attachons autant d’importance, qu’aux vies des oncles, tantes, grands-pères et grand-mères qui sont morts dans l’Holocauste.
Hadley Arkes est professeur de jurisprudence à Amherst College
illustration : Dzhokhart Tsarnaev (avec la casquette blanche portée à l’envers) et son frère plus âgé Tamerlan (casquette noire) quelques minutes avant l’explosion des bombes au Marathon de Boston
source : http://www.thecatholicthing.org/2015/05/19/the-capital-punishment-debate-yet-again/