A propos d'inégalité - France Catholique
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L'amour du travail bien fait avec saint Joseph artisan
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A propos d’inégalité

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L’envie, ce me semble, est un péché plus dangereux et plus répandu que l’avidité. L’avide désire à l’excès des biens matériels. De tels biens indiquent ce que j’estime important, mon objectif. L’envie signifie que je refuse de reconnaître les mérites et les réalisations de mon prochain. Comme l’enseigne la Genèse, nous pouvons même en arriver à envier Dieu. Nous pouvons convoiter la nature divine comme source du bien et du mal. L’avidité est matérielle, concrète, plus pardonnable et humaine. Elle désire des choses terrestres.

L’envie est d’essence spirituelle. Elle fait porter sur les autres, pourtant méritants, mon manque de mise à l’honneur et de reconnaissance. Elle me permet de penser que les honneurs qui m’étaient dus me sont refusés à cause de ce que d’autres ont accompli en raison de leur excellence. Que ce n’est pas en raison de mes déficiences mais par conséquence du succès d’un autre que je n’ai rien obtenu.

L’envie se rapproche du péché des anges. Ce n’est pas seulement le vice des riches et célèbres, c’est aussi celui des pauvres et des faibles. Il peut s’épanouir dans les taudis, dans les châteaux, et dans la plupart des logements entre ces deux extrêmes, incluant les églises. Invidia clericorum, l’envie des clercs, peut être létale.

Il est stipulé : « tous les hommes sont créés égaux ». Mais les hommes se rendent inégaux par leurs actions, leurs vertus et leurs vices. Nous lisons dans Gatsby le magnifique : « le sens des convenances est inégalement réparti à la naissance ». Dans une société parfaite, les gens seraient inégaux d’une manière signifiante. Ces inégalités feraient le socle d’un vrai bien commun auquel chacun contribuerait de manière différente. Platon le sous-entendait. Il est difficile d’imaginer plus assommant qu’une société où tous seraient identiques. C’est un argument suffisant pour rejeter le clonage.

Paradoxalement, l’égalité est devenue la justification pour une « diversité » radicale. Cela sonne étrangement à première vue. Si les hommes sont divers, comment peuvent-ils être égaux ? Si l’égalité signifie que seules les choses que les hommes ont en commun sont importantes, la diversité signifie qu’aucun critère n’existe pour déterminer qu’un mode de vie serait meilleur qu’un autre. Dans cette optique, les cannibales, les végétariens et ceux qui refusent de manger du porc sont égaux dans le sens où leurs différences particulières sont d’une même non-pertinence. Ce raisonnement s’applique aux vues sur Dieu et sur ce qui est bien. Chez les écrivains classiques, la plus grande diversité était le gouffre entre le bien et le mal. Mais si la diversité signifie, comme dans la pensée moderne, qu’on ne peut pas faire de distinction de cet ordre qui soit pertinente, alors la différence entre la vertu et le vice disparaît.

Dans son Traité sur la grâce, Thomas d’Aquin écrit : « la Providence divine peut être considérée de deux manières. Tout d’abord, en ce qui concerne la loi divine, qui est simple et uniforme, donc la Providence est équitable à tous, puisque, d’une unique et simple loi, Dieu administre les grandes et les petites choses. Mais en second lieu, il faut considérer ce qui est fourni aux créatures par la Providence divine. Et là on trouve une inégalité, dans la mesure où Dieu procure de plus grands dons à certains, et des dons moindres aux autres. »(I-II,112,4). Il est à noter que c’est la Providence divine qui distribue inégalement le même amour. Quelle que soit notre importance, nous sommes l’objet de la même attention.

Par conséquent, si je reçois un ou cinq talents plutôt que dix, il ne s’ensuit pas que Dieu s’intéresse moins à moi. Cela signifie que mon talent concourt au bien de tous et donc aussi à mon propre bien. Toutes les inégalités ne sont pas équitables bien sûr, mais beaucoup le sont. Au nombre desquelles celles générées par la Providence divine qui procure des dons plus ou moins grands. Si nous voulions égaliser tous les revenus ou tous les talents, nous n’aboutirions pas à une société plus juste et plus fonctionnelle. Nous aboutirions à un monde impraticable où ne subsisterait aucune raison de faire quoi que ce soit pendant que tout le monde se querellerait sous prétexte de ne pas avoir reçu « son dû ».

Le contexte dans lequel de telles considérations sur l’inégalité et la diversité se fait jour est, dans la pensée chrétienne, la Trinité. Nous y avons une diversité de personnes partageant une même unité. Les éternelles querelles à propos de l’égalité et de l’inégalité, de la similitude et de la différence trouvent ici leur origine et leur solution. L’égalité ne peut pas abolir les différences. Pour être ce qu’elles sont, les différences doivent subsister.

Comparées au Dieu Trinitaire, toutes choses, y compris la création elle-même, sont inégales. La somme de ces inégalités, dans leur harmonie diverse, offre à elle seule le reflet extérieur de la vie intérieure divine, dans laquelle, avec nos inégalités et nos diversités, nous sommes invités à entrer. Ceux qui choisissent la fierté, l’envie, l’avidité ou d’autres voies aussi radicales sont laissés à leur « diversité » dernière.

Nous appelons Enfer cette diversité dernière. C’est le seul endroit de l’univers créé uniquement par nous-mêmes. Mais le Ciel est toujours et à juste raison décrit comme une abondance d’êtres, angéliques et humains, chacun étant unique, se réjouissant auprès de Dieu qui, comme l’a dit Thomas d’Aquin, prend soin de chacun d’eux avec impartialité quoique de façon différente.


Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/on-inequality.html

James V. Schall, S.J., qui a été professeur à l’université de Georgetown durant 35 ans, est l’un des écrivains catholiques les plus prolifiques d’Amérique.

illustration : Thomas d’Aquin, par le peintre Carlo Crivelli, vers 1476