C’est dimanche 2 février 2014 que se jouera la crédibilité des manifestants de l’an 2013. Et je crains que la désillusion, le ras le bol des marches, la fatigue des trop longues attentes, les menaces et les mensonges de l’Élysée comme du gouvernement ne viennent à bout des plus faibles, des moins déterminés, ce qui serait une grande déception pour les combattants de l’avant.
Je ne suis quant à moi qu’un combattant de bureau, accroché à mon clavier et attentif au vagues abstraites qui déferlent à l’intérieur de ma boîte à neurones, ma « boîte en os », expression qui est le tire d’un livre étrange dont j’ai oublié le nom de l’auteur : mais j’irai dimanche prochain, coûte que coûte et malgré un dos récalcitrant. J’irai d’autant plus déterminé que Monsieur le Ministre de l’Intérieur, qui déploiera ses deux milliers de policiers en uniforme, de CRS déguisés en robots, de flics en civil chargés de tromper le manifestant et lui faire commettre ce qui sera aussitôt baptisé provocation, n’a fait que ‘’répéter’’, comme tout metteur en scène, la manœuvre d’encerclement de ses rêves, tel un petit, tout petit Napoléon, afin de nous cueillir par centaines et nous présenter devant la foule des téléspectateurs comme de dangereux terroristes, de la graine de fascistes, de racistes calamiteux, de sinistres antisémites et enfin de misérables ennemis de la République ! Hissons les drapeaux et avançons vers les troupes du nouveau César.
Je n’aimerai pas être à sa place.
L’inénarrable veut devant nous tenir le rôle de Raminagrobis dans un défilé de souris : « Approchez, approchez, je suis sourd, les ans en sont la cause ! », et derrière lui l’énorme déploiement des athlètes de commissariats et de casernes ! Son plan ? Simplissime : nous prendre dans une nasse afin de mieux nous croquer : ces gesticulations ridicules – nous ne voulons que marcher paisiblement, gravement, certains d’être la conscience de la France – en vue de décourager les candides marcheurs ne sont que moulinets d’un pisse-vinaigre. Être arrêtés ? Mais qu’il l’ose, le pauvre homme et tant mieux s’il y parvient, cela nous fera une expérience que nous pourrons ensuite raconter à nos amis comme à nos enfants et petits-enfants. Le possible n’est pas toujours certain et ces tristes préparatifs ne nous empêcheront pas d’être à Paris dimanche, au contraire, et j’espère qu’au moins un million et demi de confrères manifestants y seront aussi.
Le mieux, certes, eut été trois millions, c’est vrai, mais ce serait une charge de travail si considérable pour les CRS et les policiers en civil comme en uniforme, qu’il faut rester modeste dans nos désirs. Il ne faut pas que les forces républicaines, que les gardiens de la paix et autres pourfendeurs de bandits et criminels voient leur dynamisme dynamité au point que le lundi 3 ils se retrouvent incapables de se lever et de faire trois pas en ligne droite !
Mes craintes sont autres : j’entends dire partout que nous sommes fatigués, ce qui est vrai, mais les policiers le sont aussi ! Que nous ne comptons plus que sur les élections de mars et de mai pour faire le ménage, c’est possible même si les manœuvres des uns et des autres parmi les rangs des politiciens risquent fort de faire capoter la justice des urnes, tellement il est facile en politique de gruger le peuple et de rendre rose même le bleu le plus azuréen : c’est peut-être même l’exercice le plus apprécié chez nos représentants actuels ! Les mensonges et les reculades qui se multiplient au fur et à mesure que s’avance le mois de mars sont faits pour ça, décourager toute résistance, toute prise de conscience, toute lucidité.
Sur l’Araignée, il se répète en boucle que le stratège de la place Beauvau veut arrêter nos momeries, nous mettre en cellule peut-être jusqu’à la fin de mars : qu’il le fasse, sa carrière de sauvage inflexible quand il n’y a aucun risque de dérapage à courir – car le 26 c’est la police qui a organisé les dérapages, ce qui arrangeait tout le monde au ministère –, ne s’en portera que mieux ! Alors, il pourra gonfler le torse et se vanter d’obtenir enfin des résultats, ceux qui à Marseille comme en bien d’autres lieux, par exemple les cités de la banlieue de Paris, lui font si malencontreusement défaut.
Que le ministre continue : quand on commence à sombrer, il ne faut pas hésiter à vérifier si dans la surenchère des excès on ne trouvera pas son salut.