Pourquoi on ne peut pas privatiser le mariage - France Catholique
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Pontificat de François - numéro spécial
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Pourquoi on ne peut pas privatiser le mariage

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Il se passe une discussion importante parmi les jeunes membres de l’Eglise évangélique, sur le fait de savoir si le gouvernement ne devrait pas purement et simplement cesser de se mêler des questions du mariage.

Selon ceux qui se font les avocats de cette option, la raison principale pour que l’Etat se retire c’est que cela semblerait promettre de supprimer l’un des contentieux les plus importants dans les guerres de la culture. On pourrait encore croire que l’homosexualité est immorale, et que le mariage chrétien se passe entre un homme et une femme, et dire en même temps que l’on se fait l’avocat de «  l’égalité devant le mariage », puisque si aucun mariage n’est reconnu légalement, alors tout le monde est « à égalité » pour poursuivre sa vision de la vie telle qu’elle doit être, sans l’intervention de l’Etat.

En d’autres termes, on peut en toute bonne conscience mettre un même signe sur sa page Facebook, pour annoncer à tous ses amis progressistes du collège qu’on n’est pas un bigot dangereux comme le reste de sa communauté religieuse, et dire en même temps aux membres de ladite communauté, en privé, qu’on soutient la vision biblique du mariage. On peut être, pour utiliser une phrase d’un autre sujet de dispute culturelle : « pour le libre choix, mais personnellement opposé à la chose ».

Il est facile de comprendre pourquoi les jeunes évangélistes trouvent cette approche séduisante. Qui pourrait, en étant sain d’esprit, souhaiter s’attirer la dérision et la marginalisation qui guette ceux qui adoptent une vision qui n’est pas dans la mouvance culturelle dominante. A l’âge des réseaux sociaux, le vice autrefois redouté de succomber à la pression de ses pairs, comme on disait quand j’étais enfant, a été relégué dans les poubelles de l’histoire. De nos jours, la pression des pairs est une vertu, avec sa propre page Facebook et son bouton « j’aime ».

La génération du « Babyboom » qui, à une époque décriait les machinations et le pouvoir politique de « l’Homme » , et appelait tous les gens qui pensaient juste à lui résister, est devenue «  l’Homme », et maintenant appelle tous les gens qui pensent juste à adopter ses machinations et son pouvoir politique, sinon…L’avant-garde culturelle qui à une époque disait à ses pairs d’ouvrir leur esprit et de « protester contre le flux montant du conformisme », dit maintenant à ses enfants de mettre de côté leur esprit critique, pour «  ne pas se retrouver du mauvais côté de l’histoire ».

Les jeunes évangélistes ne sont pas stupides. Ils voient l’écriture sur le mur, et ils n’ont pas envie de se noyer quand le tsunami culturel touchera terre. Ce compromis qu’ils suggèrent leur paraît d’un énorme bon sens. Malheureusement, cela ne peut pas fonctionner.

Imaginez par exemple, comme l’un de mes étudiants en doctorat l’avait suggéré dans une dissertation qui défendait cette idée de privatisation, que le mariage devienne le domaine exclusif de l’  « Eglise ». Supposons que Bob et Marie, tous deux catholiques pratiquants, se marient à l’église sous l’autorité de la loi canonique. Dans les dix années qui suivent, ils ont 3 enfants. Cependant, voilà que Marie décide de quitter l’Eglise pour devenir Unitaire, et cherche à dissoudre son mariage. Comme l’Eglise maintient que le mariage est indissoluble, et que Mary n’a pas de motifs d’annulation, l’Eglise refuse sa requête.

Mary cherche alors conseil auprès de son pasteur à l’Eglise Unitaire. Celle-ci dit à Mary que l’Eglise Unitaire reconnaît son mariage avec Bob, mais maintient qu’elle est parfaitement en droit de divorcer d’avec lui, car l’Eglise Unitaire reconnaît que l’incompatibilité est une cause légitime de divorce. Mary fait donc une demande de divorce à partir de l’Eglise unitaire, et elle est acceptée.

L’Eglise lui accorde aussi la garde complète des enfants, car, d’après la théologie morale de l’Eglise Unitaire, ce que Bob enseigne à ses enfants à propos de la contraception, de l’avortement, et des relations homosexuelles est un « péché de haine » et donc une forme d’abus sur mineurs .

Alors, qui gagne dans ce cas ? Supposons qu’on dise que, comme à l’origine c’était un mariage catholique, cela doit le rester, même si Mary change de religion. Mais qui a l’autorité de faire appliquer une telle règle ? L’Eglise catholique ? L’Eglise Unitaire ? Que se passe-t-il si l’Eglise catholique est d’accord mais pas l’Eglise unitaire ?

Imaginons que Mary, sous l’autorité de l’Eglise unitaire, prenne tout simplement ses enfants et quitte l’Etat. Est-ce un kidnapping ? Est-ce qu’une officialité catholique peut émettre un ordre pour que l’agence locale des « Chevaliers de Christophe Colomb » ramène Mary et ses enfants à leur domicile d’origine afin qu’elle soit jugée par une cour ecclésiastique pour avoir violé la loi canon ? Et si elle est condamnée, l’Eglise peut-elle la mettre en prison, ou lui infliger une amende ?

Supposons que Mary non seulement parte avec ses enfants, mais en plus, vide le compte en banque du couple, et donne son contenu à l’Eglise unitaire ? Est-ce un crime ? Qui en décide ?

Imaginons que tous ces cas aient été prévus par des contrats privés rédigés et signés par Bob et Mary au début de leur mariage au sein de l’Eglise catholique. Qui a le pouvoir de s’assurer qu’il a été remédié à ces ruptures de contrats et qu’une compensation a été donnée aux victimes.

Le seul moyen de régler ces disputes est que l’Etat intervienne. Que faire des enfants, des biens, du lieu de résidence de la liberté de mouvement etc…quand la relation conjugale se détériore, voilà un problème d’ordre public. Ce ne sont pas des questions privées. Et finalement dans ce scénario de privatisation du mariage, l’état deviendrait plus intrusif dans les affaires de l’Eglise, qu’il ne l’est actuellement.

Pour résoudre ces problèmes, il serait nécessaire de spécifier les limites et la portée des juridictions ecclésiastiques, et je ne mentionne pas ce que les instances religieuses ont le droit de faire avec les citoyens mariés dans les différentes traditions religieuses qui ont des perspectives contraires sur tout, que ce soit l’éducation des enfants, l’autorité conjugale, et la pratique religieuse jusque dans les coutumes culinaires.

En dépit de leurs plus grands efforts, il n’y a pas de terre émergée sur laquelle les jeunes évangéliques – ou aucun de nous – puisse se retirer sans risque d’être recouverts par le tsunami culturel.

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/why-privatizing-marriage-cant-work.html

Photo : « Joan Baez et Bob Dylan : Qui est du mauvais côté de l’histoire maintenant ? »