Après le meurtre de Jean-Baptiste par Hérode, le Christ commence son ministère public là où Jean l’a laissé. Le Christ se fait l’écho de tout ce que Jean a dit (du moins tel que rapporté par les évangélistes) mis à part la condamnation du mariage illicite d’Hérode. Le Christ ne manquait certainement pas de courage. Il n’aurait pas accepté de ne pas tenir compte du mal. Son présumé silence ne peut pas être un acte politique de compromis.
Alors, pourquoi le silence ?
Le Christ continue, dans la ligne de Jean, ses invectives contre les Scribes et les Pharisiens. Ainsi que Jean, il se réfère à eux comme à une « engeance de vipères » dans une tentative d’obtenir leur conversion ou au moins d’atténuer le scandale qu’ils représentent pour les Juifs simples et fervents. Le pusillanime Pharisien Nicodème ne serait peut-être pas devenu disciple si le Christ (et Jean avant lui) n’avait rudement accusé les Pharisiens d’hypocrisie. Il semble y avoir là, même éloigné, un espoir persistant de conversion.
Le respectueux silence présumé du Christ vis-à-vis d’Hérode — excepté quand il l’appelle « ce renard » — se poursuit tout au long de son ministère. Le Christ reste silencieux devant Hérode même durant le procès qui précède sa Passion. Le silence ne peut pas avoir été du type « passif-agressif » ou de tout autre style de manipulation mentale. Il devait refléter une profonde — et terrible — raison.
Il est intéressant de noter par contraste que le Christ, s’il ne rentre apparemment jamais en dialogue avec Hérode, entame une conversation avec Pilate. Durant le procès du Christ, cet échange fascinant peut avoir été basé sur l’espoir que Pilate recherchait sincèrement la vérité, une vérité qui le conduirait à la conversion.. Mais la conversation prend fin abruptement quand Pilate répond au Christ — apparemment avec un scepticisme obstiné : » qu’est-ce que la vérité ? »
Nous lisons dans l’Ancien Testament (Ezechiel 3:26) que, en raison de l’endurcissement des cœurs du peuple d’Israël, les prophètes étaient incapables de prêcher. Leur langue leur collait au palais. Le silence du Christ révèle-t-il un jugement similaire encore plus terrible ?
En assassinant Jean, Hérode a-t-il définitivement dévoilé son vrai caractère et révélé qu’il ne se repentirait jamais, malgré la surabondance de grâce lui ayant été offerte par le ministère de Jean ? Hérode aurait-il commis le mystérieux « péché contre l’Esprit » ?
Le silence qui a suivi le refus cynique de Pilate de chercher la vérité, alors même qu’il avait regardé longuement et conversé avec le Chemin, la Vérité et la Vie signifie-t-il un jugement divin comparable ? Ce n’est pas à nous de juger, mais nous avons le droit de nous poser la question.
Saint Thomas More choisit d’être silencieux face à l’adultère d’Henry VIII. Comme celui du Christ, son silence n’est pas basé sur la lâcheté. Mais contrairement au Christ, qui avait librement offert sa vie, Thomas More a tenté d’éviter l’exécution, en obéissance au commandement du Christ d’être « astucieux comme un serpent et candide comme une colombe ».
Pourtant, tout le monde, Henry compris, savait à ce moment-là que même le silence de More était une cuisante accusation du roi. (Il y a du vrai dans la remarque de Cromwell : » En fait, ce silence n’en était pas un du tout, mais c’était le plus éloquent des reproches ! »
Que More ait connu le même destin que l’évêque John Fisher, qui s’était courageusement et activement opposé à Henry ne diminue pas l’effet rigoureux de la tactique de silence de More.
Durant la deuxième gerre mondiale, face aux nazis, le pape Pie XII est demeuré silencieux après son message de Noël 1941, pour éviter un massacre plus grand. La comparaison avec le Christ ne peut pas être totale, bien sûr, car Pie XII n’était pas le « maître du temps et de l’histoire » comme l’est le Christ.
Nous devons admettre des erreurs de jugement (bien que Pie XII ait oeuvré en coulisses avec diligence pour sauver des juifs, la preuve en est dans les graffitis juifs toujours visibles dans leur cachette à Castel Gandolfo, la résidence d’été des papes). A la limite, même le silence de Pie XII peut être compris comme une sorte de jugement des nazis : ils ont refusé de se laisser persuader, même par le témoignage prophétique du Vicaire du Christ. Le fait que Pie XII n’ait jamais rencontré Hitler renforce son silence comme puissant moyen de dénonciation.
Tout cela n’est que conjecctures, évitons le jugement, qui n’appartient qu’à Dieu seul. Mais nous sommes libres de poser la question : selon la providence divine, est-il mieux que nos péchés soient révélés en vue de notre repentance plutôt que de finir nos vies sans un murmure de reproche divin, parce que Dieu connaît l’étendue – définitivement sans espoir – de notre dureté de coeur ?
Les politiciens catholiques pro avortement (ou pour dire autrement « pro choix ») faisant fi de la doctrine catholique nous viennent rapidement à l’esprit. Et cela mène à se demander si – du mystérieux point de vue de la Providence – les partisans et usagers de l’avortement sont si corrompus qu’ils sont devenus les nouveaux Hérode de la culture, délibérement imperméables à la grâce.
Nous ne devons cependant pas aller trop loin, car les chemins de Dieu ne sont pas nos chemins. Et il reste des exemples étonnants, bien que rares, de vraie repentance (la conversion de l’avorteur Bernard Nathanson, par exemple).
Pourtant, dans le grand schéma providentiel des choses, le silence peut être un jugement terrible des pécheurs, même si le silence officiel est souvent le résultat d’une négligence coupable. La punition ecclésiastique ou l’excommunication bruyante d’un pécheur impénitent est préférable – comme signe d’espérance pour le pécheur – que le jugement impitoyable du silence.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/the-silence-of-the-lamb.html
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Le père Jerry J. Pokorsky, un nouveau contributeur de The Catholic Thing, est un prêtre du diocèse d’Arlington, curé de la paroisse Saint Michel Archange à Annanndale (Virginie).
illustration : « Maheur a vous, Scribes et Pharisiens par James Tissot (vers 1890)