Chasse au trésor avec mon père - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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Chasse au trésor avec mon père

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Cette semaine cela fera cinq ans que mon père, Ralph McInerny, est mort. Tôt le matin, le dernier jour de sa vie – c’était justement la fête de saint Thomas d’Aquin – il reçut l’extrême-onction et le viatique. Plus tard ce matin- là, avec quelque effort, il s’assit dans son lit, une planchette appuyée contre ses genoux, et écrivit l’ultime phrase qu’il composerait jamais : « Je recommande mon âme à Dieu. » Certes, Ralph McInerny a écrit bien des phrases dans sa vie, un bon nombre d’entre elles en tant que l’un des fondateurs et contributeurs réguliers de The Catholic Thing. Pendant tout le cours de sa dernière maladie, il était vraiment fier de respecter toujours ses délais. Un matin, alors qu’il était encore capable de demeurer chez lui mais sans se sentir vraiment bien, je l’ai vu se lever après son petit-déjeuner frugal et, en peignoir et chaussons, se laisser tomber dans son fauteuil avec son portable et taper son article. Non par quelque sens stoïque du devoir, mais par plaisir pur. Ce qu’Aristote dit dans sa Métaphysique trouvait une merveilleuse illustration en lui : « L’activité de l’esprit est la vie » A cette période-ci de l’année mes souvenirs de mon père prennent une forme particulièrement poignante et tournent autour de ses derniers jours. Ce qui d’une certaine manière n’est pas juste. J’ai Dieu merci quantité d’autres souvenirs de lui à considérer – souvenirs de ses beaux jours de mari, père, grand père, philosophe, écrivain. Pourtant l’épreuve des dernières étapes de sa maladie commande l’attention. Non pas tant parce que la souffrance de cette épreuve demeure aiguë, mais plutôt parce que ses derniers jours rassemblent le meilleur de ses nombreuses vertus, en particulier sa foi, son courage, et son (souvent mordant, toujours prompt aux jeux de mots) sens de l’humour. Cela étant dit, l’autre jour, comme j’étais en train de lire un essai sur « Un autre message dans la bouteille » de Walker Percy, me revint un souvenir beaucoup plus ancien. Percy lui-même se rappelle son père et la façon dont il lisait à haute voix à son fils le Livre de la jungle de Kipling et L’Île au trésor de Stevenson. Cela m’a ramené aux années 1969-70 quand j’avais cinq ans et que notre famille vivait à Rome pendant l’un des congés sabbatiques de mon père. Cette année-là mon frère aîné David et moi, avec ma sœur Beth, nous partagions une vaste chambre dans notre appartement surpeuplé de la via Ugo Balzani, et le soir mon père nous lisait à haute voix des pages de L’Île au trésor. Je le revois assis au milieu du lit, nous trois étalés autour de lui, suspendus au récit du jeune Jim Hawkins et de Long John Silver. Je possédais à l’époque une épée en plastique épais que je prenais avec moi pour ces lectures familiales, et à chaque moment particulièrement excitant de l’histoire je saisissais mon épée et galopais dans le couloir étroit réclamant du sang et le trésor. Percy a raison de dire que lire à haute voix, spécialement aux enfants, permet une re-création dans l’imagination qui est mille fois plus réelle et présente que ce que nous trouvons à la télévision ou dans les films. La peur que je partageais avec Billy Bones de cet unijambiste qui pouvait frapper à la porte de la taverne Amiral Benbow, est restée vive en moi depuis presque un demi-siècle, tandis que des heures incalculables de télévision idiote ont tournoyé pour disparaître dans la bonde sans laisser aucune trace. Une chose qu’en général on ne sait pas à propos de mon père c’est qu’il écrivait lui-même des histoires pour l’heure du coucher. Celles que je me rappelle le mieux mettaient en scène Mémé-Une-Dent et son petit-fils Roy Boy et son chien Rabelais. A côté d’eux il y avait les détectives Mr. Grim et Mr.Gram, sans parler du shérif Omar (pour vous les jeunes, c’est Omar Sharif inversé). Le mystère de l’un des épisodes fut résolu quand quelqu’un fit passer une mèche des cheveux d’argent de Mémé-Une-Dent sur la bande d’un vieux magnétophone, arrachant ainsi à sa cachette l’indice essentiel. Ce n’est pas un hasard, soutient Percy dans l’essai que j’ai mentionné, si le roman est presque exclusivement une création du christianisme : Le fait que les romans sont des récits sur des événements qui arrivent aux gens dans le cours du temps prend un poids unique dans un ethos nourri de la croyance qui attribue une importance absolue à un Evénement arrivé à une Personne dans un temps historique. D’une manière très sûre on peut dire que l’Incarnation non seulement a apporté le salut à l’humanité mais qu’elle a donné naissance au roman. Le roman est le genre du temps ordinaire, ce qui doit vouloir dire – comme tout catholique peut l’apprécier – que le roman est le genre de l’extraordinaire au sein de l’ordinaire. Aussi bien Percy que G.K.Chesterton, avant lui, ont perçu clairement que le déclin de la culture chrétienne en Occident a produit un déclin similaire dans l‘art du roman. Percy parle de la perte qu’ont subi le récit et la peinture des caractères dans le roman post-moderne. Soulignant la même chose en des termes différents, G.K. Chesterton (dans son essai « Sur la Philosophie versus Fiction ») parle de la manière dont le roman moderne manque d’objet « au sens médiéval de réalisation ». Je crois que mon père était attiré vers la composition de romans policiers et de thrillers parce qu’il voyait que ces genres plus populaires étaient encore animés, que ceux qui les pratiquaient en eussent ou non conscience, par un ethos chrétien. Il comprenait que dans ces histoires l’extraordinaire fait irruption dans l’ordinaire sous la forme d’une effraction. Mais il comprenait aussi que ce frisson de surface pouvait être le début d’une aventure encore plus « frissonnante » , une aventure dans laquelle le roman sert comme le plan qui nous conduit à un trésor, celui des vérités les plus profondes de notre existence humaine. C’est un voyage que je poursuis, mais dans l’espérance j’attends avec impatience le jour du rendez-vous 1 avec mon père sur l’Île au trésor. 31 janvier 2015 Daniel McInerny est philosophe et auteur de fiction pour enfants et adultes. Pour en savoir davantage sur lui et son œuvre , voir danielmcinerny.com http://www.thecatholicthing.org/2015/01/31/treasure-hunting-father/ Photo : Ralph McInerny

 

  1. En français dans le texte